Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 6 novembre 25)

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Q - Bonjour Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d’avoir accepté l’invitation de France Info. Beaucoup de sujets à aborder avec vous aujourd’hui. La plateforme Shein menacée d’être suspendue en France, la relation avec l’Algérie, la coopération en matière de narcotrafic. Mais d’abord, Emmanuel Macron appelle à la libération pleine et entière de Cécile Kohler et Jacques Paris, sortis de prison mardi après plus de trois ans de détention en Iran. On écoute l’émotion de Noémie, la sœur de Cécile, hier soir au 20h de France 2.
[…]

Q - Cécile Kohler et Jacques Paris sont toujours retenus à l’ambassade de France à Téhéran. Est-ce qu’ils sont toujours un peu otages du régime iranien ?

R - D’abord, la très bonne nouvelle, c’est qu’ils sont désormais en sécurité à l’ambassade de France, sous la protection de la France. Et leurs familles sont soulagées. Le pays tout entier, je crois, est soulagé. Lorsque je me suis entretenu avec eux hier, ils ont exprimé d’ailleurs…

Q - On va y revenir, Jean-Noël Barrot, mais d’ailleurs…

R - …leurs remerciements à l’égard de toutes celles et ceux qui les ont portés pendant l’épreuve depuis trois ans. Mais ça n’est qu’une étape qui doit les conduire jusqu’à la libération définitive…

Q - …exactement ils sont toujours retenus en Iran…

R - …la rémission totale après une épreuve indicible. Et nous allons continuer à nous mobiliser comme nous le faisons, parfois discrètement, parfois dans l’ombre, ce qui nous a permis d’obtenir ce résultat, jusqu’à parvenir à leur retour en France.

Q - On va prendre le temps de partager toutes les informations dont vous disposez, mais quand Emmanuel Macron appelle son homologue iranien Massoud Pezechkian et lance cet appel à ce qu’ils soient libérés le plus rapidement possible, on est d’accord que c’est aussi une solution qui peut s’enliser, ça peut durer des semaines ou des mois, c’est quand le plus rapidement possible ?

R - Vous savez, c’est la troisième fois cette année que grâce à la mobilisation du Quai d’Orsay, sous l’autorité du président de la République, nous obtenons la libération de compatriotes retenus en Iran. C’était Olivier Grondeau au mois de mars, Lennart Monterlos au mois d’octobre et désormais Cécile Kohler et Jacques Paris. Lorsque nous travaillons sans relâche, dans l’ombre comme je le disais, nous n’avons aucune certitude sur le résultat ou sur le calendrier. Et nous le faisons avec beaucoup de concentration, beaucoup de détermination, en lien étroit avec les familles évidemment que nous tenons informées. Et ça marche. Et ça fonctionne. Il faut laisser les diplomates faire leur travail, ça fonctionne.

Q - Jean-Noël Barrot, aujourd’hui, vous dites « je n’ai aucune idée du calendrier ». Vous ne savez pas si ça va prendre des semaines, des mois ?

R - Je n’ai aucune certitude, mais je suis bien obligé de constater avec vous que nous avons obtenu un premier résultat qui est majeur pour Cécile Kohler et Jacques Paris, dont les proches s’inquiétaient lorsqu’ils les ont vus ou eus au téléphone ces derniers mois de la dégradation de leur état de santé.

Q - Justement, vous avez aussi envoyé un médecin du Centre de crise du Quai d’Orsay pour les accompagner sur place et vous les avez eus au téléphone les deux hier matin. Que vous ont-ils dit exactement ? Comment vont-ils ?

R - D’abord, je leur ai fait part de l’immense élan de solidarité qui, à travers le pays, les a soutenus dans l’épreuve depuis trois ans. Ils ont exprimé leur soulagement, leur gratitude à l’égard des agents du ministère des affaires étrangères, des agents de l’ambassade qui les ont soutenus, qui ont été à leurs côtés pendant les visites consulaires, notamment les visites à la prison. Gratitude à l’égard des services de l’État, gratitude aussi à l’égard de tous les comités de soutien qui, sur le territoire national, se sont exprimés pendant trois ans et demi, les parlementaires aussi. J’ai évidemment dépêché sur place une équipe de renfort puisque, chacun le sait, le calvaire de ceux qui reviennent de la captivité ne s’arrête pas au jour de leur libération. Il est très difficile ensuite de pouvoir se reconstruire et ça suppose d’avoir tout le soutien nécessaire. Et c’est pourquoi l’équipe de l’ambassade et cette équipe de renfort vont les accompagner dans les premiers jours et les premières semaines et qu’ensuite nous resterons à leurs côtés pendant toutes les étapes de ce chemin vers la rémission.

