Entretien de Mme Éléonore Caroit, ministre déléguée auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l’étranger, avec « France Info TV » - Extraits (Paris, 21 novembre 2025)

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Q - Et on accueille l’invité politique du « 23h, Éléonore Caroit. Bonsoir à vous. Merci d’être avec nous.

R - Bonsoir.

Q - Vous êtes ministre déléguée auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de la francophonie, des partenaires internationaux et des Français de l’étranger.

(…)

Q - Beaucoup de questions pour vous, Éléonore Caroit. Petite réaction aussi de ce qui se passe avec le narcotrafic en France. Les moyens de lutter sont difficilement chiffrables. En tout cas, on a vu le ministre de la justice qui annonce le plan « zéro portable en prison ». Comment on lutte contre le narcotrafic ? Je pense que vous avez des réponses à donner.

R - Oui, absolument. Moi, avant d’être ministre en charge des partenariats internationaux et des Français de l’étranger, j’étais députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes. Vous savez que c’est quand même une zone dans laquelle il y a énormément de narcotrafic et sur laquelle on a beaucoup investi, et sur laquelle il y a beaucoup de coopérations qui se font. D’ailleurs, le ministre des affaires étrangères a annoncé, il y a quelques jours, un plan de coopération renforcé, parce que vous ne pouvez pas lutter efficacement contre le narcotrafic si vous ne le faites pas à l’échelle internationale. C’est un sujet. Ce sont des multinationales, les réseaux de narcotrafiquants. Et donc, ce qu’on constate aujourd’hui, ce drame odieux, et j’ai évidemment une pensée pour la famille de ce jeune qui a été assassiné et je suis évidemment en totale empathie avec ce qui s’est passé, ce drame odieux, il a eu lieu pourquoi ? Parce qu’il y a eu des résultats aussi. Parce qu’on nous répond. C’est une forme de réaction de ces milieux mafieux. Il y a quand même eu une réduction des homicides liés au narcotrafic, qui se sont presque divisés par deux en un an. Il y a aujourd’hui près de 900 membres de cette mafia marseillaise qui sont placés en garde à vue. Vous avez des résultats très, très concrets, notamment suite au vote de la loi narcotrafic qui a eu lieu à l’Assemblée il y a quelques mois. Et donc, ce que je voudrais dire, c’est qu’on avance. Évidemment qu’il y a des réactions, mais il ne faut surtout pas lâcher le combat. Et ce combat, il doit se mener à l’international.

Q - Et on signale, bien sûr, la marche blanche pour Mehdi Kessaci, dont vous parliez à l’instant, demain. Beaucoup de politiques seront présentes d’ailleurs. On y reviendra. Une image de l’actualité du jour avec Emmanuel Macron, qui est arrivé à Johannesburg, deuxième étape de sa tournée africaine après un passage à l’île Maurice. Le chef de l’État doit participer au G20, qui se tient pour la première fois de son histoire en Afrique, mais en l’absence de Donald Trump, de Vladimir Poutine et de Xi Jinping. Vous n’êtes pas du voyage ?

R - Je viens de rentrer ce matin même de Kigali, parce qu’on avait la…

Q - Du Rwanda.

R - Du Rwanda, exactement, parce qu’il y avait le sommet des ministres de la Francophonie.

Q - Ce n’est pas parce que le Président va plus voir des pays anglophones que francophones ?

R - Pas du tout, pas du tout. Vous savez, on a des partenariats aussi avec les pays anglophones en Afrique. D’ailleurs, on va organiser en mai le sommet Africa Forward, qui est le sommet entre les pays d’Afrique et la France, durant lequel on va renouveler nos partenariats, notamment avec les sociétés civiles africaines anglophones, francophones et lusophones. D’ailleurs, le Président se rendra ensuite au Rwanda. Donc non, non, ce n’est pas du tout… C’est parce que je ne peux pas être partout. Et puis je voulais aussi être sur votre plateau ce soir et être à l’Assemblée mardi. Mais je pense que c’est très important qu’il soit présent aujourd’hui. C’est très important que ce G20 se passe en Afrique et qu’il y ait des enceintes de dialogue entre les pays dits du Nord et les pays dits du Sud, des enceintes dans lesquelles on voit que le multilatéralisme est absolument nécessaire aujourd’hui.

