Israël/Territoires palestiniens - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec "France Info" (Paris, le 25 juillet 2025)

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Q - Bonjour Nicolas Teillard. Emmanuel Macron a donc annoncé hier soir que la France reconnaîtrait l’Etat palestinien en septembre à l’ONU. Le moment choisi, Nicolas, pour cette annonce, a pu surprendre.

Q - Oui, le moment choisi, mais pas le fond de cette décision, puisque le Président de la République avait évoqué à plusieurs reprises ces derniers mois l’hypothèse de cette reconnaissance. "Il faudra le faire et on ira", disait-il. Il y a quelques semaines, en avril dernier, lorsqu’il revenait de la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza. Il avait alors parlé d’une reconnaissance possible dans les prochains mois, donnant rendez-vous à New York au mois de juin, où la France devait co-présider avec l’Arabie saoudite une grande conférence internationale. Elle a été annulée en raison de l’offensive lancée par Israël contre l’Iran. Ce que l’on peut rappeler, c’est la continuité historique de la position française, favorable à une solution à deux Etats, qui implique nécessairement un Etat palestinien, comme la plupart des Etats européens. La France pourtant n’avait pas franchi le pas jusqu’ici, espérant entraîner d’autres pays avec elle ; obtenir aussi, en contrepartie, une reconnaissance d’Israël par les pays de la région et notamment ceux du Golfe.

Q - Et nous sommes en ligne, Nicolas, avec le porte-parole du ministère des affaires étrangères. Bonjour Christophe Lemoine.

R - Bonjour.

Q - Merci d’être avec nous. Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette décision intervient-elle maintenant ?

R - Ecoutez, c’est une décision, comme cela a été rappelé, qui est dans la ligne de la position historique de la France. Maintenant, il y a un moment qui est assez particulier, un moment qui est particulier sur le terrain, mais aussi un moment qui est assez particulier diplomatiquement, puisque cette conférence que vous mentionnez, qui a été annulée au mois de juin pour des raisons techniques, va être reprogrammée et que, encore une fois, en amont de cette conférence, l’idée est bien de créer une dynamique pour pouvoir arriver à l’objectif final qui est quand même la mise en place d’une solution à deux Etats. Ce qui suppose bien évidemment la reconnaissance de l’Etat palestinien.

Q - Avec quel espoir, concrètement, que cela change quelque chose aujourd’hui dans le cours de la guerre, Christophe Lemoine ?

R - Ecoutez, le cours des opérations continue, effectivement. La situation dans la bande de Gaza, comme vous le savez, est absolument dramatique. Il y a diverses difficultés. Mais encore une fois, il faut aussi penser que la solution à ce conflit ne peut pas être une solution militaire. Il n’y a pas d’issue à la dynamique militaire, donc il est nécessaire d’enclencher une dynamique politique pour envisager une solution qui puisse permettre d’avoir de la viabilité à long terme pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens.

Q - Est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose, Christophe Lemoine, de l’ordre de l’énergie du désespoir, finalement, les appels au cessez-le-feu, les appels à faire entrer l’aide humanitaire, étant resté l’être mort auprès d’Israël ?

R - Non, ce n’est pas du tout l’énergie du désespoir. Encore une fois, l’idée c’est de maintenir une dynamique, c’est de maintenir une pression sur Israël pour que cessent ses opérations, pour que l’aide humanitaire puisse à nouveau rentrer librement dans la bande de Gaza. Et puis aussi pour que l’ensemble des otages soient libérés. Donc c’est vraiment une question de dynamique qu’il faut instiller, et le moment c’est maintenant.

Q - Vous avez évoqué une continuité historique de la position française, et pourtant jusqu’ici, aucun Président de la République n’avait franchi ce pas. Il y a quelques semaines encore, Emmanuel Macron conditionnait une reconnaissance à des gestes des pays de la région en faveur d’Israël. Il y avait des contreparties, elles semblent absentes aujourd’hui, de la même manière qu’il n’y a pas d’autre capitale qui affirme se joindre à l’initiative française. Est-ce que c’est un va-tout ?

R - Non, la position française historique, c’est la position de vouloir une solution à deux Etats, et celle-là, elle existe depuis longtemps. Et ce que le Président de la République avait dit à plusieurs reprises, c’est que la reconnaissance de la Palestine n’était pas un tabou mais qu’il fallait qu’elle intervienne à un moment qui soit utile. C’est donc aujourd’hui, encore une fois, pour créer une dynamique. Et il ne s’agit pas, par ailleurs, de contrepartie, simplement si on veut envisager une solution avec deux Etats, il est quand même nécessaire que ces deux Etats soient reconnus par un maximum de pays, et notamment les pays de la région, pour ce qui concerne le rapprochement avec Israël.

