Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 7 avril 2025)

Partager

Q - Christophe Lemoine, bonjour et bienvenue. Merci d’être avec nous. Vous êtes porte-parole du Quai d’Orsay, on est également en plateau avec Antoine Comte, notre éditorialiste politique, et avec Audrey Goutard, qui nous a rejoint, journaliste spécialiste des faits de société pour France Info. Christophe Lemoine, ça y est, on peut dire que la brouille avec Alger est derrière nous ?

R - En tout cas, ce qui est certain, c’est que la visite d’hier, marque la reprise du dialogue avec Alger, c’est une chose qui est extrêmement importante. Comme l’a souligné le Président de la République il y a quelques jours, c’est une relation qui est dense, c’est une relation sur laquelle il y a beaucoup d’enjeux. Donc il était très important de reprendre le dialogue, un dialogue large, un dialogue qui inclut tous les sujets. Et c’est la raison pour laquelle Jean-Noël Barrot, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, s’est déplacé à Alger hier, quelques jours après l’échange entre Emmanuel Macron et son homologue algérien.

Q - Il fallait que ça se fasse vite et il faut que les rencontres continuent à être assez rapprochées, ou pas ?

R - Absolument. C’est le début. Comme l’a dit le président Tebboune, « le rideau se lève ». Donc ça veut dire qu’on entame une nouvelle étape de la relation franco-algérienne. Et encore une fois, il faut que l’ensemble des sujets soient évoqués et que les contacts se mettent en place à tous les niveaux.

Q - L’un des sujets extrêmement sensibles pour la France, c’est le sort de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui a été condamné la semaine dernière à cinq ans de prison par le régime algérien. Depuis, le parquet a fait appel. Est-ce que d’abord, vous avez confirmation que Boualem Sansal lui-même a fait appel ? Parce qu’on avait un doute, la semaine dernière.

R - Je ne peux pas vous le confirmer. Ce qui est certain, c’est que la procédure judiciaire est encore en cours et qu’elle n’est pas achevée.

Q - Est-ce qu’on a des nouvelles de lui ? Est-ce que Jean-Noël Barrot a pu le voir, a eu de ses nouvelles ?

R - Jean-Noël Barrot a porté tous les messages auprès des autorités algériennes, et même à haut niveau, sur la préoccupation qui était celle de la France face à la situation de Boualem Sansal, qui est emprisonné, qui est une personne assez âgée…

Q - 80 ans, et qui est malade.

R - Absolument, avec une situation qui nous préoccupe énormément. Donc les messages ont été passés de manière claire par Jean-Noël Barrot.

Q - La question d’une grâce présidentielle, est-ce qu’elle a été évoquée hier avec le président Tebboune ?

R - Encore une fois, je pense que la procédure judiciaire algérienne n’est pas achevée. Je pense que pour le moment, la première étape, c’est celle-là. Et ensuite, il faudra voir comment les autorités algériennes souhaitent avancer.

Q - J’aimerais qu’on regarde ensemble un tweet, un écrit d’Arnaud Benedetti, qui fait partie du comité de soutien de Boualem Sansal, et qui a écrit hier ceci sur X : « En dépit des efforts des autorités françaises, le déplacement de Jean-Noël Barrot est, concernant Boualem Sansal, très décevant. Le comité de soutien va maintenir la pression, l’intensifier, seule manière de parvenir à une libération avant qu’il ne soit définitivement trop tard. » Qu’est-ce que vous avez envie de lui répondre ?

R - D’une part, que les résultats ne sont pas décevants. Encore une fois, Jean-Noël Barrot a porté les messages à haut niveau s’agissant de Boualem Sansal, mais il y a une procédure judiciaire qui est en cours.

Q - Donc la diplomatie n’est pas aussi rapide que ce qu’on voudrait pour la libération de cet homme qui, vous le disiez, est âgé et malade ?

R - C’est plus, peut-être, la justice qui n’est pas aussi rapide que ce qu’on souhaiterait, pour le coup. Mais encore une fois, il faut que l’ensemble de la procédure judiciaire algérienne soit achevée avant de pouvoir envisager autre chose et de voir Boualem Sansal revenir en France.

Q - L’autre gros enjeu de la relation Paris-Alger, c’est la politique migratoire. On en a énormément parlé ces derniers mois et notamment la question des OQTF. Vous savez, ce sont les obligations de quitter le territoire français. Alger qui a refusé à plusieurs reprises le retour de ses ressortissants concernés. Où est-ce qu’on en est dans ce dossier actuellement ?

