République démocratique du Congo/Rwanda - Tchad - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec "RFI" (Paris, 31 janvier 2025)

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Q - Christophe Lemoine, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Au Nord-Kivu et maintenant au Sud-Kivu, c’est l’escalade militaire. Comment peut-on y mettre fin ?

R - C’est une situation qui est très inquiétante, une situation qui est extrêmement évolutive. Il y a eu des incursions des troupes du M23 soutenues par le Rwanda qui ont pris la ville de Goma, qui se dirigent maintenant vers le sud de la région. C’est extrêmement inquiétant, surtout parce que pour les populations civiles, c’est absolument dramatique. Il y a eu des morts, il y a des milliers de Congolais qui sont sur les routes et qui fuient les combats. C’est une situation qui doit cesser. Du point de vue de la France, le meilleur moyen de faire cesser cette situation, c’est de trouver une issue diplomatique, une issue par le dialogue entre le président Tshisekedi et le président Kagame pour pouvoir mettre en place un plan de retrait total de ces troupes du M23 du territoire congolais.

Q - Est-ce que vous demandez aussi le retrait des troupes rwandaises ?

R - Oui, absolument. Il y a un principe qui est absolument essentiel en la matière, c’est le principe du respect de la souveraineté territoriale de la République démocratique du Congo. Le Kivu est un territoire congolais et les troupes étrangères doivent quitter la zone du Kivu.

Q - Le président du Congo accuse la communauté internationale pour, je cite, "son silence, son inaction et sa quasi-complicité avec le Rwanda". Qu’est-ce que vous répondez ?

R - Pour ce qui concerne la France, en tout cas, les choses ont toujours été très claires et le Président de la République l’a dit à plusieurs reprises. Il l’a dit lorsqu’il est allé à Kinshasa en 2023. Il l’a redit au président Tshisekedi lorsqu’il est venu à Paris. La France condamne très fermement les offensives du M23 dans la zone et demande le retrait de l’ensemble des troupes de cette zone. Par ailleurs, la France a été très active en termes diplomatiques, puisque c’est à l’initiative de la France notamment que s’est réunie dimanche dernier une réunion au Conseil de sécurité spécifiquement dédiée à cette question. Il y a eu une autre réunion du Conseil de sécurité qui s’est tenue mardi. Et la France fait tout pour que le sujet reste en haut de l’agenda du Conseil de sécurité, que les discussions continuent et qu’on puisse aboutir, encore une fois, à une solution qui soit diplomatiquement négociée.

Q - Depuis 2021 et la sortie du rapport Duclert sur la France face au génocide, la France est réconciliée avec le Rwanda. Et du coup, certains soupçonnent la France d’être pro-rwandaise dans ce conflit.

R - Je pense qu’il ne faut pas mélanger les choses. C’est-à-dire qu’il y a eu avec le Rwanda un processus qui a été voulu par le Président de la République Emmanuel Macron, en lien avec le président Kagame, un processus d’ordre mémoriel. Le rapport Duclert est un rapport qui doit permettre d’établir un peu la réalité des faits qui se sont passés dans les années 90 au Rwanda, et notamment pour ce qui concerne la responsabilité de la France. C’était un exercice de transparence, qui devait permettre de rétablir des relations plus pacifiques et plus saines avec le Rwanda. Mais ça, c’est une chose qu’on ne doit pas confondre avec la situation qui a lieu actuellement dans le Kivu. Ce sont deux choses distinctes.

Q - L’Allemagne vient de suspendre son aide au développement du Rwanda. Est-ce que la France envisage de réduire elle aussi son aide, et voire de décider des sanctions contre le Rwanda ?

