Cérémonie de passation de pouvoirs de Jean-Yves Le Drian à Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (21 mai 2022)

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Propos de M. Jean-Yves Le Drian

Madame la Ministre, chère Catherine Colonna,
Mesdames et Messieurs,

C’est évidemment avec beaucoup d’émotion que je m’apprête à quitter cette belle maison, où les jours, et les nuits ont une densité et une gravité particulières. Vous le savez vous-même, chère Catherine Colonna déjà, vous qui avez consacré votre vie à servir notre pays en servant notre diplomatie, de Washington à Londres, en passant par Rome, par l’UNESCO et par l’OCDE – jusqu’à recevoir la rare dignité d’Ambassadrice de France.

Comme vous le savez, le quotidien ici est fait de vigilance, de mobilisation et d’action. Surtout quand la guerre revient au cœur de notre continent ; surtout quand une pandémie sans précédent s’abat sur nous, et bouleverse nos vies en profondeur ; surtout quand les batailles de l’information et de l’influence s’accélèrent ; surtout quand le Brexit ne cesse de se rappeler à nous, semaine après semaine - vous êtes bien placée pour le savoir ; surtout quand l’accord de Paris sur le climat vacille, alors que notre planète entre en état d’urgence environnementale ; surtout quand des actes effroyables, commis sur notre sol et dans tant d’autres pays, confirment la persistance de la menace djihadiste ; surtout, bien sûr, quand des Français se trouvent en danger quelque part dans ce monde en voie de brutalisation qui est aujourd’hui le nôtre, que nous le voulions ou non.

Tout cela nous l’avons vécu ici depuis 2017 en particulier. Et je crois pouvoir dire que nous avons su y faire face. Nous avons su y faire face avec détermination, parce que les bouleversements de l’ordre international pèsent désormais directement sur la vie quotidienne et l’avenir de nos concitoyens. Ce n’est plus quelque chose d’extérieur. Je pense que nous avons su y faire face avec agilité, parce que ce grand ministère est un ministère en mouvement. En témoigne le nouvel élan donné à notre politique de développement solidaire, en témoigne le nouvel élan donné à notre diplomatie d’influence, à nos efforts de diplomatie publique et de communication stratégique, au nouvel élan donné à notre diplomatie féministe, dont vous serez désormais, Madame la Ministre, le premier visage.

Nous avons su y faire face aussi en suivant un cap très clair, fixé par le Président de la République : travailler à l’affirmation de notre souveraineté et de notre puissance européennes ; multiplier les initiatives pour faire émerger le multilatéralisme de l’action, le multilatéralisme des résultats, je serais tenté de dire le multilatéralisme de la preuve. Nous avons su y faire face aussi en suivant le cadre très clair du Président de la République fondé sur la force de solidarité européenne, sur la solidarité et la solidité du lien transatlantique, sur le renouveau de nos partenariats en Afrique et dans l’Indopacifique, pour donner à notre pays les moyens de continuer à peser concrètement sur la scène internationale.

Puisque je parle d’Indopacifique, je ne vais pas m’empêcher de dire que la défaite du Premier ministre Morrison me convient très bien. Parce que les actes posés à l’égard de la France, au moment où ils ont été posés, étaient d’une brutalité, d’un cynisme et je serais même tenté de dire d’une forme d’incompétence notoires, et cela me fait plaisir de vous le dire ce soir. Je ne sais pas s’il a pensé à la concordance ou la concomitance des dates. S’il y a pensé, c’est bien pour lui. S’il n’y a pas pensé, eh bien c’est tant pis pour lui. J’espère que nous pourrons renouer avec l’Australie un dialogue franc et constructif dans l’avenir, en tout cas je le souhaite Madame la Ministre.

Je disais que nous avions suivi le cap clair fixé par le Président de la République. Il faut que nous soyons lucides. Une France qui ferait aujourd’hui le choix de rompre avec son histoire européenne, qui ferait le choix de tourner le dos à ses alliances, qui ferait le choix de se désintéresser des espaces stratégiques où se joue notre avenir, ce ne serait ni une France forte, ni une France indépendante. Ce serait une France isolée, et donc si elle est isolée, exposée aux plus dangereuses manœuvres de puissance. Voilà, Mesdames et Messieurs, l’écueil du populisme diplomatique, ce populisme diplomatique qui ne cesse de gagner du terrain à la faveur de la fuite en avant des uns et des reniements de quelques autres. Je me suis toujours efforcé d’en combattre et les postures et les impostures. Et croyez bien, que quel que soit l’endroit où je serai, je ne compte pas baisser la garde.

