Conférence « Sauvegarder le droit international humanitaire » - Propos de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères (Paris, 30 octobre 2025)
Je veux renforcer ce que vient de dire Mirjana [Spoljaric-Egger] à l’instant. Ce que les chiffres nous disent, c’est que nous sommes entrés dans une période où le droit international humanitaire est foulé au pied, où les guerres deviennent beaucoup plus sales qu’elles ne l’étaient auparavant. Ce sont les Nations unies qui nous disent qu’avec 150 millions de personnes déplacées, au travers des 120-130 conflits qu’évoquait Mirjana, nous atteignons aujourd’hui un niveau record en matière de violation de la dignité de la personne humaine et des droits humains.
Penchez-vous, puisque le cas du Soudan a été évoqué avec la chute d’El-Fasher qui nous fait craindre le pire, penchez-vous sur la situation à l’est de la République démocratique du Congo et plus particulièrement sur la situation humanitaire qui sera au cœur de la conférence que nous accueillerons cet après-midi à Paris pour apporter des réponses. Ce sont près de 28 millions de personnes qui sont en situation de crise alimentaire, dont cinq millions en situation de crise aiguë. C’est sept millions de personnes déplacées. C’est une femme violée toutes les quatre minutes et c’est le risque majeur de voir ressurgir des épidémies dévastatrices comme le VIH ou encore Ebola.
Ce dont nous nous apercevons au Soudan, à l’est de la République démocratique du Congo, à Gaza, c’est que le droit de la guerre, le droit international humanitaire est foulé au pied et que non seulement le nombre de conflits augmente, mais la manière de faire la guerre se dégrade. Et chaque fois qu’elle se dégrade, comme l’a dit Mirjana, c’est une nouvelle jurisprudence qui s’installe avec une carte blanche donnée aux belligérants dans d’autres théâtres pour se comporter de la même manière. Il faut évidemment que cela s’arrête. Et je veux qu’on distingue dans ce panel ce qui relève du droit international, de la résolution du conflit, de ce qui relève du droit de la guerre et du droit international humanitaire. N’ayons pas la prétention dans ce panel de mettre fin à tous les conflits, mais travaillons de concert à ce que lorsque des conflits éclatent, ils préservent les civils, ils préservent les travailleurs humanitaires, ils préservent la dignité de la personne humaine.
Pour ça, la France s’engage de différentes manières. Et c’est sa responsabilité, son devoir en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. D’abord en plaidant activement pour débloquer le Conseil de sécurité dans sa capacité et dans sa responsabilité de veiller à ce que le droit international humanitaire puisse être respecté. Pourquoi nous appelons à ce que deux sièges de membres permanents puissent être attribués à l’Afrique ? Que le Japon, l’Inde, le Brésil, l’Allemagne puissent siéger également au Conseil de sécurité ? De manière à ce qu’il soit plus représentatif et que ses décisions soient plus légitimes. Premier élément.
Deuxième élément, nous portons avec le Mexique, depuis des années maintenant, une initiative qui vise à limiter le droit de veto en cas d’atrocité de masse. Plus d’une centaine de pays soutiennent cette approche. Ça peut paraître un peu éloigné du sujet qui nous rassemble ce matin, mais au fond, c’est un sujet qui est directement lié au respect du droit international humanitaire, puisque dès lors que le droit de veto ne s’appliquerait pas en cas d’atrocité de masse, alors le Conseil de sécurité pourrait agir beaucoup plus résolument pour mettre fin à des catastrophes humanitaires telles que celles que nous avons pu observer ces dernières années.
Et puis, troisième initiative, celle que le CICR [Comité international de la Croix-Rouge] a lancée en nous proposant avec le Kazakhstan, la Jordanie, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine de la porter ensemble. Je me réjouis que cette initiative soit soutenue par un grand nombre de pays, dont l’Espagne, qui porte une voix singulière et forte sur ces questions. Et je remercie beaucoup mon collègue Ministre des affaires étrangères, avec lequel nous échangeons beaucoup de ces sujets, d’être présent aujourd’hui au Forum de Paris sur la paix et d’avoir choisi parmi les nombreux segments auxquels il aurait pu participer, ce segment consacré à la défense et au respect du droit international humanitaire. Et à travers lui, je veux remercier l’Espagne, qui est un soutien de longue date du Forum de Paris sur la paix, ce qui témoigne de son attachement au multilatéralisme et aux logiques de coopération pour la résolution des enjeux mondiaux.
