Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec « RTL » (Paris, 5 novembre 25)
Q - Alors que Cécile Kohler et Jacques Paris sont sortis des geôles iraniennes hier, le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot est l’invité d’RTL Matin. Bonjour et bienvenue sur RTL Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour Thomas Sotto.
Q - Est-ce que vous avez pu parler, échanger directement avec Cécile Kohler et Jacques Paris depuis hier soir ?
R - D’abord j’ai échangé avec leur famille pour les avertir que Cécile et Jacques étaient en sécurité à la résidence de France hier à peu près à 19h à l’heure de Paris et j’échangerai avec eux aujourd’hui après qu’ils ont pu passer une soirée au contact de leurs proches par téléphone et entourés par l’équipe de l’ambassade avec laquelle ils ont partagé un repas.
Q - Comment ils vont ? Comment qualifiez-vous leur état de santé d’après les informations qui vous remontent ?
R - L’ambassadeur m’a témoigné du fait qu’ils vont bien, qu’ils sont évidemment soulagés, qu’ils ont hâte de pouvoir, le moment venu, retrouver leurs proches.
Q - Physiquement, ils vont bien ?
R - Ils semblent physiquement et moralement dans des conditions satisfaisantes, mais j’ai néanmoins dépêché, sur place, une équipe de renfort, dont un médecin du Centre de crise du ministère des affaires étrangères, pour qu’il puisse les accompagner dans ce moment de redressement après une épreuve inhumaine.
Q - Donc médecin qui sera sur place…
R - Dans la journée.
Q - …dans la journée. On a beaucoup dit que leurs conditions dans cette prison d’Evin, conditions de détention, avaient été très difficiles pendant ces 1277 jours de cauchemar. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ? Est-ce qu’ils ont été torturés ?
R - Ce que nous savons, c’est que ces conditions étaient effectivement indignes et même extrêmement éprouvantes pour tous les deux, avec des contacts très rares avec leurs proches ou même avec les équipes de l’ambassade à Téhéran et avec des conditions de vie pour dormir, pour manger, très spartiates. Je les laisserai témoigner le moment venu de la manière dont ils ont vécu ce moment si éprouvant de leur vie.
Q - Est-ce qu’ils ont été torturés ? Est-ce que vous emploieriez le mot torture ?
R - Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, ils sont en sécurité sous la protection de l’ambassade. C’est une nouvelle extrêmement positive au regard de tout ce qu’ils ont vécu, mais ce n’est qu’une étape et nous allons continuer à nous mobiliser sans relâche pour obtenir leur libération définitive et leur retour en France.
Q - C’est intéressant ce que vous dites, ce n’est qu’une étape. Ils sont sortis de prison, mais ils ne sont donc pas libres ce matin, on est d’accord ?
R - Ils sont en sécurité, ils sont entourés, mais maintenant, il faut qu’ils puissent être libérés définitivement, revenir en France et c’est à quoi nous allons nous employer en poursuivant ce travail lent, ou en tout cas ce travail discret plutôt, ce travail à l’ombre…
Q - Mais est-ce qu’ils sont en libération conditionnelle comme l’a dit l’Iran hier soir ? Ils sont en libération conditionnelle ?
R - Ils sont en sécurité à l’ambassade et nous demandons leur libération immédiate et inconditionnelle. Et ce travail que nous avons mené, qui a permis d’aboutir à cette première étape très positive, va se poursuivre.
Q - Est-ce qu’ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent ? Est-ce qu’ils ont le droit de sortir de l’ambassade aujourd’hui ?
R - Ils ont quitté la prison. Ils sont aujourd’hui entourés par les agents du ministère des affaires étrangères. Ils ont la possibilité d’être au contact téléphonique de leurs proches. C’est donc un changement majeur qui va leur permettre progressivement de se relever après une épreuve si difficile. Mais nous allons aller jusqu’au bout et nous allons obtenir leur libération immédiate.
Q - Ça veut dire qu’ils ne sont pas… aujourd’hui, au moment où nous nous parlons, ce matin, libres de leur mouvement ? Ils ne font pas ce qu’ils veulent ?
R - Ils ne sont pas encore en capacité de rentrer au pays, rentrer en France, auprès de leurs proches, mais nous allons poursuivre le travail que nous avons engagé. Il faut laisser travailler la diplomatie française pour aboutir à ce résultat.
Q - Ce retour en France, vous pensez, est-ce que vous savez si c’est une question d’heures, une question de jours, ou est-ce que vous ne le savez pas ce matin ?