Q - Jean-Noël Barrot, il y a l’après, comment se reconstruire, et puis il y a ce qu’ils ont vécu aussi. Benjamin Brière, ex-otage en Iran, a été frappé lui quand il était détenu, et il disait sur France Info, et pourtant ce qu’ont vécu Cécile et Jacques, même moi je ne peux pas l’imaginer, La violence dans laquelle ils ont été détenus est inouïe. On sait qu’ils ont subi des mauvais traitements. Écoutez Anne-Laure Paris, la fille de Jacques Paris, hier soir sur France 2.
[…]

Q - Qu’est-ce qu’ils ont subi en détention ? Comment vous qualifiez la manière dont ils ont été traités ?

R - C’est impossible à imaginer. Je l’ai qualifié à de nombreuses reprises et j’ai eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises au Quai d’Orsay avec les familles dont je salue le courage et la persévérance. C’est un isolement absolu. C’est les conditions les plus spartiates que l’on puisse imaginer. C’est l’incapacité de pouvoir contacter ses proches. Et donc c’est sans doute de toutes celles et ceux qui ont été détenus en Iran ces dernières années, Jacques et Cécile qui ont subi les conditions les plus difficiles, les plus éprouvantes, les plus inhumaines.

Q - Vous dites impossible à imaginer. C’est vous aussi qui avez appris à la mère de Cécile Kohler que sa fille était libérée. C’était mardi vers 19h. On imagine un appel bouleversant ?

R - J’ai appelé les deux familles au moment où Jacques et Cécile sont entrés dans la résidence de France et se sont trouvés sous la protection de la France. Une immense émotion m’a gagné dans ce moment-là, qui est sans doute le moment le plus fort que j’ai vécu dans les fonctions que j’exerce aujourd’hui. Et j’ai été très heureux de pouvoir partager ce moment avec des familles qui, je le disais, ont fait preuve d’un courage inouï.

Q - Et vous avez attendu qu’ils soient en sécurité à l’ambassade, c’est ça ? Donc 19h ?

R - Évidemment, on ne prend pas le risque de donner une information aux familles avant que nos compatriotes, lorsqu’ils reviennent de détention, soient en sécurité à 100%.

Q - Nous, à ce moment-là, nous étions avec le français Benjamin Brière. À France Info, on a vécu un très grand moment parce qu’on l’a appris avec lui. Benjamin Brière dont parlait Agathe, mais Benjamin Brière, il est aussi assez critique contre vous, contre le Quai d’Orsay. Il considère que certaines familles d’otages reçoivent trop de pression. On l’écoute.
[…]

Q - Alors je vous vois faire la moue, je précise que Benjamin Brière est très critique. Il a été libéré par vos services, c’est important de le dire aussi, il en est conscient, mais c’est très intéressant ce débat. Je l’ai entendu dans de nombreuses familles d’otages. D’un côté, vous, vous dites, au Quai d’Orsay, ne dites surtout rien à la presse, on s’en occupe discrètement, et eux vous répondent, déjà, je finis ma question, le temps est trop long, et puis si nous, on ne parle pas, il n’y a pas de pression internationale, donc on vous aide.

R - Mais c’est complètement faux, et je vous invite à vous documenter, puisque, non, puisqu’apparemment, vous n’avez pas suivi ce qu’il s’est passé dans l’affaire de Cécile Kohler et Jacques Paris. C’est-à-dire que c’est faux. Nous ne demandons pas systématiquement aux familles de se taire. C’est rigoureusement faux. Il y a des moments, parce que les processus de discussion et de négociation l’exigent, nous demandons une discrétion. Et puis il y a des moments, comme ça a été le cas au printemps, où, là, au contraire, nous invitons les familles, si elles le souhaitent, à s’exprimer, parfois avec beaucoup de force, pour faire entendre leur détresse et leurs attentes. C’est ce qu’il s’est passé au printemps dernier. Et c’est dans la coordination étroite avec les familles que nous fixons les lignes de la communication qui est celle de l’État. Autrement dit, le Quai d’Orsay…

Q - D’accord mais ça vous aide quand ils parlent, ça accentue la pression internationale ou pas ?