R - La France, encore une fois, est très active sur le terrain diplomatique pour permettre de dégager une solution. Il y a beaucoup de possibilités qui sont offertes aujourd’hui. Pour le moment, il n’y a pas de décision qui a été prise formellement ni en termes d’aide publique au développement. S’agissant des sanctions, vous savez que ce sont des décisions qui se décident soit à l’ONU, soit au niveau de l’Union européenne. Donc c’est une discussion que nous devons avoir à Bruxelles avec nos partenaires européens, et aux Nations unies avec l’ensemble des États qui sont représentés au Conseil de sécurité. À nouveau, je pense que l’objectif de la France est clair. Après, les moyens qui seront déployés pour permettre d’atteindre une solution diplomatique, c’est ouvert.

Q - Oui, mais si les Américains, les Russes, les Chinois sont hostiles à toute mesure de rétorsions à l’égard du Rwanda, est-ce que tout cela ne sera pas un coup d’épée dans l’eau ?

R - Pour le moment, moi, je n’ai pas entendu de prise de position définitive ni de la part des États-Unis, ni de la part de la Chine, ni de la part de la Russie.

Q - En novembre dernier, l’Union européenne, avec un avis favorable de la France, a accordé une nouvelle enveloppe de 20 millions d’euros à l’armée rwandaise pour financer sa projection au Mozambique. Alors du coup, le Congo est en colère. Il ne comprend pas comment vous pouvez soutenir une armée qui viole ouvertement le droit international.

R - En l’espèce, spécifiquement sur le sujet que vous citez, c’est une aide qui a été apportée au Rwanda dans le cadre d’une opération de lutte contre le terrorisme au Mozambique. Donc ça semblait totalement justifié.

Q - Suite à l’attaque de plusieurs ambassades à Kinshasa, dont celle de la France, le président Tshisekedi a condamné ce mercredi, je cite, "ces actes de pillage et de vandalisme". Mais est-ce que ça vous rassure ?

R - Écoutez, les images qui nous sont arrivées de Kinshasa le jour où les emprises diplomatiques de plusieurs pays, dont la France, nous sont parvenues, c’était assez peu rassurant. On a quand même vu ces images avec une certaine émotion. On s’est assurés que l’ensemble des personnels de l’ambassade étaient sains et saufs, ce qui est le cas. Nous avons condamné très sévèrement ces attaques. Je tiens quand même à préciser que la fin de ces attaques a pu être obtenue grâce au concours des forces congolaises, qui ont joué un rôle absolument majeur dans la protection de l’ambassade de France, mais aussi des autres ambassades qui ont été ciblées par ces attaques.

Q - Pas d’évacuation à l’ordre du jour ?

R - Des ressortissants français ? Pour le moment, non. Le calme est revenu dans la capitale congolaise. Donc non, il n’y a pas lieu d’évacuer les Français de la République démocratique du Congo pour le moment.

Q - Christophe Lemoine, c’est aujourd’hui que les militaires français quittent le Tchad.

R - Oui.

Q - Après 65 ans de présence quasi continue dans ce pays, est-ce qu’on peut parler d’un déclin de l’influence française en Afrique ?

R - Je ne poserais pas la chose comme ça. La fermeture de la base qui a lieu aujourd’hui au Tchad est le fruit d’un dialogue que nous avons eu avec les autorités tchadiennes. C’est ce qui avait été annoncé par le Président de la République il y a maintenant quelques années, la volonté de revoir nos dispositifs militaires en Afrique, de sortir de cette logique de base permanente. Donc il y a eu avec le Tchad une discussion assez constructive, d’ailleurs, dans le cadre, effectivement, d’un redimensionnement du dispositif français. La fermeture de la base est donc, en fait, la conséquence assez logique, puisque c’est ainsi que ça a été décidé. Maintenant, ce n’est absolument pas la fin de la coopération avec le Tchad en matière militaire, mais aussi, d’une manière plus générale, de la coopération bilatérale avec le Tchad, que ce soit d’aide publique au développement, que ce soit de la coopération économique, que ce soit de la coopération culturelle, d’échanges d’étudiants. Enfin, tout cela n’est pas remis en cause, bien au contraire. Il s’agit simplement d’un redimensionnement de notre dispositif militaire. Donc la fermeture de la base qui a lieu aujourd’hui est l’aboutissement assez naturel de ce dialogue que nous avons eu avec les autorités tchadiennes.

