Entretien de Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe, avec « France 5 » (Paris, 15 décembre 2025)

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Q - Bonsoir à toutes et à tous, bienvenue dans « C dans l’air ». Une nouvelle fois, l’horreur de l’antisémitisme avec une attaque terroriste qui a visé la communauté juive à Sydney. Hier, au moins 15 personnes sont mortes, dont l’un des deux tireurs. Les assaillants sont un père de 50 ans et son fils de 24 ans. Et un Français figure parmi les victimes. Nous en parlons ce soir, entre autres sujets que nous allons aborder avec vous, Benjamin Haddad. Vous êtes ministre délégué chargé de l’Europe. Merci d’avoir accepté cette invitation.

R - Bonjour.

Q - C’était une journée familiale, la communauté juive, célébrait la fête de Hanouka à Sydney. À Paris comme à Sydney, l’antisémitisme tue.

R - L’antisémitisme tue. C’est une horreur absolue ce qu’il s’est passé à Sydney. Des familles qui venaient célébrer la fête de Hanouka, qui est une fête de lumière, de joie. Et on a vu une fois de plus la barbarie antisémite qui a frappé et qui frappe dans beaucoup de nos démocraties avec une explosion notamment depuis le 7 octobre. Et il faut le dénoncer, mais les mots ne suffisent pas. Il faut le combattre et être d’une vigilance absolue de tous les instants contre l’antisémitisme, contre les actes, contre ce qui lui sert aussi de prétexte, je pense notamment à l’antisionisme. Vous savez que le gouvernement français l’est, avec le renforcement des mesures de sécurité, avec les forces de l’ordre, les forces de police devant tous les sites de la communauté juive en France, que l’on lutte à tous les niveaux, que ce soit l’idéologie, que ce soit sur les réseaux sociaux. Moi, c’est un combat que je porte en permanence en tant que ministre des affaires européennes, je me suis battu, par exemple, pour faire toute la transparence sur les financements qui viennent de la Commission européenne, s’assurer que cela n’aille pas vers des ONG, par exemple, qui pourraient contribuer aussi à propager de l’idéologie antisémite ou antisioniste. Donc je me bats, on se bat. Je voudrais quand même aussi rappeler, vous l’avez dit, qu’il y avait un Français, Dan Elkayam, de 27 ans, parmi les victimes, et adresser vraiment toute ma solidarité et mes pensées à sa famille et à ses parents.

Q - C’est dit, Benyamin Netanyahou estime que l’antisémitisme est un cancer qui se propage lorsque les dirigeants restent silencieux et n’agissent pas. Vous considérez que ça s’applique à Sydney, mais pas à la France en fait. C’est ça de ce que je comprends, la démonstration que vous venez de nous faire. Je précise pour les gens qui nous regardent ce soir, selon des chiffres du ministère de l’intérieur, qui a recensé 1.163 actes antisémites en France entre janvier et octobre 2025. Vous dites « on combat », les Juifs, eux, disent « on vit dans la peur », en France. C’est ce qu’avait dit Arthur, il avait dit « comme tous les Juifs de France, je vis avec une peur qui ne me quitte plus. »

R - Mais oui, Arthur, d’ailleurs, est courageux pour ses combats et cette peur, elle est quotidienne bien sûr, parce que l’on voit cette violence, mais c’est pour cela encore une fois que l’on a toujours dit, quand on touche à un Juif de France, on touche à la République, on touche à la France toute entière. Vous avez vu la mobilisation du Gouvernement. Je parlais du rôle des forces de l’ordre, je parle du travail qui est fait pour lutter, par exemple, contre les financements étrangers, pour lutter contre la propagation de la haine sur les réseaux sociaux. C’est un combat aussi que l’on porte ailleurs, au niveau européen, où les plateformes ne peuvent pas être des zones de non-droit pour proposer la pensée antisémite. Vous avez vu l’engagement personnel du Président de la République, de tous les gouvernements. C’est un combat…

Q - Et qui n’avait pas participé à la marche contre l’antisémitisme, ça lui avait été reproché…

R - C’est un combat permanent. Tout le Gouvernement était présent.

Q - Lui, il n’y était pas.

