Entretien de Mme Éléonore Caroit, ministre déléguée auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l’étranger, avec « CNews » et « Europe 1 » - Extraits (Paris, 28 novembre 2025)
Q - 18h42, merci de nous recevoir chez vous sur CNews et sur Europe 1. Toujours à mes côtés, Véronique Jacquier, Louis de Raguenel, Olivier Benkemoun… Je n’ai oublié personne ? Je n’ai oublié personne. Et Éléonore Caroit.
R - Bonsoir.
Q - Bonsoir Éléonore Caroit, ministre délégué chargé de la francophonie. Merci d’avoir accepté de témoigner, d’être nos gros témoins ce soir sur « Punchline ».
(…)
Q - Boualem Sansal qui a appelé, dès qu’il a pu, à la réconciliation entre la France et l’Algérie. Il ne faut pas oublier, évidemment, Christophe Gleizes. On en est où, la relation entre la France et l’Algérie ? On a écouté Emmanuel Macron, qui disait qu’effectivement, il fallait renouer, etc. Et personne n’a oublié que Boualem Sansal a transité par l’Allemagne.
R - Ce que l’on voit surtout, c’est que la diplomatie paye. Que lorsque l’on entretient un dialogue, même si c’est un dialogue exigeant, difficile, un dialogue qui prend du temps, on arrive à…
Q - La diplomatie française, vous voulez dire ? Ou l’allemande ?
R - En l’occurrence, la diplomatie allemande, elle a été de concert avec la diplomatie française. Il ne vous aura pas échappé que les Allemands… Enfin, c’est un ressortissant français, que c’était vraiment la France qui, depuis des mois, se battait pour sa libération. Mais je salue évidemment le travail qu’ont fait nos alliés allemands. Maintenant, évidemment, je pense à Christophe Gleizes, qui aura son procès dans les prochains jours.
Q - Vous avez des nouvelles, de Christophe Gleizes ?
R - On en saura plus, comme vous le savez, dans les prochains jours. Et surtout, vous avez dit, ministre déléguée en charge de la francophonie, mais j’ai un titre un peu à rallonge.
Q - Oui c’est vrai. Des partenariats internationaux et des Français de l’étranger.
R - Voilà, moi je voulais en venir là, aux Français à l’étranger. Parce qu’on a à peu près trois millions de Français qui vivent partout dans le monde. Et on en a qui sont détenus, parfois détenus arbitrairement. Et ce que j’aimerais dire aux Français qui vivent à travers le monde, c’est déjà de bien indiquer à nos consulats, à nos postes où ils sont et s’inscrire au registre des Français de l’étranger. Et puis à nos Français qui voyagent, parce que nous sommes évidemment très nombreux à voyager, de bien suivre les Conseils aux voyageurs, de bien s’inscrire sur le Fil d’Ariane, d’être attentif à l’évolution, parce qu’on est dans un monde qui peut être dangereux, avec des situations qui peuvent changer assez brutalement. Et donc la priorité du ministère, et j’aimerais bien le dire, parce qu’on a tendance à voir la diplomatie comme quelque chose d’un peu éloigné, la priorité de cette diplomatie, c’est de protéger les Françaises et les Français. Et donc, évidemment qu’à travers le monde, on est très attentif à ces situations. Et dans les dernières semaines, on a quand même réussi, avec le concours d’autres États, à libérer Boualem Sansal, mais aussi Jacques Paris et Cécile Kohler, qui étaient en Iran ; aussi Camilo Castro, qui était au Vénézuéla. Donc en fait, ça, ça montre aussi l’importance que la France, que la diplomatie française, accorde à la protection des Français, où qu’ils soient.
Q - Éléonore Caroit, vous êtes ministre de la francophonie et il y a un certain nombre de pays, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, desquels la France n’a quasiment plus aucune empreinte dans ces pays-là, dans lesquels ce sont des pays francophones, puisque c’est la langue qui est la plus parlée. Aujourd’hui, quelles sont vos relations avec ces pays-là et en quoi consiste votre mission ?
R - Vous avez raison, il y a des pays avec lesquels c’est extrêmement difficile de maintenir ce dialogue et de maintenir cette diplomatie. Il y a des pays avec lesquels il y a d’ailleurs des ruptures de relations diplomatiques, qui peuvent être temporaires ou qui peuvent être plus longues, en fonction de coups d’État ou de situations insurrectionnelles ou autres. Mais ce qui est important, c’est qu’on garde toujours un dialogue avec les peuples. Il va y avoir dans quelques mois un sommet qui s’appelle Africa Forward, qui est un sommet entre les pays d’Afrique et la France, pour mettre en avant un partenariat. Parce qu’en fait, on a de plus en plus des relations partenariales avec des pays d’Afrique francophone et d’Afrique anglophone. Aujourd’hui, il y a 320 millions de personnes à travers le monde qui parlent notre langue, c’est une des langues les plus parlées. Et 60% de ces locuteurs du français sont sur le continent africain. Donc évidemment qu’il faut qu’on parle avec eux, évidemment qu’il faut aussi qu’on établisse des relations durables.