R - Excusez-moi. Les familles d’otages traversent elles-mêmes des épreuves qui sont très difficiles. Et c’est pourquoi elles ont un référent, une personne contact en permanence au Quai d’Orsay. Cette personne contact va les prévenir systématiquement lorsque le Quai d’Orsay va prendre une position, lorsque le ministre va s’exprimer, pour qu’il n’y ait pas de surprise, pour que tout soit toujours coordonné au mieux. Alors bien sûr qu’il y a des frustrations. Et certaines des frustrations de Benjamin Brière sont légitimes et justifiées. Quand vous avez été détenu pendant plusieurs années dans un pays comme l’Iran et que vous revenez en France, c’est non seulement un moment difficile puisque vous devez vous reconstruire. Mais ça peut être aussi un casse-tête, un labyrinthe pour retrouver l’accès à vos droits les plus élémentaires. Et je crois que nous pourrions améliorer les conditions…

Q - Même pour retrouver un travail parfois. Parce que ça peut faire peur à un employeur, quelqu’un qui a été détenu pendant trois ans…

R - C’est moins cela que, vous savez, une forme de bureaucratie qui fait qu’on vous demande « mais vous étiez où pendant ces trois ans ? - Eh bien, j’étais en détention. »

Q - Mais donc il faut améliorer, il faut créer un statut d’otage d’État ?

R - Il faut sans doute créer des facilités pour que lorsque nos compatriotes rentrent de la captivité, le chemin vers la réintégration totale dans la société française soit facilité. Je crois que c’est important et j’ai déjà eu des échanges avec le garde des Sceaux sur ce sujet. J’espère que nous pourrons avancer rapidement.

Q - Jean-Noël Barrot, il faut que l’on avance. Téhéran a annoncé hier que l’Iranienne Mahdieh Esfandiari, détenue en France depuis février pour apologie du terrorisme, avait été libérée et se trouvait désormais à l’ambassade d’Iran à Paris, donc c’est une annonce au lendemain de la libération conditionnelle de nos ressortissants. Est-ce que vous nous le confirmez et est-ce que c’est la contrepartie de la France ?

R - Si vous avez des questions à poser à l’autorité judiciaire, je vous invite à le faire. Quant à nous, nous allons rester mobilisés, nous n’allons épargner aucun effort pour obtenir la libération immédiate et inconditionnelle, définitive, de Cécile Kohler et Jacques Paris.

Q - Votre homologue iranien est plus bavard que vous sur ce point et on comprend pourquoi. Le procès de cette femme sera en janvier. Ça veut dire que ça peut être très très très long pour nos deux otages d’État bloqués à l’ambassade. C’est une possibilité ?

R - Je vous l’ai dit. Malheureusement, je dirais la misère mais aussi la grandeur du métier de diplomate, c’est que nous travaillons souvent dans l’ombre, sans certitude de succès, sans certitude sur le calendrier, mais avec à cœur d’obtenir le résultat. Et le résultat, c’est la protection et la sécurité de nos compatriotes.

Q - Et donc vous ne voulez pas nous confirmer aujourd’hui que cette femme est actuellement à l’ambassade iranienne en France ?

R - Je vous invite à interroger la justice française qui est chargée de ce dossier.

Q - Que dites-vous aux Français qui voudraient se rendre en Iran pour du tourisme aujourd’hui ? Surtout, n’y allez surtout pas ?

R - Je leur dis, en général, que dans le monde qui se brutalise, ils sont invités à consulter les informations mises à leur disposition par le ministère des affaires étrangères, par le Quai d’Orsay, et la rubrique « Conseil aux voyageurs » du site diplomatie.gouv.fr, qui indique très clairement les zones du monde dans lesquelles ils peuvent se mettre en danger s’ils s’y rendent.

Q - Et donc l’Iran, non ?

R - L’Iran fait partie des zones qui sont formellement déconseillées à nos compatriotes.
Q - Est-ce que c’est irresponsable de se rendre en Iran aujourd’hui pour faire du tourisme ?

R - Je crois que lorsque l’on voyage, il faut tenir compte de sa propre sécurité, de la sécurité de nos compatriotes. Et donc j’invite chacun à suivre les recommandations du site Conseil aux voyageurs, qui est consulté par plusieurs dizaines de millions de Français chaque année, donc ça ne doit être pas si difficile à trouver en ligne. Allez-y avant de partir.

Q - Est-ce que vos services sont un chiffre approximatif de nombre de Français qui sont actuellement en Iran ? Est-ce que vous êtes inquiet pour eux ?