R - Vous savez, c’est la troisième fois cette année que nous parvenons à libérer certains de nos ressortissants détenus en Iran. C’est Olivier Grondeau au mois de mars, c’est Lennart Monterlos au mois d’octobre, et c’est enfin Jacques et Cécile hier, après plus de trois ans, trois ans et demi de détention. Et donc nous n’avons pas de certitude sur le moment où ça interviendra, mais nous n’allons ménager aucun effort pour obtenir leur retour en France dans les meilleurs délais.
Q - Ça pourrait prendre des semaines, peut-être des mois, vous ne le savez pas ce matin ?
R - On ne travaille pas avec un délai en tête. On travaille avec la détermination d’obtenir la libération complète, totale, de nos compatriotes, nos ressortissants lorsqu’ils sont détenus à l’étranger.
Q - Ce qui veut dire, Monsieur le ministre des affaires étrangères, que l’histoire n’est pas terminée ce matin ?
R - Elle n’est pas terminée et nous continuons notre mobilisation. Je l’ai d’ailleurs dit hier à mon collègue ministre des affaires étrangères iranien, en saluant le geste des autorités iraniennes, mais en les appelant à une libération immédiate et inconditionnelle.
Q - Et qu’est-ce qu’il vous a dit ?
R - Si vous m’autorisez, je vais laisser un voile de discrétion autour de ce travail qui a permis à nos équipes d’obtenir cette libération hier.
Q - Est-ce que ce matin, l’Iran a abandonné ces accusations, les charges qui pèsent contre Cécile Kohler et Jacques Paris ?
R - Jacques et Cécile sont aujourd’hui sous la protection de l’ambassade de France.
Q - J’ai compris, mais est-ce qu’ils sont toujours accusés d’espionnage ?
R - Nous allons obtenir leur libération définitive. Pour le reste, il faut nous faire confiance, si je puis dire, pour obtenir ces résultats.
Q - Ce n’est pas un manque de confiance en vous, c’est un manque de confiance dans les autorités iraniennes. Est-ce qu’ils peuvent retourner en prison demain si le régime iranien le décidait ?
R - Nous allons obtenir leur libération en définitive.
Q - D’accord. On imagine que les Iraniens n’ont pas décidé par gentillesse de les libérer. Est-ce que le retour en France de Cécile et de Jacques est lié au retour en Iran de Mahdieh Esfandiari, qui est une Iranienne qui a été arrêtée en février et poursuivie chez nous pour apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux ?
R - Ce que je peux vous dire, c’est que s’agissant du président de la République, de moi-même, ce sont de très nombreux contacts, de très nombreux appels qui ont été passés ces derniers mois pour aboutir à ce résultat. Mais vous comprendrez bien que pour garantir le succès de ce type de manœuvre diplomatique… Nous nous tenons à une forme de discrétion. Et donc nous ne révélons pas le détail de cette discussion que nous avons avec les autorités à tous les niveaux, du président de la République jusqu’à l’ambassadeur à Téhéran, que je veux féliciter pour sa mobilisation et son dévouement.
Q - Non seulement on le félicite, mais il sera l’invité tout à l’heure de Marc-Olivier Fogiel en direct à 8h15. Il nous dira comment vont les deux otages, puisque lui, il est à leurs côtés ce matin. Mais quand même, je reviens sur cette Iranienne. Elle a été libérée il y a quelques jours et placée sous contrôle judiciaire. Elle doit être jugée en janvier à Paris. Est-ce que ce procès aura lieu ?
R - C’est à l’autorité judiciaire qu’il faut poser la question.
Q - Et il n’y a pas de lien ? Ce matin, les yeux dans les yeux, vous pouvez nous dire qu’il n’y a pas de lien entre les deux otages français et cette femme iranienne ?
R - Ce que je peux vous dire, c’est qu’il faut laisser les diplomates faire leur travail. Vous verrez, ça fonctionne.
Q - Bon, ça fonctionne. Cette remise en liberté peut-elle entraîner un assouplissement de la position de la France sur le dossier du nucléaire iranien ? On avait un peu durci les choses. Est-ce que ça fait partie du deal, ça ?
R - On a même plus que durci les choses, puisqu’il y a un mois, on a réappliqué l’ensemble des sanctions, des embargos mondiaux des Nations unies, qui avaient été levés il y a dix ans et qui ciblent l’Iran, et en particulier pour les armes, pour les équipements nucléaires et pour les banques et les assurances.
Q - Est-ce que la France va rétropédaler compte tenu de la libération des deux otages français ?