Alors, oui : c’est avec émotion que je quitte le Quai d’Orsay. D’autant plus que les années que j’y ai passées s’inscrivent pour moi, dans une décennie de responsabilités ministérielles, ce qui aura été le plus grand honneur et la plus grande fierté de ma vie.

Je tiens donc à saisir cette occasion solennelle pour remercier celles et ceux qui m’ont accompagné sur ce chemin. Les deux Présidents de la République, le Président Hollande et le Président Macron, qui m’ont accordé leur confiance ; les six Premiers ministres que j’ai servis. Je vois bien que pour les plus attentifs, vous vous demandez si je ne fais pas une erreur, non, parce que j’ai été aussi dans l’équipe gouvernementale de Madame Cresson, à qui je veux rendre hommage puisque des hommages lui sont rendus en ce moment, et c’est bien mérité. Remercier les ministres Franck Riester, Jean-Baptiste Lemoyne et Clément Beaune qui m’ont accompagné. Je leur souhaite bon vent pour leur nouveau destin, avec un petit mot particulier pour Jean-Baptiste Lemoyne, parce qu’il a été là en même temps que moi, il se retire en même temps que moi, mais je suis convaincu que son chemin politique se poursuivra, en tout cas il en a les talents. Je voudrais remercier le Secrétaire général du Quai d’Orsay, François Delattre ; mes collaborateurs, à commencer par Nicolas Roche et Emmanuel Puisais-Jauvin, mais aussi toute l’équipe qui m’a entouré pendant cette période, une équipe de confiance, de convivialité et d’action. Et aussi l’ensemble des agents du ministère que vous êtes, avec une pensée particulière pour ceux qui, dans ce qu’on appelle l’hôtel du Ministre, ont partagé avec beaucoup d’attention et je serais même tenté de dire avec beaucoup d’affection, mon quotidien et celui de Maria mon épouse – je voudrais la remercier vraiment chaleureusement ici - ainsi que les officiers chargés de notre de sécurité.

Je voudrais dire aussi que je pense beaucoup, Monsieur le Président, aux parlementaires. Je sais que le Président Cambon n’a pas pu être là mais vous représentez aussi le Sénat, d’une certaine manière aujourd’hui, d’une manière pas constitutionnelle. Au cours de ces dix ans j’avais toujours une angoisse et une grande source de satisfaction, à l’égard de l’action du Parlement. Une angoisse sur les questions d’actualité, parce que, même au bout de dix ans, je trouve que ça ressemble parfois trop souvent, et il faudra vous y habituer, Madame la Ministre, à une espèce de roulette russe. Mais la grande satisfaction, c’est le travail en commissions. Je dois dire, Monsieur le Président, et vous le direz au Président Cambon, que j’avais du plaisir à aller dans les commissions pour parler de l’action de la France. Merci beaucoup.

Mesdames et Messieurs, au fil de ces dix années, j’ai pu constater l’importance de la diplomatie dans le monde où évoluent les militaires, et la prégnance des rapports de forces dans le monde où évoluent des diplomates. Mais de ce paradoxe qui n’est qu’apparent, il est résulté pour moi quelque chose comme une méthode, qui consiste à parler à tous, en toutes circonstances, mais à toujours parler net.

C’était, si l’on veut, la « méthode Le Drian ». Vous avez, Madame la Ministre, déjà la vôtre, que vous aurez tout de suite à mettre en œuvre sur les dossiers essentiels et urgents que nous venons d’évoquer en partie ensemble. Je vous ai dit en commençant, je pense que je ne laisse pas le monde en bon état, mais je souhaite que l’action du Président de la République et la vôtre puissent aider à trouver des accords. Je pense que nous avons des dossiers essentiels et urgents, car vous prenez la tête de ce ministère alors que notre Europe se trouve à un point de bascule historique, comme nous n’en avons pas connu depuis 1945, un point de bascule précipité par la guerre d’agression et d’invasion que mène Vladimir Poutine contre la souveraineté de l’Ukraine et contre le peuple ukrainien.

Je suis certain que notre pays sera à la hauteur, grâce à l’engagement exceptionnel des femmes et des hommes de métier, d’expérience et de talent qui portent ce ministère à bout de bras, au quotidien mais aussi dans les crises les plus brutales. Comme vous l’avez fait vous-même tout au long d’une carrière remarquable. La clef de notre excellence diplomatique et consulaire, avec les budgets et les emplois dont cette maison a besoin, ce sont en effet les compétences professionnelles uniques et irremplaçables que ses agents forgent dans le temps long des carrières au Quai d’Orsay. C’est ce qui en fait le grand service public des Français à l’international. Cette conviction, je sais, chère Catherine Colonna, que nous l’avons en partage.

