Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « France 24 » (16 janvier 2025)

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Q - 24h après l’annonce qu’un accord a finalement été trouvé en vue d’un cessez-le-feu contre une libération des otages à Gaza, le doute s’installe. Israël dénonce la remise en cause, sans plus de précisions, de certains points de l’accord par le Hamas, qui, lui, accuse Tsahal de mettre en péril la vie des otages par ces bombardements, la trêve étant censée n’entrer en vigueur que dimanche. Conséquence : le feu vert n’a toujours pas été donné côté israélien. Le cabinet de guerre devrait se réunir demain, vendredi, au plus tôt. Comment vit-on cette situation côté français ? Le porte-parole du Quai d’Orsay est avec nous. Bonjour, Christophe Lemoine.

R - Bonsoir.

Q - Vous comprenez quels sont les points bloquants sur lesquels voudrait revenir le Hamas, si l’on en croit les autorités israéliennes, ce soir ?

R - La première chose que je peux vous dire déjà, c’est que cet accord qui a été trouvé et annoncé hier est un énorme soulagement, parce que c’est un accord qui arrive au terme de 15 mois de conflit et d’opérations dans la bande de Gaza, avec des otages qui sont toujours retenus depuis le 7 octobre 2023, une situation humanitaire qui est absolument catastrophique. Et c’est cet accord qui doit pouvoir ouvrir la voie à la libération des otages, mais aussi à un arrêt des opérations.

Q - Mais y a-t-il bel et bien accord ?

R - Il y a un accord qui a été annoncé hier, par le biais notamment des trois pays qui ont assuré le rôle de médiateur dans ces négociations, les États-Unis, le Qatar et l’Égypte. Cet accord a été annoncé, le secrétaire d’État américain a dit aujourd’hui qu’il était confiant dans le fait que cet accord de cessez-le-feu entrerait en vigueur. Il doit entrer en vigueur dimanche. Et évidemment, il y a une réunion du Conseil de défense israélien demain. Nous voulons être confiants sur l’issue de cet accord, qui doit entrer en vigueur.

Q - Cet accord, présenté dans sa version initiale pour la première fois en mai de l’année dernière, a mis donc huit mois avant d’arriver dans sa version finale entre les négociateurs. Des tensions portaient notamment sur le maintien ou non d’une présence israélienne. On le sait, il est acquis que les soldats israéliens quitteront le corridor de Netzarim, au centre de la bande de Gaza. Néanmoins, l’un des points d’achoppement portait sur le maintien ou pas d’une présence israélienne sur des portions du corridor de Philadelphie, qui borde en fait le terminal de Rafah et donc la frontière entre Gaza et l’Égypte. C’est cela, aujourd’hui, qui coince encore ?

R - Il y a effectivement tout un spectre de détails qui sont couverts par l’accord, puisque bien évidemment c’est un accord qui préfigure un tout petit peu ce qui devra arriver après dans la bande de Gaza. La France a toujours été très claire sur le sujet : il faut absolument une perspective politique après le cessez-le-feu. Le cessez-le-feu, la libération des otages sont des premières étapes. Il doit y avoir ensuite une solution pérenne qui doit être trouvée pour permettre d’apporter des garanties de sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens. Et cette solution, c’est évidemment la solution d’un principe de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité. Donc bien évidemment, les détails de l’accord ont été âprement négociés. Comme vous le soulignez, c’est un accord qui a été négocié sur le long cours. Mais encore une fois, la conclusion de l’accord hier montre en tout cas que l’essentiel des blocages ont été levés, et c’est une excellente nouvelle.

Q - Cela veut dire que le doute persiste néanmoins sur la possibilité de voir libérer les deux Français encore retenus en otage, Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi ? Le Président [de la République], Emmanuel Macron, s’était pourtant réjoui hier de la perspective de leur libération, en parlant - c’était sur X - d’un « soulagement immense ». S’est-on réjouis trop tôt ?