R - Nous en avons, puisque vous vous souvenez qu’au mois de juin, une guerre a opposé Israël à l’Iran et qu’à ce moment-là, nous avons veillé à la sécurité de nos compatriotes sur place et à créer les conditions de leur sortie du territoire iranien. Je n’ai pas de chiffre consolidé, mais c’est de l’ordre d’un millier de Français ou de personnes disposant de la nationalité française qui, à l’époque, était en Iran. Ce que j’évoquais à l’instant, c’est évidemment que le site Conseil aux voyageurs n’est pas là pour prescrire à des personnes, à des compatriotes qui ont leur vie en Iran de quitter. Ça arrive que l’on invite nos compatriotes à quitter un pays en question, mais c’est un peu différent. Je vous parle des Français de passage, des Français qui voyagent…

Q - Ceux qui vivent là-bas, vous ne leur dites pas de revenir ?

R - Ce n’est pas en tout cas ce que le site Conseil aux voyageurs indique à ce stade.

Q - Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous restez avec nous dans un instant. La France est-elle vraiment décidée à sanctionner Shein ? Est-ce que la relation avec Alger s’est améliorée depuis le départ de Bruno Retailleau ? Mais tout de suite, il est 8h47 et c’est « L’Info en une minute » avec Manon Lombard-Brunel.
[…]

Q - Avec Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, l’exécutif hausse le ton contre Shein, Paul.

Q - Oui, après la vente de poupées pédopornographiques, on a appris hier que des armes comme des machettes ou des haches étaient en vente libre sur la plateforme Shein. Sébastien Lecornu a annoncé que le Gouvernement a engagé une procédure de suspension de la plateforme chinoise. Un délai de 48 heures leur a été accordé. Si elle ne se conforme pas, on ne pourra plus acheter sur le site en France, sur Shein, qu’en pense le ministre des affaires étrangères que vous êtes ?

R - J’en pense du bien et je me félicite que le Premier ministre ait demandé à la fois l’ouverture d’une procédure de suspension, comme vous venez de la décrire, mais qu’il ait aussi demandé au ministre de l’intérieur de demander le blocage à la justice du site. Et je vais aller plus loin. Je pense que la plateforme est de toute évidence en infraction avec les règles européennes dont nous nous sommes dotés en 2022 sous l’impulsion française. Je pense que la Commission européenne doit sévir. Elle ne peut plus attendre.

Q - Parce que ça fait depuis longtemps que la Commission européenne est saisie du cas de Shein et il ne se passe rien.

R - Mais pas que du cas de Shein, de toutes ces plateformes, que ce soit les places de marché, celles où on s’échange des produits, ou que ce soit les réseaux sociaux, vous voyez bien tous les abus qui posent des questions d’ordre public, de sécurité publique, et qui posent une menace sur la qualité de notre débat public. Tout cela, nous l’avons encadré par des règles qui ne sont pas respectées. Et donc la Commission européenne, ça fait trois ans que ces règles ont été adoptées, doit sévir, elle doit prendre des sanctions.

Q - Est-ce qu’une demande spécifique de la France a été faite en ce sens à l’Europe ?

R - Oui, par le ministre de l’économie et la ministre chargée du numérique. Je soutiens cette démarche, je vais l’appuyer de toutes mes forces. Il faut que la Commission prenne les sanctions. Elle peut aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial, ce qui n’est pas neutre.

Q - Pourquoi on doit prendre des sanctions si on autorise Shein à s’étendre chaque jour davantage en France ? Hier, un magasin a été ouvert au BHV. Dans les jours qui viennent, plusieurs boutiques doivent ouvrir à Grenoble, Reims, Dijon, Limoges, Angers. Vous ne découvrez pas les infractions de cette plateforme ?
R - Alors, il y a deux sujets, je pense, et deux sujets de grande importance. Le premier sujet, c’est ce qu’il se passe en ligne. Et on a laissé prospérer des grandes plateformes dont les règles sont fixées par des milliardaires chinois et américains, et qui viennent perturber la vie économique, sociale, démocratique de la Nation. C’est inacceptable. Des règles ont été fixées. La Commission a diligenté certaines enquêtes. Elle doit maintenant les assortir de sanctions. Et ensuite, il y a le sujet que vous évoquez, c’est-à-dire la concurrence que représentent ces grandes plateformes de distribution pour le petit commerce. Si nous ne faisons rien, si nous laissons faire, nous allons voir les petits commerces disparaître de nos centres-villes et du centre de nos villages. Et ce sera la mort de nos villes et de nos villages. Et donc il nous faut réagir. La taxe de deux euros sur les petits colis est une première réponse. Les douanes doivent aussi se mobiliser, et pas uniquement les effectifs des douanes françaises, mais les garde-frontières européens, parce qu’il y a dans ce flux massif de petits colis qui vient inonder nos villes et nos villages, des produits contrefaits, des produits mauvais pour la santé ou des produits illicites. Ce n’est pas possible. On doit reprendre le contrôle de nos frontières s’agissant des produits qui rentrent sur le territoire de l’Union européenne et de la France.