R - C’est un combat permanent contre un fléau qui existe et qui s’est renforcé, malheureusement, depuis le 7 octobre. Et on sera, je peux vous le dire, présents, vigilants, à tous les niveaux, pour lutter contre l’antisémitisme.

Q - Haïm Korsia citait ce matin Charles Péguy qui disait « il y a pire que le mal, il y a l’habitude. » Il ne faut pas s’habituer, c’est ça que vous dites ?

R - Oui c’est vrai, l’habitude, le déni. Et face à cela, une fois de plus, les mots ne suffisent pas. Il faut des actes. Et on se bat, et on continuera de se battre avec la détermination et la fermeté la plus absolue.

Q - Il y en a un qui s’est battu, il faut qu’on en parle quand même, il s’appelle Ahmed al-Amed, il s’est jeté sur l’un des assaillants, c’est un héros.

R - Mais bien sûr, quel courage, j’ai vu comme beaucoup de gens les images sur les réseaux sociaux, j’ai été frappé par le courage physique de ce monsieur à qui il faut rendre hommage, bien sûr.

Q - Un mot sur l’Ukraine, ça se passe en ce moment, à Berlin, de nouveaux pourparlers ont débuté avec Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump, en présence de Volodymyr Zelensky et d’Emmanuel Macron. Et alors là, cet après-midi, on voit tomber des dépêches assez positives avec des réactions estimant que les discussions avec l’Ukraine ont été vraiment positives, dit un responsable américain, repris plus ou moins par les Ukrainiens. Les États-Unis estiment que la Russie va accepter le projet d’accord négocié avec l’Ukraine. Est-ce qu’à l’heure où nous parlons, nous nous rapprochons d’un accord de paix, d’un accord de cessez-le-feu ?

R - Vous avez vu que le Président de la République se rend à Berlin pour participer aussi à des échanges avec ses partenaires européens et avec le président Zelensky. Notre ligne a toujours été la même. On veut un cessez-le-feu et on veut une paix. Mais une paix juste et durable qui ne soit pas une capitulation. C’est pour ça que cette négociation avec les Américains, les Européens, les Ukrainiens et les Russes est si capitale parce que fondamentalement, ce que veut la Russie, c’est utiliser un cessez-le-feu comme une trêve qui pourrait être utilisée après pour se réarmer, réattaquer l’Ukraine. On voit aujourd’hui que l’escalade continue sur le terrain avec des bombardements quotidiens. On voit que la Russie continue à avoir des demandes maximalistes. Et donc, c’est pour cela que ce travail est si important.

Q - Vous avez l’air de mettre un peu de distance par rapport aux déclarations optimistes de cette fin d’après-midi. Vous considérez qu’il faut être prudent sur les intentions des Américains, c’est ça que je comprends ?

R - Mais surtout sur les intentions des Russes. Quand on voit les Russes demander une neutralité forcée, demander de changer les frontières par la force, demander à l’Ukraine de démilitariser, c’est pour cela, que la France s’est battue en premier lieu avec ses partenaires européens pour faire monter la pression sur la Russie par la voie des sanctions. Le 19e paquet de sanctions, encore récemment, qui a ciblé notamment le secteur énergétique de la Russie, qui continue à être une ressource pour l’effort de guerre, par les livraisons d’armes. C’est pour cela que nous travaillons avec la Coalition des volontaires aux garanties de sécurité. C’est extrêmement important. Parce que si demain vous avez un arrêt des combats, mais encore une fois que c’est utilisé comme une parenthèse pour la Russie pour réattaquer dans quelques années, comme cela a été le cas historiquement, là, vous n’avez pas une paix durable.

Q - Les Américains disent à l’instant, hauts responsables américains, pardonnez-moi, je vous ai coupé, le projet d’accord sur l’Ukraine prévoit des garanties de sécurité très fortes, disent les Américains. C’est plutôt à saluer si c’est le cas.