Voilà ce que je tenais à vous dire, Madame la Ministre, pour vous passer le flambeau et vous souhaiter la bienvenue à la tête de ce ministère que vous connaissez si bien, alors que notre pays et notre Europe se trouvent assurément à l’heure des choix. Des choix qui engagent notre capacité à rester maîtres de notre propre destin, quand d’autres voudraient nous sortir de l’Histoire. Des choix qui engagent le sens concret que nous devons donner à nos valeurs universelles d’humanisme et de progrès dans la compétition des modèles, et qui engagent, au fond, le monde que nous voulons – pour nous et surtout pour les nouvelles générations de Français et d’Européens. A nous de montrer ce que nous sommes prêts à tenter et à réussir en leur nom.

Je vous souhaite tous mes vœux de réussite, ainsi qu’à Franck Riester, à Clément Beaune et à Chrysoula Zacharopoulou qui seront, j’en suis sûr, de fidèles appuis à vos côtés. Pour notre part, Maria et moi, nous partons dans un instant en Bretagne, dans cette région qui m’a tant donné, dans cette région qui – certains me le faisaient remarquer – m’a suivi partout, dans cette région que j’aime tant. Donc vive la République et vive la Bretagne ! Merci.

Propos de Mme Catherine Colonna

Monsieur le Ministre, cher Jean-Yves Le Drian,
Madame,
Monsieur le Ministre,
Messieurs les Ministres,
Madame la Secrétaire d’État,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

C’est avec une vraie émotion, Monsieur le Ministre, une vraie émotion, que je me trouve aujourd’hui à vos côtés, ici dans ce salon de l’Horloge si important dans l’histoire de l’Europe, et dans cette circonstance.

L’immense honneur qui m’est fait, la confiance que nous font le Président de la République et la Première ministre, l’ampleur de la tâche, tout ceci fait que je prends ma mission avec humilité, détermination et conviction. Il faudra bien d’autres qualités encore pour contribuer à apaiser les désordres du monde dont vous parliez, Monsieur le Ministre, qui sont si grands.

J’étais votre ambassadrice, Monsieur le Ministre, et je vous en remercie. Je le suis encore au demeurant au moment où je m’exprime, et jusqu’à l’issue de cette cérémonie. Alors je veux vous dire, au nom de toute notre maison et en mon nom personnel, notre reconnaissance, notre profonde estime pour la façon dont vous avez dirigé ce ministère, fait progresser les intérêts et les idéaux de la France, pour votre vision, pour la clarté de vos propos et pour la force de vos convictions.

J’aurai à cœur bien sûr de m’inspirer de votre exemple, tout comme je poursuivrai votre politique d’égalité femmes-hommes et de tolérance zéro, car nous nous devons tous le respect mutuel.

Vous avez été dix ans d’affilée ministre de la République, et quel ministre, un très grand ministre, et quels ministères. La défense d’abord, cinq ans, et, depuis cinq ans, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Alors permettez-moi de rendre hommage à quelques-unes de vos actions, quelques-unes seulement. Mais je veux rappeler que vous avez créé l’Alliance pour le multilatéralisme, qui a tant besoin d’être soutenue, vous avez porté la loi Développement, un magnifique combat. Vous avez défendu notre budget, obtenu des moyens, mis le Quai davantage encore au service de tous les Français, ou porté l’agenda de souveraineté européenne, qu’il faut maintenant mettre en œuvre. Je peux vous citer tant et tant de choses. Vous aurez remarqué, Monsieur le Ministre, que je n’ai pas cité de crises, car la liste serait bien longue, et nous y reviendrons jour après jour.

De tout cela, Monsieur le Ministre, merci, merci de notre part à tous, de cela et de tant d’autres choses.

Je voudrais terminer ce très bref propos en m’adressant à nos diplomates. Ceux qui sont ici et ceux qui servent la France partout dans le monde. Nous avons besoin de chacune et de chacun d’entre vous. Mon message est clair. Nous avons besoin de chacune et de chacun d’entre vous. Vous me connaissez depuis quelques années. Vous pouvez compter sur moi pour ne jamais oublier ni qui je suis, ni d’où je viens, et je viens de cette maison. Avec toute mon équipe, Franck Riester, Clément Beaune, Chrysoula Zacharopoulou, je veux vous dire que vous avez toute notre confiance. Vous avez toute ma confiance, et vous avez toute la leur. Alors maintenant, mettons-nous au travail, tous ensemble. Tous ensemble. Je vous remercie de votre engagement. Merci.