Q - Éléonore Caroit, avant de se rendre en Afrique du Sud pour le G20, il était à l’île Maurice, Emmanuel Macron. Cela faisait plus de 30 ans qu’un chef d’État, qu’un Président de la République française ne s’était pas rendu sur cette île. Depuis François Mitterrand, c’était en 1993. Est-ce que ça explique aussi peut-être la perte d’influence de la France dans cette zone-là de l’océan Indien ? On sait que la Chine, la Russie, l’Inde sont désormais des puissances très présentes et que la France a du mal à exister. Comment vous l’expliquez ?

R - On a une très bonne relation avec l’île Maurice. D’ailleurs, le Premier ministre mauricien était présent à Nice lors du sommet de l’UNOC. Je l’avais rencontré dans le cadre du Forum que nous avions organisé sur les îles. Et on travaille ensemble, notamment sur les questions de protection de la biodiversité marine, des océans, dans le cadre de l’UNOC que nous avions organisé. Donc on a une coopération qui existe, en dépit du fait qu’effectivement, vous avez raison, il n’y avait pas eu de visite présidentielle. Le Président de la République devait s’y rendre au moment du décès du pape, et donc il devait y retourner. Cette visite s’est extrêmement bien passée. On a renforcé notre coopération régionale, mais aussi l’intégration avec les territoires d’outre-mer français.

Q - Mais l’objectif, pardon de vous interrompre, c’est de dire à la Chine et à la Russie ou à l’Inde : « On existe, nous, Français, aussi, on est présents dans ces eaux maritimes de l’océan Indien » ?

R - C’est toujours important de dire que la France est présente, que la France a une politique de coopération et de partenariats internationaux dans cette zone, mais dans d’autres zones du monde. Et ça, j’aimerais bien le rappeler. Parce qu’on voit en ce moment qu’il y a une forme de rejet de notre politique de développement. On nous dit que ce n’est pas si important, finalement, d’aller investir dans d’autres pays. Moi, je dis que c’est fondamental. Et justement, vous avez raison, la Chine, l’Inde sont présentes parce que c’est aussi une politique de rayonnement de la France. C’est aussi une politique d’influence que l’on peut exercer. Et puis ça nous permet, justement, d’établir des partenariats solides, durables, qui ensuite vont protéger les Françaises et les Français. Je vous donne un exemple concret. Lorsque vous investissez dans la santé mondiale, où que ce soit dans le monde, y compris dans l’océan Indien, vous êtes en train de prévenir l’arrivée de pandémies en France. Lorsque vous investissez justement sur le narcotrafic, on en parlait à l’instant, et vous doublez les moyens de l’aide publique au développement sur la question du narcotrafic, vous n’êtes pas juste en train d’aider les pays dans lesquels vous avez des réseaux mafieux ou de narcotrafiquants producteurs, mais vous êtes aussi en train de protéger les Françaises et les Français. Alors quand j’entends le discours ambiant qui voudrait qu’on réduise complètement cet investissement que l’on fait, moi je dis que c’est dangereux, parce qu’on ne peut pas se protéger, on ne peut pas avoir une diplomatie offensive si on n’est pas présent et on n’agit pas. Et ça c’est quelque chose que l’on voit sur tous les territoires.

Q - Est-ce que vous parleriez, Éléonore Caroit, d’une nouvelle politique africaine en ce qui concerne Emmanuel Macron ? Parce que les pays qui sont visités, l’Angola, le Gabon, l’Afrique du Sud, durant cette tournée, l’île Maurice, ce ne sont pas les pays où il va d’habitude. C’est-à-dire qu’il n’y a plus trop de rapports avec les anciennes colonies françaises. Et je le disais tout à l’heure, ce sont aussi des pays anglophones. C’est une nouvelle politique qu’il veut mettre en place, de nouveaux liens qu’il veut mettre en place ?

R - L’un n’empêche pas l’autre. En fait, il s’est énormément rendu en Afrique…

Q - Ou bien c’est prendre de la distance avec l’héritage colonial de la France ?

