Iran/Israël - Entretien de Christophe Lemoine avec "CNews" (Paris, 20 juin 2025)

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Q - Nous accueillons Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d’être là. Beaucoup de questions, évidemment, à vous poser. Des sirènes d’alerte anti-aérienne ont retenti ce matin dans plusieurs régions d’Israël après des tirs de missiles iraniens. Voici les images dont on dispose à Beersheba. On va y revenir dans un instant. Une réunion diplomatique est organisée aujourd’hui à Genève. Jean-Noël Barrot et son homologue américain Marco Rubio se sont entretenus par téléphone hier soir. Que se sont-ils dits ?

(…)

D’abord, regardons ce qui s’est passé à Beersheba. Des explosions et des incendies. C’était donc ce matin. Beersheba, c’est au sud d’Israël, là même où un hôpital a été touché par un missile iranien hier. C’était Stephan Goldin, d’ailleurs, Harold Hyman avec nous, qui nous le faisait remarquer à 7h10 dans la matinale "CNews" : quand un hôpital avait été touché à Gaza, il y avait eu une indignation mondiale, et là, personne n’en parle, personne ne s’indigne dans le monde entier.

(…)

Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay : sur ce "deux poids, deux mesures" ?

R - Je ne pense pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Il y a des opérations militaires entre Israël et l’Iran aujourd’hui, avec une logique escalatoire qui est extrêmement dangereuse. Cela fait des victimes civiles des deux côtés. Bien évidemment, ce sont des victimes de trop, et il faut absolument que cette escalade cesse.

(…)

Q -
Déclaration à l’instant : le ministre de la défense israélien met en garde le Hezbollah contre toute intervention dans la guerre. Christophe Lemoine, Jean-Noël Barrot, notre ministre des affaires étrangères, et son homologue américain, Marco Rubio, se sont entretenus par téléphone hier soir. Que se sont-ils dit ?

R - Ils ont évoqué la situation, bien évidemment, puisque c’est une situation qui est extrêmement préoccupante. Je pense que le Ministre lui a rappelé un peu les lignes qui sont celles de la diplomatie française, à savoir de cesser cette logique escalatoire et de revenir à la table des négociations. C’est un point qui est extrêmement important. On ne peut pas prendre le risque d’opérations militaires qui pourraient devenir hors de contrôle dans une région qui est déjà extrêmement inflammable. Donc ils ont précisé ces points-là. Je pense que le Ministre a eu l’occasion de lui redire que la négociation était la meilleure voie pour mettre fin à cette escalade et qu’il était impliqué, avec ses homologues allemand et britannique, pour reprendre un dialogue sérieux et solide avec l’Iran.

Q - L’Iran qui est une menace pour Israël, mais également pour l’Europe, et également pour la France ? L’Iran est une menace pour la France ?

R - Oui, l’Iran est un pays qui est une menace. La question centrale du programme nucléaire iranien, qui occupe les diplomaties occidentales depuis un certain temps, constitue une vraie menace. Le programme nucléaire, le programme balistique sont des vraies menaces de l’Iran, évidemment.

Q - Ça veut dire que si Israël atteint son objectif, qui est d’anéantir le programme nucléaire iranien, nous allons bénéficier de l’action militaire israélienne en Europe et en France ?

R - Je ne pense pas que la solution soit militaire, au fond. Encore une fois, le programme nucléaire iranien, c’est un sujet qui occupe la diplomatie depuis 20 ans. C’est un sujet sérieux. L’Histoire montre que la seule manière de contraindre un pays à respecter ses obligations au titre du traité de non-prolifération, c’est la voie diplomatique. Il y a des précédents. Les solutions militaires ne sont pas des solutions de long terme, encore une fois, pour garantir la sécurité de la région à long terme.

Q - Une réunion doit se tenir aujourd’hui à Genève avec les ministres des affaires étrangères français, allemand, britannique, avec un représentant de l’Europe et avec le ministre des affaires étrangères iranien - qui va se rendre à Genève ?

R -
Oui, parce qu’il est absolument nécessaire aujourd’hui de reprendre une discussion avec les Iraniens et de réengager un dialogue avec eux pour obtenir un accord solide et sérieux.

Q - Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur cette réunion ?

R - C’est une réunion qui est extrêmement importante. Elle réunit le groupe des trois Européens qui ont été impliqués depuis le début dans les négociations avec l’Iran. Et le point aujourd’hui, c’est de réengager l’Iran dans une négociation sérieuse vers un nouvel accord qui tient compte des nouveaux paramètres du programme nucléaire iranien - parce qu’encore une fois, c’est un programme qui a évolué depuis 2015 et le premier accord qui avait été conclu - et donc réengager l’Iran sur cette voie, pour trouver une solution qui soit une solution négociée et sérieuse, solide, et qui permette d’assurer la stabilité de la région.

Q - Je vous écoute. La France défend la voie diplomatique. Comment est-ce que vous estimez les chances que l’on sorte de cette crise par la voie diplomatique ?