Q - C’est un débat passionnant parce que les Français continuent à l’utiliser massivement, donc on en reparlera sur France Info. Mais on a tellement de thèmes, que je vous interroge à présent sur l’Algérie. On apprend que le ministre de l’intérieur, le nouveau ministre de l’intérieur, Laurent Nuñes, qui, on va en parler, a une ligne très différente de celle de Bruno Retailleau, a reçu une invitation pour se rendre en Algérie afin de renouer le dialogue et de relancer la coopération sécuritaire entre les deux pays. Qu’est-ce que vous attendez de cette visite ?
R - Le Premier ministre l’a dit cette semaine de manière très claire. Il faut arrêter de faire de l’Algérie un sujet de politique intérieure. Et il faut, dans un dialogue exigeant, qui vise à protéger nos intérêts, obtenir des résultats sur la libération d’abord de nos deux compatriotes, Boualem Sansal et Christophe Gleizes. Sur la coopération en matière de sécurité puisqu’au sud de l’Algérie se situe l’un des principaux foyers mondiaux du terrorisme islamiste. Et puis la coopération migratoire puisque nous avons besoin de coopérer avec l’Algérie pour expulser les Algériens en situation irrégulière sur le territoire national. S’ajoute à cela une dimension qui est souvent éclipsée dans ce débat qui est la question économique. Beaucoup d’entreprises en France, notamment des PME du secteur de l’agroalimentaire, pâtissent des tensions qui ont émaillé la relation depuis un an. Et donc, ce sont ces intérêts que nous devons défendre dans un dialogue exigeant. C’est la ligne fixée par le Premier ministre. Nous allons nous y tenir.

Q - Jean-Noël Barrot, vous avez eu des différends sur la méthode avec Bruno Retailleau. Est-ce que vous êtes satisfait que cette page soit tournée ? Bruno Retailleau, d’ailleurs, déplore dans le Figaro de ne pas avoir été soutenu assez par l’Élysée, que l’Élysée n’ait pas voulu assumer sa ligne de fermeté.

R - Je crois que la fermeté a été au rendez-vous puisque nous avons, chaque fois que nos intérêts ont été en jeu, répliqué avec beaucoup de force aux mesures très brutales qui ont été prises par les autorités algériennes. Et notre message a été très clair. Nous avons des intérêts à défendre, les intérêts des Françaises et des Français. Et pour ça, nous devons coopérer. Mais pour coopérer, il faut être deux. Et il appartient aux autorités algériennes de démontrer leur volonté de coopérer, d’entrer dans ce dialogue exigeant.

Q - Une question, je veux donner une réponse assez concise, parce qu’il faut aussi qu’on vous parle du narcotrafic. Sur les accords de 1968, ça paraît technique, mais c’est un point éminemment politique, le Premier ministre Sébastien Lecornu a souhaité mardi que la renégociation de l’accord de 1968 démarre le plus vite possible après l’adoption à l’Assemblée d’une résolution, on s’en souvient, du Rassemblement national pour dénoncer ces accords. En quelques mots, est-ce que vous êtes pour cette renégociation ?

R - Pour cette renégociation.

Q - C’est quelques mots, merci. On continue Agathe ?

Q - Ça fait 15 ans que la France essaie de renégocier, mais il faut être deux pour renégocier. Pour l’instant, l’Algérie…

R - Mais on a renégocié déjà plusieurs fois, sous des gouvernements de gauche, sous des gouvernements de droite…

Q - Oui, mais ça fait 15 ans qu’on essaie de renégocier.

R - On a dit en 2022 qu’on allait renégocier…

Q - C’est issu d’un rapport fait par deux macronistes à l’Assemblée.

R - Mais quand on a un accord qui lie deux pays souverains, il doit être renégocié dans le respect de la souveraineté des deux pays.

Q - Est-ce que c’est normal qu’un pays qui détient toujours Boualem Sansal et Christophe Gleizes bénéficie d’un régime dérogatoire en France ? Et quand est-ce que vous espérez une libération de ces deux compatriotes ?