R - C’est un énorme soulagement. Effectivement, le sort des otages français, et notamment des deux personnes qui restent encore otages à Gaza, sont une priorité des autorités françaises, bien évidemment. L’accord qui a été conclu soulève une grande vague d’espoir quant à leur libération et nous espérons vraiment qu’ils puissent retrouver leurs proches, leurs familles prochainement. Encore une fois, c’est un élément de l’accord, et nous voulons croire que l’accord sera appliqué.

Q - Écoutez en tout cas ce qu’en disait le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, interrogé sur le sort, les conditions de détention de ces otages par la radio « RTL ».

(…)

Q - Rien, aucun canal d’information n’a permis de savoir dans quel état de santé se trouvent au Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi ? Aucune preuve de vie, à l’heure qu’il est ?

R - Effectivement, c’est ce que disait le Ministre ce matin. Nous n’avons pas de nouvelles particulières d’eux, encore une fois, sauf par le biais de ceux des otages qui ont pu être libérés. Mais effectivement, et c’est ce qui constitue une source d’inquiétude… C’est pour ça que nous voulons croire que l’accord permettra en tout cas la libération de l’ensemble des otages qui restent dans la bande de Gaza, et plus particulièrement des deux otages français qui sont encore détenus.

Q - Que peut faire la France ? Qu’a-t-elle en son pouvoir pour faciliter la mise en oeuvre de cet accord ?

R - La France a toujours plaidé pour un accord de trêve accompagné d’une libération des otages et d’une réouverture des points de passage pour acheminer l’aide humanitaire. La France a toujours été disposée à apporter son aide sur ce sujet, comme elle l’a fait d’ailleurs sur le dossier libanais. Et c’est une proposition qui est encore ouverte. Nous avons, depuis le début, depuis le 7 octobre 2023, apporté beaucoup d’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Aujourd’hui, c’est une aide humanitaire qui a du mal à rentrer du fait de la situation. Un cessez-le-feu permettra la réouverture des points de passage et l’entrée à nouveau des camions d’aide humanitaire. Et sur ce point, la France est tout à fait disposée à continuer tout ce qu’elle a fait depuis le 7 octobre 2023 en faveur des populations civiles à Gaza.

Q - Faciliter l’envoi d’aide humanitaire, l’entrée des camions, avec également des humanitaires français impliqués ?

R - Avec effectivement toute une série d’humanitaires, d’ONG, mais aussi par le biais des organisations internationales qui sont présentes sur place, pour avoir une coordination de l’aide et de la distribution de l’aide qui soit ordonnée et qui permette d’atteindre l’ensemble de la population gazaouie. Encore une fois, la France a contribué de différentes manières : par des livraisons de matériel humanitaire - même, je ne sais pas si vous vous souvenez, il y a eu des largages aussi qui ont été opérés… Au début de la crise, il y avait un bâtiment de la marine française qui était accosté au large et qui a servi de navire-hôpital. La France a aussi organisé l’évacuation de certains enfants palestiniens blessés dans les hôpitaux français. Il y en a eu à ce jour 24 qui ont été pris en charge par la France. Donc il y a toute une série de propositions qui ont été faites par la France, toute une série de mesures qui ont été prises. Et ce sont des opérations qui peuvent être poursuivies, voire augmentées s’il le faut.

Q - Alors, j’évoquais les ONG. Dès hier, Reporters sans frontières, réclamait des sanctions pour les crimes de l’armée israélienne, alors que l’encre de l’accord n’était pas encore sèche. Était-ce le bon moment pour le faire ?

R - Ce qui est certain, c’est que, comme sur tous les théâtres de guerre, les journalistes payent un prix assez lourd. La France a toujours rappelé son attachement à la liberté de la presse, liberté de la presse qui signifie que les journalistes doivent être en mesure d’exercer leur profession et de faire leur travail - qui est un travail essentiel d’information - dans des conditions de sécurité acceptables. Le territoire de la bande de Gaza a vu de nombreux journalistes touchés par les opérations, et c’est quelque chose que la France a toujours condamné. Maintenant, avec cet accord, on est dans une dynamique plus positive, où en fait on va arriver à une cessation des opérations, une libération des otages, et donc on a bon espoir que le sort des journalistes s’en trouve aussi amélioré.

Q - Il faudra documenter d’éventuels crimes de guerre commis à Gaza ? C’est cela aussi l’urgence, tant que les preuves sont encore présentes ?