R - Non, mais moi, je vais vous dire, j’étais jusqu’à il n’y a pas longtemps, députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes, et je me disais : « Le Président ne va pratiquement qu’en Afrique. Il faut qu’il vienne davantage en Amérique latine. » Et je pense que les députés qui représentaient les Français en Asie disaient la même chose. Donc, il a beaucoup été en Afrique. Il a fait ce discours de Ouagadougou qui a été marquant. Et ça, ça reste aujourd’hui. Et lorsque vous voyez les sociétés civiles africaines… Moi je vous dis, je rentre de Kigali au Rwanda ce matin même, mais je suis en dialogue avec de nombreux chefs d’État et de gouvernement et avec mes homologues africains, la France est importante par la Francophonie, évidemment, mais pas que. Aussi par notre envie de coopérer, d’établir des partenariats durables. Et là, par exemple, il va se rendre au Gabon. On a une politique en matière environnementale très importante avec le Gabon de protection des forêts. Et ce sont des choses qui existent de longue date. Donc il ne faut pas lire un changement de politique, bien au contraire.

Q - Il parle, le Président, de partenariat gagnant-gagnant. C’est donc le but de cette visite en Afrique. On y reviendra bien sûr, sur le bilan de cette tournée. Gagnant-gagnant, c’est aussi le cas pour une autre personne qui n’a rien à voir avec le Président de la République, c’est Aya Nakamura, qui selon plusieurs avis, plusieurs avis mondiaux d’ailleurs, est l’ambassadrice de la langue française. Vous qui représentez la Francophonie au sein du Gouvernement, est-ce que pour vous, Aya Nakamura, qui, on le rappelle, sortira son cinquième album, elle va remplir trois stades de France, elle a été très controversée sur son usage de la langue française, une langue en mouvement. Est-ce que pour vous, elle représente, parce qu’elle visite aussi des pays où le français ne va que très rarement - je parle de la langue française, pas le Français citoyen -, est-ce que pour vous, c’est une réelle ambassadrice de la France ?

R - Bien évidemment. Vous savez, le français, c’est une langue vivante. C’est une langue qui se parle sur les cinq continents. Aujourd’hui, vous avez 320 millions de locuteurs du français. Et vous aurez le double en 2050. Et aujourd’hui, vous avez 60% des locuteurs de français qui sont sur le continent africain. Donc en fait, on est très nombreux à parler le français, et le français, il se réinvente au contact d’autres langues, il se réinvente à travers ses ambassadeurs culturels. Aya Nakamura, c’est une des artistes les plus écoutées au monde et elle chante en français. Donc évidemment que c’est une parmi d’autres ambassadrices de la langue française, et évidemment que j’écouterai, je n’ai pas encore eu l’occasion de le faire, j’écouterai son nouvel album absolument.

Q - Éléonore Caroit, un mot quand même sur le Mali. Vous dites qu’en effet, de nombreuses personnes parlent notre langue à travers le monde. Mais la France aussi recule, d’un point de vue au moins militaire, du côté du Mali. Et il y a cette information ce soir avec, selon le Quai d’Orsay, la réduction du nombre de personnels diplomatiques dans le pays, donc au Mali, avec notamment la progression des djihadistes au Mali et au Sahel. Est-ce que ça vous inquiète ? Quelle est votre réaction par rapport à ce retrait progressif et quasi majoritaire de la France du Mali ?

R - Vous avez raison, la situation au Mali est préoccupante et nous la suivons avec beaucoup d’attention. D’ailleurs, nous avons lancé un appel à nos concitoyens qui se trouvent aujourd’hui au Mali à faire preuve de la plus grande prudence, et s’ils le peuvent, à rentrer en France en fonction de leur situation. Évidemment que la France est très attentive. Moi je suis ministre des Françaises et des Français qui vivent à l’étranger, et notre priorité au ministère, c’est leur sécurité, leur protection, et nous sommes un des pays qui protège le plus ses citoyens à travers le monde. On suivra l’évolution de la situation.

Q - Et ça vous inquiète, cette situation ?

R - Moi, ce que je peux vous dire, c’est qu’on la suit de manière très attentive et qu’évidemment, tous les débordements, tout ce qui affecte les populations civiles est quelque chose qui est suivi de très près par le Quai d’Orsay.

Q - Merci infiniment d’avoir accepté notre invitation, Eléonore Caroit. Merci d’être venue dans « Le 23h ».

(Source : France Info TV)