Q - Quand eux nous chassent, comment est-ce qu’on fait ?
R - Quand eux nous chassent, évidemment qu’on répond. Et puis la question, ce n’est pas d’avoir une diplomatie qui soit naïve ou qui ne soit pas à la hauteur des enjeux. Mais il faut maintenir le dialogue et surtout, il faut maintenir le dialogue avec les peuples, avec les jeunesses, avec les jeunesses africaines.
Q - Est-ce qu’il faut maintenir l’aide au développement ? Est-ce qu’il faut maintenir l’aide au développement ? Enfin, ça concerne l’Afrique, ça concerne effectivement une situation qui est de plus en plus périlleuse pour la France et pour les Français là-bas.
R - Il est évident que l’aide publique, ce qu’on appelle l’aide publique au développement, qui est une aide, d’ailleurs un investissement dans la plupart des cas, parce que dans 85% des projets de l’AFD, on parle de prêts et c’est seulement 15% de dons - mais je ne vais pas rentrer dans les détails. Il est évident que lorsque vous avez des ruptures des relations diplomatiques, vous ne faites pas de projet d’aide au développement ou d’investissement, parce que ça passe nécessairement par un dialogue entre deux États. Maintenant, avec la grande majorité des pays, on a des relations diplomatiques,
Q - Ça veut dire qu’avec certains pays, il y a carrément rupture de coopération ?
R - Il y a rupture de coopération lorsqu’il n’y a plus de… Typiquement, je pourrais vous citer la liste concrètement de tous les pays avec lesquels on a une vraie rupture suite, justement, à des conflits diplomatiques. Mais ça existe. Je vous promets que la prochaine fois que vous m’inviterez, je vous apporterai tous les détails. Mais en revanche, ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est qu’il y a une forte attention à comment cet investissement est fait et qu’il est nécessairement fait avec des pays avec lesquels on a un dialogue.
(…)
Q - Avant que vous n’arriviez, on évoquait avec mes amis de ce vendredi soir le ras-le-bol fiscal des Français ? Qu’est-ce que vous dites aux auditeurs d’Europe 1 et aux téléspectateurs de CNews ce soir, pour les rassurer ou tenter de les rassurer ?
R - Moi, je suis tout à fait d’accord avec ça. Je suis contre les augmentations d’impôts et je suis surtout pour qu’on puisse faire des économies, pour maintenir notre trajectoire budgétaire, pour pouvoir respecter nos engagements et surtout pour que la dette ne soit pas aussi chère. C’est assez simple. On n’a pas envie de mettre une partie aussi grande de la dépense publique dans le remboursement de la dette. Et ça, je pense que tout le monde peut le comprendre. Ce que je vais leur dire, c’est qu’on est évidemment très attentifs, et que tous les ministères font des économies, ont leurs budgets qui sont réduits ; et qu’ensuite, au sein de ces budgets, on regarde quelles sont les priorités. Et moi, ma priorité, dans le portefeuille qui m’a été confié, c’est qu’à chaque fois, chaque euro dépensé soit un euro qui soit au bénéfice des Français. Et encore une fois, même quand on pense à la diplomatie, qu’on s’imagine que c’est assez éloigné, c’est la protection des Français. Par exemple, on parlait d’aide publique au développement. Moi, j’ai envie que l’aide publique au développement, elle soit très focalisée sur la santé mondiale, parce que ça a un impact sur les Français. Elle soit focalisée sur la lutte contre le narcotrafic, parce que quand vous luttez contre le narcotrafic dans les pays producteurs, vous êtes aussi en train de protéger les Français. Que vraiment, il y ait des priorités et qu’on pense toujours et d’abord aux Françaises et aux Français.
Q - Mais pardon, il y a l’aide au développement, ce qui est énorme, 13 milliards. On se dit, mais à quoi ça sert, autant d’argent qui est donné partout dans le monde, alors que nos finances sont à zéro et à moins que zéro ? Donc ça, on ne comprend pas…
Q - Surtout concernant certains pays…
R - Vous m’autorisez, on va rentrer un tout petit peu…
Q - Il y a des chèques, il n’y a pas très longtemps, on va parler de ce chèque de 100 millions qui est fait pour Gaza, par le chef de l’État, qui ne passe même pas par l’aide au développement. Ça fait trois chèques qu’il fait comme ça. Il y a de quoi être agacé, pour les Français.