R - Je vous l’ai dit, nos deux compatriotes, les questions migratoires, les questions sécuritaires, les questions économiques, c’est l’ensemble des sujets que nous voulons aborder, de même que la renégociation de cet accord de 68.

Q - Vous décollez demain pour le Mexique et vous serez samedi en Colombie, notamment pour parler de coopération en matière de narcotrafic et présenter votre feuille de route en quelques mots. Quelle est-elle ?

R - Narcotrafic, criminalité organisée, c’est un fléau qui lui aussi perturbe de manière très significative la vie de la Nation. Et donc je veux aller traiter le mal à la racine en faisant monter le Quai d’Orsay en première ligne. J’irai au Mexique où je retrouverai le président de la République, puis en Colombie pour signer de nouveaux accords de coopération avec les pays qui, sur place, bénéficient de notre coopération, de notre soutien en matière de douanes, en matière de lutte contre les criminels. Je renforcerai nos effectifs sur place. Je réorienterai des financements, notamment des crédits de l’aide publique au développement pour soutenir les efforts des pays sur place. Et je proposerai dans quelques jours, d’une part, la création à venir d’une école pour la lutte contre la criminalité organisée dans la région, comme nous en avons d’autres, animées par le Quai d’Orsay, dans d’autres régions du monde. Et je présenterai dans quelques jours également un régime de sanctions européen dans la lutte contre les criminels du narcotrafic, de la traite des êtres humains, etc.

Q - Jean-Noël Barrot, autre sujet. On a reçu le témoignage ce matin de cette femme, Sana. Elle revient de l’enfer de Daesh, emmenée de force en Syrie en 2014. Elle est aujourd’hui considérée comme une victime par la justice française après son rapatriement. Écoutez, elle demande la nationalité.
[…]

Q - Allez-vous lui accorder la nationalité française ?

R - Ce n’est pas le ministère des affaires étrangères qui traite ce type de questions.

Q - Non mais le rapatriement…

R - Exactement. Ce que je peux dire, c’est que nous avons, dans des conditions très difficiles, rapatrié les femmes et les enfants qui, détenus dans les camps des prisonniers du nord-est syrien, parce qu’appartenant à des familles de combattants de Daesh étaient en quelque sorte otages de décisions qui avaient été prises en leur nom. C’est l’honneur de la France de l’avoir fait et je veux remercier ici tous les services de l’État, au premier rang desquels les missions du Quai d’Orsay qui se sont rendues sur place pour organiser ces rapatriements, mais ensuite tous les services de l’État qui se sont mobilisés pour que le retour de ces mères et de ces enfants issus de familles de combattants terroristes puisse être pris en charge dans des conditions qui assurent la sécurité des Françaises et des Français.

Q - 8h58 sur France Info, l’heure de la « Question qui ? » Aujourd’hui, la « question Qui ? » Mamdani. Toute la gauche des Insoumis à Marine Tondelier, en passant par François Ruffin et Clémentine Autain, toute la gauche tente de surfer sur le succès du nouveau maire, une grande partie de la gauche tente de surfer sur le succès de Zohran Mamdani. Donc, que pensez-vous du médiatique nouveau maire de New York ?

R - Je suis un peu étonné de voir des élus d’une partie de la gauche essayer de s’approprier cette victoire. Je crois comprendre que certains ont même été faire campagne sur place. Je trouverais cela étrange que des parlementaires américains viennent faire campagne en France et je pense que ça choquerait un certain nombre de nos compatriotes. Ensuite, ce que je constate de cette campagne, c’est que la radicalité des uns entraîne la radicalité des autres. Et ce que je constate également, c’est que les invectives ne payent pas, puisque le nouveau maire de New York a fait l’objet d’une campagne massive d’invectives et d’insultes par ses adversaires qui ne leur ont pas réussi.

Q - D’un mot, Jean-Luc Mélenchon déplore la différence de traitement de la gauche radicale perçue comme un antidote à Trump aux États-Unis, mais comme un péril populiste à Paris. Qu’est-ce que vous lui répondez ?

R - J’attends de voir si c’est réellement un antidote à Trump, puisque je vous invite à consulter les scores de cette élection, qui était particulière, il est vrai, mais le nouveau maire, auquel je souhaite pleine réussite dans l’exercice de ses fonctions, a obtenu un score qui, somme toute, est en retrait par rapport au score traditionnel des démocrates à New York.

Q - Merci Jean-Noël Barrot d’avoir répondu aux questions de France Info. Merci beaucoup Paul.

Q - Merci Agathe.