Q - Eh bien, ça va mieux, on peut le dire, puisqu’on a sept étrangers en situation irrégulière algériens qui ont été récupérés là, c’est ce que l’on vient d’apprendre. Ils ont été récupérés par l’Algérie, donc un changement de paradigme de la part des Algériens qui acceptent de délivrer, vous savez, ces fameux laissez-passer consulaires qui permettent à la France d’expulser des ressortissants algériens. Donc, effectivement, les autorités nous ont annoncé qu’il y en avait eu sept et que finalement, le fil reprenait. C’est un fil qui est important puisque, je vous rappelle que sur le nombre de personnes contrôlées en situation irrégulière en 2024, plus d’un tiers était représenté par les ressortissants algériens. Donc c’est un nombre important de ce qui est du dossier immigration clandestine, immigration irrégulière. Donc effectivement, les Français y sont très sensibles. Et Bruno Retailleau, vous l’aviez entendu, n’avait pas hésité à parler de scandale, d’humiliation, etc. lorsque l’Algérie avait refusé une liste d’une soixantaine de ressortissants, y compris des ressortissants en situation irrégulière qui avaient été désignés par la France comme étant dangereux. Je pense notamment à des influenceurs algériens.

Q - Donc ces cas-là, Christophe Lemoine, c’est le début d’une longue liste ? Là, ça y est, tout est remis en marche dans ce processus ? On peut en parler comme ça ?

R - Ça a été effectivement évoqué par le Ministre avec son homologue hier. C’est effectivement un volet important de la relation bilatérale entre Alger et Paris. Et ce qui a été acté hier, c’est en effet une reprise de la discussion entre les services algériens et les services français pour remettre en place une coopération en la matière qui permette effectivement l’exécution des OQTF et le retour - l’éloignement, en tout cas - des OQTF de France. C’était l’une des choses qui étaient importantes dans cette réunion, il va y avoir des réunions entre les préfets et les consuls algériens en France, parce que ce sont vraiment les chevilles ouvrières de cette coopération, qui vont permettre effectivement de fluidifier ce flux de retour des OQTF algériens.

Q - Ces réunions-là dont vous parlez, c’est l’assurance qu’on ne va pas avoir un retour en arrière dans quelques semaines ou dans quelques mois, s’il y a un nouveau pic de tension entre les deux pays ?

R - C’est une reprise des discussions et une reprise de la coopération entre services consulaires algériens et services français. Nous allons donc reprendre cette coopération afin de pouvoir fluidifier les choses.

Q - Mais est-ce que vous avez la garantie que justement cette coopération avec des services algériens, des services français, sera plus efficace qu’elle ne l’était auparavant ? Parce qu’à la base, quand même, il y avait cette grosse critique, qui était faite notamment par Bruno Retailleau, que ça ne marchait pas, ou que ça ne marchait pas bien. En tout cas, l’Algérie n’était pas performante et pas volontariste pour récupérer ses ressortissants, avant même le début de la crise.

R - Il y a toujours eu avec Alger… En fait, ça a été encadré par un accord de 1994. Il y a eu un accord entre Paris et Alger sur l’organisation, justement, des retours. La coopération avec les Algériens a fonctionné et fonctionne. Si on compare avec d’autres pays, en fait, il y a une coopération qui fonctionne. Elle s’est interrompue ces derniers mois, et c’était tout l’objet de la visite de Jean-Noël Barrot hier à Alger, c’est de fluidifier cette coopération pour qu’elle puisse à nouveau fonctionner.

Q - Mais elle ne marchait pas très bien auparavant. Pardon, mais avant la crise, déjà, il y avait des reproches, et effectivement on reprochait au pouvoir algérien de ne pas récupérer suffisamment d’OQTF.

R - Il y a eu et il y a, comme avec tous les pays pour lesquels nous avons des dialogues pour les reprises des étrangers en situation irrégulière… Ce sont des coopérations qui sont mises en place sur le temps long. Celle avec l’Algérie fonctionnait de manière à peu près équivalente à d’autres pays.

Q - Donc pas terrible ?

R - Non, elle fonctionnait et elle fonctionne.

Q - Vous voulez dire que ça fonctionne, qu’il n’y avait rien à reprocher ? C’est ça que vous êtes en train de dire ? Donc on revient au point de départ, en fait ?
R - Ce que je veux dire, c’est qu’on reprend une coopération qui a été suspendue. Et le point important, c’était quand même que cette coopération reprenne après des semaines…

Q - Parce qu’elle était complètement à l’arrêt ?

R - Elle était complètement suspendue, oui.

Q - Audrey, la question de la coopération et notamment du renseignement, elle est extrêmement importante ?