R - C’est un objectif que la France a porté depuis le début avec la Coalition des volontaires, c’est soutenir une armée ukrainienne forte, robuste pour se défendre, avec le rapprochement de nos industries de défense, et puis le travail avec la Coalition des volontaires sur le rôle que les Européens devront jouer. C’est pour cela que le rôle des Européens d’ailleurs est si capital dans cette histoire. Et je voudrais rajouter quand même un autre élément dont on parle beaucoup, c’est la question des avoirs gelés. Nous avons pris une décision très importante cette semaine au niveau européen qui est d’immobiliser les avoirs gelés. Vous savez qu’avant, ils étaient soumis à des renouvellements tous les six mois comme le reste des sanctions. Là, on a dit que ces avoirs restent tant que la Russie ne paie pas les réparations. Et après nous allons avoir un débat…

Q - Mais on entre dans le dur… C’est maintenant que ça se complique.

R - Vous avez raison. La ligne de la France là-dessus est très claire. On doit pouvoir utiliser ces avoirs gelés pour pouvoir financer un prêt de réparation à l’Ukraine pour lui donner de la visibilité sur les prochaines années, à la fois pour ses besoins militaires et pour ses besoins…

Q - Ce qui bloque, c’est la Belgique ?

R - Alors on a un débat, on aura un débat ces prochains jours. Nous, on espère toujours qu’on pourra parvenir à un accord. Il faut trouver les moyens de financer le soutien à l’Ukraine pour les prochaines années. C’est aussi ce qui donne les leviers aux Ukrainiens dans la négociation. C’est aussi ce qui leur permet d’imposer un rapport de force et donc une dissuasion de la menace de la Russie. C’est aussi ce qui met les Européens autour de la table dans cette négociation.

Q - On rappelle que Volodymyr Zelensky demande que les avoirs gelés russes servent pleinement à la défense de l’Ukraine.

R - Nous, on a toujours soutenu…

Q - À la défense, pas la reconstruction, la défense.

R - Et la priorité, effectivement, c’est de financer les besoins de défense de l’Ukraine et de faire en sorte que ces besoins de défense permettent de rapprocher l’industrie de défense européenne de l’industrie de défense ukrainienne. C’était d’ailleurs tout le sens des visites récentes du président Zelensky à Paris, vous le savez, avec cet accord qui a été signé pour les Rafale, pour les défenses anti-aériennes…

Q - Benjamin Haddad, pour résumer la situation à l’heure où nous parlons alors que ces pourparlers sont en cours à Berlin, est-ce que vous êtes raisonnablement optimiste que ces discussions débouchent cette fois-ci sur un accord de cessez-le-feu ? Est-ce que vous y croyez ?

R - Mais tout le monde le souhaite. Nous souhaitons tous pouvoir avoir un accord de cessez-le-feu, nous souhaitons tous pouvoir avoir les conditions d’une paix durable.

Q - Mais cette fois-ci, vous y croyez ?

R - Non, mais ce que je voudrais vous dire quand même plus fondamentalement, c’est que l’état de conflictualité dans lequel est aujourd’hui notre continent, c’est quelque chose de durable. De penser que tout ça va partir d’un trait de stylo demain, ce n’est pas vrai. On va devoir continuer à réarmer, on va devoir continuer à soutenir l’Ukraine, on va devoir continuer à dissuader, en étant forts, à dissuader la menace que la Russie fait peser toutes nos démocraties européennes. On va devoir aussi prendre notre destin et notre sécurité en main, sans compter sur les autres, en réduisant nos dépendances sur les autres, parce que l’on est aujourd’hui dans un monde qui, durablement, est plus dangereux, même si demain, nous obtenions un cessez-le-feu ou un accord de paix.

Q - Et vous avez raison d’y revenir, et je voudrais qu’on avance sur… On sait que les Russes ont plus que jamais l’oreille des Américains, vous parliez de la négociation avec les Russes. Dans la nouvelle stratégie de sécurité, l’administration Trump se permet de faire la leçon, une nouvelle fois, aux 27, pour qu’ils corrigent, je cite, leur trajectoire. Les Américains veulent faire sortir quatre pays de l’Union européenne : l’Autriche, l’Italie, la Hongrie et la Pologne. Est-ce que vous prenez ces menaces-là au sérieux ? Est-ce que ça pourrait trouver un écho dans certains de ces pays ?