R - Il y a toute une série, effectivement, de mécaniques qui vont se mettre en place. Évidemment, je vous rappelle qu’il y a des affaires en cours devant la Cour internationale de justice, qui en fait parlent de droit international et de droit de la guerre. Donc ce sont des procédures qui sont…

Q - Il y a aussi des poursuites contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou devant la Cour pénale internationale. La France a dit qu’il pourrait venir en France.

R - La France a dit sur ce sujet-là qu’elle respecterait le droit international et plus spécifiquement le statut de Rome. Or le statut de Rome impose aux États deux choses. Il impose aux États, d’une part, de coopérer avec la Cour pénale internationale, mais ce même statut reconnaît aussi des immunités aux chefs d’État des pays qui ne sont pas parties au statut de Rome, ce qui est le cas d’Israël. Donc, in fine, il reviendra à la justice française de trancher ce point. Ce qui est important pour la France, c’est de rappeler son attachement au droit international et à l’application du statut de Rome.

Q - Christophe Lemoine, un dernier mot sur la région. Emmanuel Macron est attendu au Liban. Il doit s’y rendre demain. Le Président de la République, qui s’engage aux côtés du prince héritier saoudien sur le soutien de la France à la formation d’un gouvernement fort, puisque le pays est désormais doté d’un président, Joseph Aoun, et d’un premier ministre, Nawaf Salam. Vous voyez des progrès sensibles pouvoir se faire sous peu ? Un gouvernement sans la présence du Hezbollah et sans Amal, c’est-à-dire sans les composantes chiites de la classe politique libanaise ?

R - Je pense que, déjà, si on a un regard un peu rétrospectif sur ces derniers mois, la dynamique s’est complètement inversée au Liban. Si on reprend la situation au mois de septembre, au début des frappes israéliennes sur le Liban, c’était un pays qui était dans une crise institutionnelle assez profonde, qui s’est retrouvé pris par des attaques de Tsahal contre, justement, les positions du Hezbollah. La France a très vite pris la mesure de la situation et s’est pleinement engagée, depuis le mois de septembre, depuis le début des frappes pour, d’une part, favoriser l’émergence d’un accord de cessez-le-feu, qui a été obtenu le 27 novembre dernier avec les Américains et qui a permis la mise en place d’un comité de surveillance et donc le retrait des forces israéliennes et le déploiement des forces armées libanaises. C’est la première chose. Et sur le plan institutionnel, la France a toujours été très impliquée pour aider justement les Libanais à sortir de cette crise institu tionnelle. Le Président de la République s’était lui-même impliqué personnellement, il avait nommé un envoyé personnel, Jean-Yves Le Drian.

Donc l’élection d’un président de la République suivie de l’élection d’un premier ministre, c’est une excellente nouvelle et c’est un retournement de la dynamique puisque ça permet, avec le cessez-le-feu et le départ des troupes israéliennes, de remettre le Liban sur une trajectoire favorable.

Q - Avec ou sans le Hezbollah et Amal ?

R - Encore une fois, il y a l’ensemble des composantes de la société libanaise. Vous savez que la société libanaise est multiconfessionnelle et multiethnique. Donc bien évidemment, c’est un système institutionnel qui englobe l’ensemble de la diversité de la société libanaise. C’est ainsi que les institutions libanaises fonctionnent. Ce qui est essentiel pour le moment, c’est qu’elles se remettent en mouvement, qu’elles refonctionnent, et ça sera possible grâce au nouveau président de la République et au nouveau premier ministre, qui doit nommer un gouvernement rapidement.

Q - Mais vous n’avez pas répondu sur la participation ou pas de ces composantes chiites.

R - C’est une question pour les Libanais. Encore une fois, il y a une question de diversité de la société libanaise, qui est prise en compte par les institutions. Il y a une Constitution libanaise qui doit être respectée et une représentation de la diversité qui doit être respectée.

Q - Merci beaucoup, Christophe Lemoine, porte-parole du ministère français des affaires étrangères, d’avoir répondu aux questions de France 24.

R - Merci beaucoup.