Donc cette initiative, je vais vous parler très librement et en toute transparence, c’est à la fois pour porter un message politique de soutien de la part d’un grand nombre de pays au respect du droit international humanitaire et c’est la mise en commun de bonnes pratiques pour le respect du droit international humanitaire parce que les questions humanitaires sont parfois instrumentalisées à des fins politiques, mais parfois on manque tout simplement, les armées, les belligérants, manquent tout simplement de savoir-faire pour que le droit international humanitaire soit respecté. À ce stade, même si je me félicite que cette initiative portée par le Comité international de la Croix-Rouge ait recueilli un grand nombre de soutiens, je dois dire que j’ai été un peu déçu, puisque lorsque nous nous sommes rassemblés à New York pour formellement acter la création de ce groupe et nous projeter toutes et tous vers la conférence internationale de 2026 qui sera consacrée à ce sujet, j’avais proposé que nous puissions, avec les membres fondateurs, prendre une première déclaration sur la situation humanitaire, notamment à Gaza, qui me paraissait être consensuelle, en faisant abstraction des considérations politiques et en se concentrant sur le respect du droit international humanitaire. Nous ne sommes pas parvenus à l’époque à prendre une telle déclaration.
Alors ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas travailler dur à ce que cette conférence internationale en 2026 ne soit pas un grand succès. Elle doit être un grand succès, c’est un impératif pour montrer la pression politique internationale sur ces sujets et puis pour développer au maximum les bonnes pratiques. Que dans tous nos pays et dans tous les pays qui sont amenés à être engagés sur ces questions de respect du droit international humanitaire, les armées puissent être formées au respect de ce droit, que les diplomates puissent l’être également et que les bonnes pratiques des uns deviennent les bonnes pratiques des autres et pour qu’on puisse progressivement relever le niveau de la jurisprudence plutôt que de la laisser, comme nous le voyons malheureusement autour de nous, s’abaisser avec des standards qui deviennent inacceptables et qui trahissent en quelque sorte la promesse qui était celle des Nations unies il y a 80 ans.
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Q - Monsieur le ministre, France is a permanent member of the UN Security Council, in a world where the Council is increasingly gridlocked. The institutions, once seen as the custodians of international humanitarian law, often struggle to act in a timely or unified manner. In such a context, who should now assume the moral and political responsibility for upholding IHL ? Thank you.
R - I don’t see any other credible fora than the Security Council. I do think that the Paris Peace Forum can play, in certain instances, an important role, in particular for those forgotten conflicts or tensions that risk deriving into full-blown wars. This is the case in certain regions in Africa. This is the case of the Western Balkans. And you have probably noticed that a number of Western Balkan leaders were present this week in Paris for this eighth edition, and that the French president hosted a meeting with the three members of the Bosnian presidency, which is something that really does not happen anywhere else in the world today.
And so, Paris Peace Forum has, I think, an important role to play to facilitate discussions leading to the reduction in tensions and avoidance of future conflicts but the Security Council will, or has to, play a very important role moving forward and that’s why we are pleading so hard in favor of Security Council reform, to unlock those decisions that are blocked by veto in the case where the most basic human rights are affected. That’s the veto initiative that we are carrying with Mexico. And then, we need a Security Council that is more legitimate and that is why we are pleading for an extension of the permanent members around the tables, such that the decisions of the Security Council carry the weight of more representativeness of the world like it is today, not like it was 80 years ago.
So as a permanent member, we will work hard for these institutions to be reformed and reinforced. And I think, again, that the Paris Peace Forum can be a useful rendez-vous, a useful meeting point every year for all of those who care enough about multilateralism, and efficient multilateralism, to gather and find ways to build coalitions, not to compete against traditional multilateralism, but to strengthen it from the inside.