R - Oui, effectivement, cette reprise de dialogue, elle n’est pas simplement liée à l’immigration. Il y a aussi une relation historique entre la France et l’Algérie, notamment en matière de renseignements. Je vous rappelle quand même que la région à la frontière de l’Algérie est en pleine reconfiguration stratégique avec l’émergence, effectivement, vous vous souvenez, du putsch au Mali, au Burkina Faso, au Niger, entre 2020 et 2023, l’émergence de petits groupes islamistes que la France surveille de près, et puis effectivement une mainmise de la Russie qui inquiète évidemment fortement toutes les forces dans la région, et notamment l’Algérie. Donc c’était très important que cette coopération du renseignement reprenne, pour l’Algérie et pour la France, parce qu’on l’a vu au cours des différents attentats, périodes terroristes, etc., la France et l’Algérie ont travaillé main dans la main sur ces enjeux extrêmement stratégiques. Le deuxième point aussi, c’est la coopération j udiciaire qui reprend. Il y a effectivement en France des biens mal acquis qui doivent être récupérés par le pouvoir algérien. Il y a des procès d’anciens membres du gouvernement algérien qui sont accusés de corruption et qui ont des biens en France, et l’Algérie aimerait bien que ce dossier se close aussi.

Q - On est en train de comprendre - ou de se rappeler, en tout cas - avec Alger qu’on a des intérêts communs quand même sur un certain nombre de dossiers ? On l’avait oublié, ces derniers mois ?

R - On a des intérêts communs sur un certain nombre de dossiers, notamment, comme ça a été cité, sur la situation au Sahel en tout cas, et ça c’est un point qui est extrêmement important. Mais ce que montre aussi la visite d’hier, c’est que nous avons des coopérations sur beaucoup de sujets. On a cité la coopération en termes sécuritaires, en termes de justice, en termes migratoires évidemment, mais aussi en matière économique et en matière culturelle. Les échanges sont substantiels et donc il y a des enjeux importants.

(…)

Q - Vous l’avez rappelé tous les deux, Audrey et Antoine, les mots durs qu’a eus Bruno Retailleau envers l’Algérie. Est-ce qu’il faut qu’il se mette en retrait dans les prochaines semaines, pour permettre un réchauffement encore plus marqué entre Paris et Alger ?

R - Ce qui est certain, c’est que la relation entre Paris et Alger vaut comme toutes les relations bilatérales de la France avec les autres pays. Ça doit d’abord être traité de manière diplomatique. C’est ce à quoi sert la diplomatie. C’était tout le sens du déplacement de Jean-Noël Barrot hier, qui a eu un long entretien avec son homologue ministre des affaires étrangères algérien. C’est la manière normale, si je puis dire, de gérer des relations bilatérales, que ce soit pour l’Algérie…

Q - Donc Bruno Retailleau aurait mieux fait de se taire ? C’est important, parce qu’on l’a presque plus entendu que Jean-Noël Barrot pendant toute une période sur une question de relations entre Paris et Alger, notamment les OQTF. Et on a vu ce que ça a donné.

Q - J’ajouterais même que Gérald Darmanin, ministre de la justice, avait aussi pris la parole, en disant qu’il fallait rappeler l’ambassadeur français qui était à Alger. Donc voilà.

R - Tout le monde s’en est mêlé.

Q - De quel droit ces ministres parlent de diplomatie, alors que la diplomatie revient à Jean-Noël Barrot, normalement ?

R - Absolument, la diplomatie revient au ministre des Affaires étrangères.

Q - Mais Jean-Noël Barrot avait parlé de « good cop/bad cop », en disant qu’il n’y a pas de bon et de mauvais flic. Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a eu le bon et le mauvais flic ?

R - Encore une fois, si on prend un peu de recul, il y a une relation bilatérale qui a connu une crise, avec des problèmes qui sont arrivés de manière successive. Le meilleur moyen de régler les problèmes d’État à État, c’est encore d’utiliser la diplomatie.

Q - Est-ce que vous avez le sentiment - et ce sera ma dernière question - que Bruno Retailleau a jeté l’huile sur le feu, jusqu’à ce que ça se réchauffe là, ces derniers jours ?

R - Encore une fois, il y a avec l’Algérie des sujets qui sont difficiles, et je pense que la discussion d’hier a été large et franche sur différents sujets. L’important maintenant, c’est de regarder devant nous et de trouver des solutions à ces problèmes.

Q - Aucune remise en question des visas, alors ? Donc ça, c’est un dossier qui est derrière vous ? Pas de remise en question de ces fameux visas et de ce fameux statut de 1968 et de 2007, pour les visas diplomatiques notamment ?

R - Pour les visas diplomatiques, c’est l’accord de 2013, ce n’est pas l’accord de 1968. On a avec l’Algérie un ensemble d’accords bilatéraux qui régissent la mobilité entre les deux pays. Ça, c’est une partie. Mais encore une fois, la discussion concernera l’ensemble des mobilités entre la France et l’Algérie.

Q - Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation.

R - Merci beaucoup.