R - Moi, je voudrais vous dire très clairement, c’est un moment de clarification. Et cela a le mérite de la clarté. Au fond, lors du premier mandat de Donald Trump, il y a eu parfois une forme de déni des Européens qui se disaient « il suffit d’attendre quelques années et puis tout va revenir à la normale et on aura la relation transatlantique à laquelle nous étions habitués ». Ce qu’on voit fondamentalement, c’est que l’on a une accélération brutale du temps et que la question qui se pose à nous aujourd’hui, c’est : « Est-ce que l’on est capable d’investir dans notre outil de défense ? Est-ce que l’on est capable de réduire nos dépendances sur le plan énergétique, sur le plan technologique, en investissant dans l’innovation, en étant, au fond, en assumant d’être une puissance qui défend ses propres intérêts ? » Et ces intérêts de sécurité, cela commence par le soutien à l’Ukraine, sinon, nous serons balayés.

Q - Mais vous ne m’avez pas répondu sur les quatre pays.

R - Mais moi, je crois fondamentalement que c’est des pays qui sont pro-européens, qui sont…

Q - Donc il n’y a pas de sujet ?

R - Au fond, c’est une ingérence qui est inacceptable. Moi, je crois à la force de notre modèle européen. Vous savez, souvent, on s’autoflagelle, on exagère nos faiblesses, mais quand on regarde la façon dont le reste du monde nous voit, on voit au contraire que le modèle européen, il continue à être attractif, il continue à être puissant. Ayons confiance en nous, 450 millions d’individus, nous avons un potentiel extraordinaire. Mais maintenant, c’est le logiciel intellectuel qu’il faut changer et se comporter comme une puissance.

Q - Kaja Kallas disait il y a encore quelques heures, les Américains sont des alliés, le logiciel reste le même pour une grande partie des Européens qui disent, en gros, on va continuer comme avant.

R - Mais nous travaillons toujours sur nos intérêts communs, mais les lignes bougent. Croyez-moi. Regardez par exemple sur les sujets de défense européenne, on a inclus le principe de préférence européenne dans ce que fait aujourd’hui la Commission européenne, c’est-à-dire de dire l’argent du contribuable européen, il doit défendre la souveraineté industrielle européenne. Ça, c’est nouveau et c’est la France qui l’a toujours poussé depuis le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron.

Q - Benjamin Haddad, on va parler dans un instant de la colère des agriculteurs. Un mot très vite sur le Mercosur. Est-ce que la France a encore du poids en Europe ? Pour mettre le pied sur le ballon, comme on dit en foot, et faire en sorte que cet accord de libre-échange soit mis sur pause comme la France le réclame. On n’a pas le sentiment qu’Ursula von der Leyen va changer son agenda puisqu’elle a prévu dans les prochains jours d’aller au Brésil pour signer le Mercosur.

R - Vous voyez, quand on parle déjà de souveraineté, ça passe par la souveraineté alimentaire et donc par le soutien à nos agriculteurs. Et beaucoup de nos partenaires partagent nos préoccupations. On défend sur le Mercosur le fait de protéger nos agriculteurs…

Q - Vous allez y arriver ? C’est la question.

R - …Avec des clauses de sauvegarde, avec des mesures miroirs. Il y a aussi le sujet de la politique agricole commune. Je partirai juste après cette émission à Bruxelles où on va négocier le prochain budget européen. On a besoin d’une politique agricole commune ambitieuse parce que là aussi, quand on veut réduire nos dépendances, on doit soutenir la souveraineté de notre secteur agricole. C’est la voix que l’on porte sur le Mercosur.

Q - Elle sera entendue cette voix ? C’est la question. Est-ce qu’on peut mettre l’accord… Est-ce qu’on peut différer l’application de l’accord ?

R - Moi, je vais vous dire, de façon très claire, on a obtenu, par exemple, des avancées, justement parce que l’on a pesé sur la clause de sauvegarde. Maintenant, on a besoin de plus de temps pour pouvoir les examiner, pour pouvoir les adopter. Ce sont les messages qu’on a fait passer à la Commission européenne avec nos partenaires.

Q - Et on verra si elle les entend, ces messages. Merci, on est un peu en retard, j’en suis désolée. Merci, Benjamin Haddad.

R
- Merci à vous.