R -
Toute guerre se termine toujours par une négociation diplomatique. La question aujourd’hui, c’est que cette discussion arrive au plus vite et que les opérations cessent. On ne peut pas se permettre le risque d’une escalade dans cette région.

Q -
Qu’est-ce qui pourrait faire que la France intervienne militairement ? Le Président de la République lui-même a fait des offres militaires défensives à Israël.

R - Oui, mais pour le moment, la priorité de la France, c’est vraiment la voie diplomatique. Encore une fois, il y a des opérations militaires, vous l’avez signalé, il y a des morts civils, il y a trop de morts civils. Il faut que ces opérations cessent. Et la seule voie de sortie crédible, ça ne peut pas être la voie militaire. C’est nécessairement une voie diplomatique, une solution négociée, avec chacun autour de la table.

Q -
L’objectif de la France, c’est que l’Iran renonce définitivement à la bombe nucléaire ?

R - L’objectif de la France, c’est que l’Iran se conforme à ses obligations au titre du traité de non-prolifération nucléaire. C’est le cadre international de réglementation du nucléaire au niveau mondial. L’Iran est signataire de ce traité ; il faut que l’Iran se conforme à ses obligations.

Q - Est-ce que l’objectif de la France est également que le régime des mollahs s’effondre sur lui-même ?

R - Je vous renverrai volontiers aux propos du Président de la République, qui a redit lorsqu’il était au G7 que toute tentative de changement de régime par l’extérieur et par une solution militaire constitue toujours une erreur stratégique. La question centrale qui nous occupe aujourd’hui, c’est le risque de prolifération nucléaire en Iran, c’est la menace que constitue l’Iran aujourd’hui dans la région, et c’est ça qui doit être traité en priorité.

Q - Vous semblez opposer la voie diplomatique à la voie militaire, mais est-ce que ce n’est pas justement la pression militaire d’Israël qui fait que l’Iran va être contraint à un moment d’abandonner son programme nucléaire ? Parce qu’on a vu que dans les négociations précédentes, visiblement, l’Iran n’avait pas totalement abandonné son programme, malgré le Traité de Vienne, malgré tous les efforts diplomatiques de la France.

R -
Oui, l’Iran a eu une attitude escalatoire ces dernières années. C’est évident. Il y a eu des seuils d’enrichissement qui ont été franchis. L’Iran, par ailleurs, est un pays qui, je vous rappelle, retient deux otages d’États français. Évidemment, il y a des choses à dire sur l’Iran. Sauf que ce qui est important aujourd’hui, c’est, encore une fois, la stabilité de la région, c’est de ne pas enflammer une région qui est déjà soumise à différents mouvements. La voie diplomatique est nécessairement la meilleure, parce qu’avec une voie militaire, à part augmenter la conflictualité, on n’obtiendra rien. Donc il faut absolument réengager l’ensemble des participants sur une discussion qui permette d’obtenir un accord et qui permette à chacun, et notamment à l’Iran, de se conformer à ses obligations au titre notamment de ce traité sur la non-prolifération nucléaire.

Q -
Est-ce que la France reconnaît que la République islamique d’Iran met Israël en danger, tout simplement ?

R - Oui, la France reconnaît que l’Iran est un acteur, est un facteur de déstabilisation dans la région. L’Iran ne se conforme pas à ses obligations. On l’a vu, et les rapports de la AIEA, le gendarme mondial du nucléaire, le montrent. Il y a effectivement des difficultés avec l’Iran sur la question du programme nucléaire. C’est aujourd’hui la question qui est au centre de l’affrontement entre Israël et l’Iran. Mais c’est une question qui doit être réglée par la voie des négociations. La voie militaire ne permettra pas d’obtenir un cadre stable, solide et à long terme pour la région.

Q - Christophe Lemoine, je voulais vous entendre également sur les Français, souvent binationaux, qui sont coincés en Iran et en Israël. Quelles sont les consignes ? Que dit le Quai d’Orsay ?

R - Le ministre Jean-Noël Barrot a annoncé hier des dispositifs permettant aux Français résidant en Iran et en Israël de pouvoir quitter ces territoires s’ils le souhaitaient, sur une base volontaire. Le centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay est pleinement mobilisé pour trouver des solutions, dans une situation logistique assez compliquée au vu des circonstances. Mais nous sommes en cours de montage d’une opération pour permettre aux Français qui résident en Iran et en Israël de pouvoir quitter l’Iran et Israël et de rentrer en France.

Q - Combien de personnes sont concernées ?

R -
Alors, en Israël, c’est environ 100.000 personnes. C’est une évaluation. En Iran, un petit peu moins de 1.000.

Q - Merci beaucoup d’être venu ce matin sur le plateau de la matinale de "CNews" pour nous dire des choses, d’avoir choisi "CNews" pour parler.

R -
Merci beaucoup.