Q - Dans son rapport de la fin de l’année dernière, l’émissaire français Jean-Marie Bockel préconisait le maintien de quelques centaines de soldats français dans ce pays stratégique. Et il croyait savoir que le président tchadien, qu’il avait reçu quelques mois plus tôt, était d’accord avec ce reformatage. Et puis, patatra, le 28 novembre, sans vous prévenir, le président tchadien a annoncé brutalement que tout le monde devait partir. Comment se fait-il que vous ayez été pris au dépourvu comme cela ?

R - Encore une fois, on n’a pas été complètement pris au dépourvu. C’est un dialogue qui était en cours avec les autorités tchadiennes. Il y a des pistes soulevées par Jean-Marie Bockel dans le cadre de son rapport. Mais ce sont des pistes qui étaient des propositions. Jean-Marie Bockel était là pour faciliter le dialogue entre la France et les pays concernés dont le Tchad, formuler des propositions… Le résultat final n’est pas exactement conforme à sa proposition, mais encore une fois, ce qui est important, c’est d’avoir eu cette discussion avec les tchadiens, de voir quels étaient leurs besoins, quels étaient leurs souhaits. Donc effectivement, la dernière base ferme, ce qui veut dire qu’il n’y aura plus de militaires français stationnés de manière permanente. C’est l’évolution des choses qui est comme ça, avec une coopération militaire qui se fera aujourd’hui différemment.

Q - Il y a un mois, le Président français a regretté l’ingratitude de plusieurs pays africains où des militaires français sont intervenus et pour certains ont perdu la vie. "Ils ont oublié de nous dire merci", a regretté le Président à propos de ces pays. "Ce sont des déclarations humiliantes et inacceptables", a répondu le ministre tchadien des affaires étrangères. Qu’est-ce que vous en pensez ?

R - J’en pense qu’encore une fois, il ne faut pas mélanger les choses. Je pense que le Président de la République faisait expressément référence aux opérations qui ont été déployées dans certains pays du Sahel à la demande de ces États…

Q - Vous pensez au Mali ?

R -
Alors, les opérations Barkhane et Serval, je pense notamment au Mali, effectivement, où des opérations extérieures françaises ont été déployées, encore une fois, à la demande de ces pays. C’était en 2013. Les troupes françaises ont été déployées, elles ont permis de lutter assez efficacement contre le terrorisme qui frappe ces pays et tout particulièrement les zones nord de ce pays. La France a perdu dans ces opérations 58 soldats français. Donc, encore une fois, il y a eu un effort assez conséquent qui a été apporté par la France, en soutien à ces pays, en matière de lutte contre le terrorisme. Et je pense que c’est à ça que faisait référence le Président de la République. Ce n’était pas une critique qui s’adressait aux Tchadiens qui, pour le coup, n’étaient pas concernés par ces opérations. Encore une fois, je pense qu’il faut être assez précis dans la situation et ne pas mélanger les choses. Les mots du Président de la République concernaient expressément ces opérations Barkhane et Serval qui ont été déployées par la France, encore une fois, à la demande des pays concernés.

Q - Craignez-vous que les Russes, l’armée russe qui est déjà présente dans plusieurs pays du Sahel, le Mali, le Burkina, le Niger, ne s’installe également au Tchad ?

R - Le Tchad est un pays souverain. Le Tchad peut avoir des coopérations militaires avec d’autres pays, évidemment. Dans le contexte du conflit en Ukraine, nous sommes très éloignés des positions russes. Mais après, c’est le choix souverain des Tchadiens qui décideront de leur coopération militaire, avec qui ils veulent coopérer, sur quel sujet. Encore une fois, c’est la logique que nous nous imposons à nous-mêmes, d’avoir une logique partenariale de coopération avec l’ensemble des pays d’Afrique. Les pays africains sont tout à fait libres de nouer des dialogues avec d’autres pays, la Russie, mais aussi d’autres pays.

Q - Christophe Lemoine, merci.

R - Merci beaucoup."