Cérémonie de clôture du Centenaire de la Cité internationale universitaire de Paris - Discours de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères (Paris, 17 décembre 2025)
Mesdames et Messieurs les ambassadrices et ambassadeurs,
Monsieur le président de la Cité internationale universitaire de Paris, cher Jean-Marc Sauvé,
Mesdames et Messieurs les présidents d’universités, les directrices et directeurs de maisons, les résidents et Alumni, chers amis de la Cité internationale universitaire de Paris,
Créer « un lieu où les jeunes de tous les pays puissent, à l’âge où l’on fait des amitiés durables, avoir des contacts qui leur permettent de se connaître et de s’apprécier ». Voilà comment André Honnorat, ministre de l’instruction publique, décrit pour la première fois le projet de la Cité internationale universitaire de Paris. C’était il y a 100 ans, dans un monde ruiné par la Première Guerre mondiale, dans le sillage de la Société des Nations et du traité de Locarno, signé en octobre 1925, pour assurer la sécurité collective en Europe. C’est alors que quelques esprits pionniers, grands serviteurs de l’État ou mécènes éclairés, refusent de croire que l’avenir de l’Europe se résume à l’affrontement des nations.
Cette année 1925 est intéressante à bien des égards. Je citais à l’instant la signature du traité de Locarno, qui est la forge de l’amitié franco-allemande, puisque pour la première fois, entre Briand et Stresemann, se noue une relation d’amitié entre deux leaders de nos deux pays. C’est la naissance de la Cité internationale universitaire. C’est le moment de l’essor des grands mouvements de jeunesse, des auberges de jeunesse, des jeunesses ouvrières chrétiennes, des jeunesses agricoles chrétiennes, du scoutisme aussi. Un mouvement qui voulait en finir avec la guerre et créer les conditions d’une paix durable sur le continent européen, passant par la réconciliation entre les peuples.
Souvent, quand on fait l’éloge de cette période-là, de cette année-là, 1925, on voit les sourcils se lever. De la même manière que lorsqu’on parle de la Société des Nations, on sent une forme de scepticisme naître dans l’esprit de celle ou celui auquel on en parle. Comme si, au fond, ces efforts avaient été en vain, puisque quelques années plus tard, pour une deuxième fois, la guerre ruinait et déshonorait le continent européen. Mais c’est une erreur. C’est une erreur fondamentale d’appréciation. Parce que si, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, des femmes et des hommes, qui en avaient subi d’ailleurs les conséquences et qui ont conservé les séquelles, ont réussi à avoir la hauteur de vue de faire le choix de la réconciliation, et notamment de la réconciliation franco-allemande, c’est parce qu’ils avaient forgé ici, dans les mouvements de jeunesse, dans les auberges de jeunesse, dans cet esprit de la Société des Nations, cette culture de l’amitié entre les peuples et de la réconciliation qu’ils ont pu à nouveau convoquer après la Seconde Guerre mondiale. Et c’est Marc Sangnier qui a sans doute la formule la plus explicite de tout ce qu’ont produit ces initiatives de l’année 1925 et des années alentours : c’est dans un « sillon », où le sang s’est déversé, que ces graines ont été semées, mais qui ont ensuite produit des fleurs qui ont permis à l’Europe de vivre huit décennies de paix et de prospérité. Alors, vive 2025, oui, mais vive 1925 et vive toutes ces initiatives qui, aux côtés de la Cité internationale universitaire, ont préparé les artisans, ou celles et ceux qui allaient devenir les artisans de la paix, en leur permettant de développer cette conscience-là et de forger leur humanité.
À l’époque, Paris connaît une crise du logement et les étudiants peinent à trouver un toit. La ville de Paris cède alors à l’État une bande de 9 hectares au sud du 14e arrondissement, en bordure du parc Montsouris. Autour d’André Honnorat se rassemblent alors Paul Appell, Émile et Louise Deutsch de la Meurthe, Jean Branet, David David-Weill. Ils ont en commun une vision humaniste et font un pari audacieux, celui de la rencontre entre les jeunesses du monde entier. Une rencontre quotidienne pour cultiver la paix.