Q - Et aujourd’hui, vous espérez entraîner le Royaume-Uni, notamment, dans cette décision-là ?

R - La dynamique qui est lancée, effectivement, porte en elle un espoir d’avoir d’autres pays qui reconnaissent l’état de Palestine.

Q - Vous avez pris connaissance, j’imagine Christophe Lemoine, des réactions en Israël. Réactions scandalisées, une partie du gouvernement israélien disant aujourd’hui qu’annexer la Cisjordanie est la réponse appropriée. Il y a donc là le risque qu’Israël aille encore plus loin.

R - Ecoutez, la dynamique que porte cette lettre et que porte la reconnaissance de la Palestine, c’est aussi de faire droit aux aspirations légitimes du peuple palestinien à vivre sur son propre territoire. Et ces aspirations sont aujourd’hui menacées. Comme vous le mentionnez, effectivement. Il y a eu un vote à la Knesset hier concernant la Cisjordanie, qui est un vote qui est un très mauvais signal et une démarche qui va dans le mauvais sens. Donc il est d’autant plus important de montrer que la dynamique peut se faire autrement. Et qu’au fond, ce sont bien les aspirations légitimes du peuple palestinien qui doivent être entendues.

Q - Mais que répond la France alors ce matin à Israël ? Vous avez peut-être entendu l’ambassadeur d’Israël en France qui était avec nous il y a quelques minutes, qui voit là la victoire de la terreur, la victoire du Hamas.

R - Non, absolument pas. La France a toujours condamné les actions du Hamas, et notamment les attaques atroces du 7 octobre 2023. Il a toujours été répété qu’il était absolument nécessaire, y compris dans le cas d’une solution à deux Etats, d’isoler le Hamas et de mettre fin d’une manière définitive au terrorisme. Donc non, ce n’est pas du tout la victoire du terrorisme. C’est une mauvaise lecture des choses. La bonne lecture des choses, c’est encore une fois, de regarder l’avenir, de considérer qu’il ne peut pas y avoir de solution militaire pour les Territoires palestiniens et d’envisager ensemble une solution politique.

Q - Est-ce que vous avez l’espoir de réunir ces deux visions ? La vôtre et celle d’Israël, Christophe Lemoine ? Parce que la France estime que cette reconnaissance, c’est un pas vers la paix. Israël, que c’est un pas finalement vers la guerre et que ça annihile toute chance de solution à terme.

R - Les relations entre la France et Israël sont assez denses, comme vous le savez, il y a des contacts extrêmement réguliers, c’est effectivement un point de vue que nous ferons valoir auprès des autorités israéliennes, et nous essaierons de convaincre qu’encore une fois, sur le long terme, il n’y a de solution que de solution politique.

Q - Parce que là, vous vous attirez aussi les foudres des Etats-Unis, Christophe Lemoine, qui ont vivement réagi ces dernières heures.

R - Les Etats-Unis, effectivement, ont eu une réaction qui était parallèle à celle d’Israël. Mais comme pour Israël, le dialogue est constant avec les autorités américaines. C’est un projet dont le Président de la République parle depuis plusieurs semaines, encore une fois.

Q - Emmanuel Macron a prévenu Donald Trump, d’ailleurs, hier ?

R - Il y a des relations très régulières entre eux et je pense qu’il y a la volonté de convaincre aussi les Américains que cette solution est celle qui est la plus porteuse d’espoir et qu’on ne peut pas imaginer des opérations militaires sans fin et une population dans la bande de Gaza dont la situation se dégrade de jour en jour pour être aujourd’hui au niveau qu’on connaît.

Q - Mais aujourd’hui, seuls les Etats-Unis peuvent faire pression sur Israël, Christophe Lemoine ?

R - Encore une fois, c’est une discussion qui va être engagée. La conférence qui se tiendra sur la solution à deux Etats est une conférence qui est organisée par les Nations unies, qui regroupe donc potentiellement tous les pays du monde. C’est un dialogue qu’il va falloir avoir, et nous espérons pouvoir convaincre effectivement que la meilleure solution, c’est une solution politique, la seule à garantir un avenir, tant au peuple palestinien qu’au peuple israélien, pour pouvoir vivre en paix et en sécurité.

Q - Christophe Lemoine, merci d’avoir accepté l’invitation de France Info ce matin. Porte-parole du ministère français des affaires étrangères, merci à vous.