R - On ne peut pas rétropédaler sur la ré-application de ces sanctions. Il faudrait un accord, une unanimité des pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour obtenir la levée de ces sanctions. Ceci étant dit… Nous avons toujours dit que nous nous tenions prêts à des négociations, nous emmenant, pouvant conduire à un encadrement strict du programme nucléaire iranien qui représente pour la région, mais aussi pour nous-mêmes, une menace.
Q - On entend ça, Jean-Noël Barrot, mais ça veut dire que les deux dossiers, vous nous dites ce matin, sont strictement distincts ?
R - Oui.
Q - L’un n’a rien à voir avec l’autre ?
R - Absolument.
Q - Absolument. Il reste d’autres otages français, à commencer par Boualem Sansal. Ça fait un an maintenant qu’il est détenu en Algérie. Il y a aussi le journaliste Christophe Gleizes qui y est depuis plusieurs mois. Est-ce que vous savez comment ils vont ?
R - D’abord, nous sommes très vivement préoccupés par leur situation. J’entendais tout à l’heure Étienne Gernelle parler de leur combat pour la liberté, qui est aussi le nôtre, c’est vrai. S’agissant de leur état physique et moral, ils ont pu recevoir la visite de leurs proches, Boualem Sansal cette semaine, Christophe Gleizes il y a quelques semaines, qui ont pu les soutenir, leur apporter du réconfort…
Q - Mais est-ce qu’il y a des discussions qui avancent sur leur libération ?
R - …ils vont plutôt bien. Là encore, nous poursuivons le travail pour obtenir leur libération inconditionnelle et immédiate.
Q - Mais ça avance ou pas ? Là, on a l’impression que ça patine. Pardon mais on a l’impression… On sait que les relations avec l’Algérie…
R - On a toujours l’impression que cela patine. Vous ne m’avez pas invité depuis ces quelques mois où nous obtenions progressivement des garanties sur la libération de Jacques Paris et Cécile Kohler. Le travail se poursuivait. C’est dans ce même état d’esprit que nous travaillons.
Q - Est-ce que le fait que les députés aient voté à l’initiative du RN une résolution proposant de dénoncer les accords de 68 qui facilitent la venue en France des ressortissants algériens complique encore les choses ? Est-ce que c’est de nature à compliquer la libération…
R - Ça ne change en rien la position de la France, celle du gouvernement français, que le Premier ministre a exprimée très clairement hier. Nous exigeons leur libération immédiate et inconditionnelle.
Q - Est-ce que le départ de Bruno Retailleau du gouvernement, qui était sur une ligne de grande fermeté vis-à-vis d’Algérie, et on sait que vous n’étiez pas toujours d’accord avec lui, a pu apaiser un peu nos relations avec l’Algérie ?
R - Vous savez, je crois que les intérêts de la France, les intérêts de l’Algérie ne changent pas en fonction de la composition des gouvernements.
Q - Non mais le ton peut changer…
R - Il faut donc, comme l’a dit le Premier ministre hier, que nous cessions de faire de l’Algérie un sujet de politique intérieure et que nous nous focalisions sur nos intérêts. La coopération en matière de sécurité, puisqu’au sud de l’Algérie se reconstitue un foyer du terrorisme islamiste. La coopération migratoire pour que nous puissions reconduire, expulser en Algérie les Algériens en situation irrégulière en France. La libération de nos compatriotes. Et puis la coopération économique pour certaines entreprises françaises qui trouvent en Algérie des débouchés pour leurs produits.
Q - En quelques mots, vous partez pour l’Amérique demain, Mexique, Colombie notamment, sur fond de lutte contre le narcotrafic. Donald Trump a choisi la méthode forte, y compris par les armes, avec la Colombie, le Venezuela. C’est la bonne méthode ? On pourrait participer à des opérations de ce genre, nous ou pas ?
R - Ce qui est sûr, c’est que nous allons entrer de plein pied avec la diplomatie française dans la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, en traitant le mal à la racine, en coopérant avec les pays, les pays producteurs, les pays d’où viennent, d’où proviennent ces quantités astronomiques de stupéfiants qui viennent envahir nos villes et nos villages.
Q - Mais la méthode Trump est la bonne ?
R - La méthode de Trump lui appartient. Nous sommes préoccupés parce qu’il s’est affranchi du droit international. Nous sommes préoccupés aussi parce que ce fléau est en train de prendre des proportions qui mettent en cause la sécurité du territoire national, mais aussi évidemment de nos outre-mer qui sont en première ligne.
Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot d’être venu ce matin sur RTL.