Et c’est ainsi qu’est créée, en 1925, la Cité internationale universitaire de Paris, pensée dès l’origine comme une cité-monde. Un lieu où des étudiants venus de tous les continents peuvent vivre et étudier ensemble, un lieu où l’étranger cesse d’être une abstraction pour devenir un voisin, un camarade et souvent un ami. Cette ambition se lie dans l’architecture de la cité, semblable aux pavillons d’une Exposition universelle : 47 maisons, financées par des États, des fondations ou des écoles, qui prouvent que l’universel ne se bâtit contre les identités, mais à partir d’elles.
La première maison à voir le jour est celle de la Fondation Deutsch de la Meurthe, inaugurée en 1925. Elle frappe par sa sobriété. Progressivement, les maisons s’agrandissent et se modernisent. Elles sont les témoins de l’architecture des XXe et XXIe siècles : Bechmann, Le Corbusier, Dudok, Parent ou plus récemment Lipsky et Rollet ou l’atelier chinois Feichang Jianzhu. Des styles, des époques, des sensibilités qui se répondent.
La Cité n’est pas un décor figé. Ses allées et ses jardins sont des lieux de rencontres et d’échange. Elle abrite aujourd’hui 12.000 étudiants de 150 nationalités différentes. En un siècle, la cité a accueilli près d’un demi-million d’étudiants. Ce sont autant de liens tissés avec notre pays à travers son histoire. Elle a traversé la Seconde Guerre mondiale, les fractures idéologiques, les décolonisations, les grandes mobilisations étudiantes, les recompositions géopolitiques. Mais elle n’a jamais renoncé à son idéal fondateur : démontrer que les identités peuvent dialoguer et se réconcilier dès lors que sont réunies les conditions du respect.
Aujourd’hui, dans un monde marqué par les replis identitaires, les polarisations et la désinformation, la Cité internationale apparaît plus que jamais comme un contre-modèle si précieux. Elle accueille des jeunes de toutes conditions, tous horizons, sur la base de leur mérite et de leur motivation. Elle démontre chaque jour que la diversité, lorsqu’elle est vécue et partagée, est une force. À l’heure des grandes transitions écologiques, technologiques et démographiques, nous avons plus que jamais besoin de regards croisés pour comprendre et transformer le monde.
C’est dans cet esprit que le mon ministère a participé, tout au long de l’année 2025, à la célébration du centenaire de la Cité internationale. En juin dernier, nous avons soutenu le Forum sur l’internationalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche des Afriques, organisé par la Fondation Lucien Paye. Au début du mois de décembre, nous avons contribué au colloque sur les mobilités académiques face aux fractures du monde. Ces événements, comme l’ensemble de la programmation du centenaire, soulignent combien la Cité demeure un lieu central de réflexion, de dialogue et d’action.
Mesdames et Messieurs, à l’heure où certains cherchent à contraindre ou à restreindre la recherche, la France et l’Europe réaffirment leur attachement indéfectible à la liberté académique. La liberté de se poser toutes les questions, de débattre et de confronter toutes les approches. Le récent prix Nobel d’économie, notre ami Philippe Aghion, nous rappelle combien l’innovation est un véritable carburant pour nos sociétés. Or l’innovation passe par des institutions ouvertes et compétitives, par la diversité du capital humain, par l’éducation et la recherche, par une science libre et ouverte.
C’est pourquoi nous adressons un message clair aux étudiants et chercheurs du monde entier : vous êtes les bienvenus en France. Venez étudier chez nous, ici, à la Cité internationale universitaire de Paris. Venez créer dans nos universités et nos laboratoires, où vos travaux pourront s’exprimer librement et être reconnus. Entre 2019 et 2025, le nombre d’étudiants internationaux en France est passé de 350.000 à plus de 440.000. Cette dynamique est une fierté pour notre pays et une richesse pour la société française.
En célébrant aujourd’hui le centenaire de la Cité internationale, nous ne rendons pas seulement hommage à une institution exceptionnelle, nous réaffirmons notre attachement à des idées humanistes et généreuses qui considèrent les échanges intellectuels comme le levier d’Archimède le plus puissant du monde. Ces idées humanistes ont prouvé leur pertinence depuis cent ans, elles méritent que nous les portions encore pour les cent ans qui viennent.
C’est pourquoi je veux saluer toutes les équipes de la Cité internationale, son président Jean-Marc Sauvé, et toutes celles et ceux qui, depuis un siècle, prennent soin de ce bien commun.
Joyeux anniversaire à la Cité internationale universitaire de Paris, et que son centenaire ouvre un nouvel âge de rencontres, de liberté et d’espérance. Je vous remercie.