R - Pour le coup, c’est un sujet qui est assez méconnu et qui est souvent un peu fantasmé. Quand vous regardez le budget du ministère, ce qui a été proposé dans la copie de cette coopération internationale de développement, où moi j’ai envie de l’appeler investissement durable, on a à peu près 3,7 milliards d’euros. La moitié va à l’Agence française de développement. Et je vous disais, la grande majorité de ce qu’ils font, dans la quasi-totalité des pays, Ils font des prêts. Et des prêts qui, en fait, rapportent de l’argent à cette agence. Vous pourrez vous demander, à juste titre, est-ce qu’on a envie de prêter de l’argent à d’autres pays ? Et moi, je vous répondrai…
Q - Est-ce qu’on a besoin d’aider la Chine, par exemple ? Est-ce qu’on a besoin d’investir en Chine ?
Q - Ou au Mali ou en Algérie, par exemple ?
R - Non, au Mali, on n’y est plus, justement. Vous me demandiez des pays dans lesquels on avait arrêté. On a arrêté les nouveaux projets depuis qu’on a rompu les relations. Mais ce que je veux vous dire, c’est qu’en Chine, par exemple, depuis 2021, on ne donne plus de subventions. Ce ne sont que des prêts. Et ces prêts, ils sont dans des sujets qui ont un impact. Quand vous pensez par exemple au climat, réduire les émissions en Chine, ça a aussi un impact en France, même si vous pouvez voir que c’est plus indirect. Mais ce sont des prêts qui sont faits à des conditions qui sont favorables. Pourquoi je vous dis que c’est important ? Je vais vous donner un autre exemple, et je vous promets que je serai vraiment très brève.
Q - J’ai une dernière question à poser, et j’aurai besoin d’une réponse rapide..
R - Sur le narcotrafic, lorsque vous substituez des plantations de coca en Bolivie avec, justement, un prêt, pas un don, et que vous faites en sorte que l’on produise du café qui va être ensuite commercialisé par des entreprises françaises, c’est ça l’aide publique au développement. Et ça, ça protège les Français. Et moi j’ai envie qu’on fasse plus de cette aide au développement et moins d’autres types d’aide au développement dont l’impact est moins direct.
Q - Dernière question, Éléonore Caroit. Je reprends vos propos. Le 30 septembre 2024, vous avez déclaré « L’immigration est une chance pour notre pays. Nous devons la réguler, la maîtriser et ne jamais la subir. » Un an plus tard, est-ce que vous avez le même avis ? Réponse rapide.
R - Oui, moi je pense qu’il faut évidemment être dans la maîtrise de ses frontières, être dans la maîtrise de son immigration, mais que c’est dans la grande majorité des cas. Enfin, je ne sais pas. C’est de la sémantique, mais c’est important de pouvoir maîtriser ses flux et de pouvoir protéger son pays. Et en même temps, les immigrés apportent beaucoup à notre pays. Moi, je représente des Français qui sont partout à travers le monde…
Q - Justement, ils vous disent quoi, les Français, lorsque vous vous promenez ?
R - Mais vous savez, eux, c’est des immigrés dans les pays dans lesquels ils vivent. On ne dit pas immigrés, c’est un terme qu’on utilise moins, mais en réalité, c’est ce qu’ils sont. Et ils apportent beaucoup.
Q - Et ils vous disent quoi ?
R - En fait, tout dépend de qui vient, pour quoi faire. Par exemple, les étudiants étrangers qui ensuite sont des talents et qui permettent le développement et l’innovation dans notre pays, évidemment que c’est une bonne chose. Mais il faut évidemment qu’on puisse être dans la maîtrise…
Q - Mais ils ne vous disent pas que la France est facturée ?
R - La France est fracturée, mais ce n’est pas ça qui fracture la France. Ce qui fracture la France sont nos divisions. Ce sont des divisions aussi politiques et politiciennes. Et si, depuis ce ministère, je peux faire quelque chose pour apporter de l’unité, justement, pour casser certaines idées reçues, notamment sur l’investissement durable, j’aurais au moins réussi une mission.
Q - Merci, Éléonore Caroit. Ravi de vous avoir accueillie en tant que ministre déléguée chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français d’étrangers. Merci, merci mille fois.
R - Merci à vous.
Q - J’étais très heureux de vous recevoir.
Source : CNews, Europe 1