Ukraine/Russie - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et affaires étrangères, avec « LCI » (20 novembre 2024)
Q - Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Bonsoir. Merci beaucoup d’être avec nous.
R - Merci de m’avoir invité.
Q - Votre réaction, la réaction française au développement immédiat, c’est-à-dire le tir de Storm Shadow sur des positions dans la région de Koursk. On a beaucoup plus de précisions qui nous arrivent, on va voir les images. Ce serait un poste où opéraient des officiers nord-coréens, poste de Marino, qui se trouve dans la région de Koursk. C’est conforme à ce que les Américains avaient dit : on peut tirer, les Ukrainiens peuvent tirer dans cette région avec ces armes. Quel est le point de vue de la France à ce sujet ?
R - Le point de vue de la France est clair. Comme l’a dit le Président de la République, il n’y a pas de ligne rouge sur ce sujet. L’Ukraine a le droit de se défendre contre l’agression qu’elle subit depuis le 22 février 2002 de la part des Russes et elle est en situation de légitime défense. C’est un principe conforme au droit international public, c’est dans la Charte des Nations unies. Donc elle a tout à fait le droit de se défendre et doit être en capacité de la faire.
Q - Donc si on est très concret, Christophe Lemoine, si demain Kiev utilise des missiles SCALP français pour frapper en Russie, vous y êtes pleinement favorable ? La France l’accepte pleinement ?
R - La France a apporté un soutien militaire conséquent à l’Ukraine depuis le début de l’agression. Elle lui a fourni divers moyens, dont des missiles. Et encore une fois, il n’y a pas de ligne rouge. C’est un point qui est assez clair et qui a été redit récemment par le Président de la République.
Q - Ça veut dire, pour être encore plus clair, que la France autorise l’Ukraine à utiliser les SCALP français en Russie ?
R - Encore une fois, elle est dans une situation de légitime défense. C’est ce qu’a redit encore ce matin le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Et cette situation de légitime défense est une situation conforme au droit international public : elle peut se défendre, elle est victime d’une agression. L’agresseur c’est la Russie, l’Ukraine est l’agressée. Elle peut et elle doit se défendre.
Q - Est-ce qu’on a un ordre de grandeur sur le nombre de SCALP français dont disposent les Ukrainiens ?
R - On sait évidemment le nombre de SCALP que nous avons livrés aux Ukrainiens. Nous en avons livré un certain nombre. Encore une fois, ça fait partie de l’aide militaire qui a été apportée par la France.
Q - Quel ordre de grandeur ?
R - Je ne peux pas vous donner d’ordre de grandeur maintenant, mais en tout cas, il y en a qui ont été livrés.
Q - Qu’est-ce qui fait que la France, jusqu’à présent, n’a pas donné ce « ok » ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu pour l’instant de tirs de SCALP français ?
R - Pour le moment, la position de la France a toujours été claire. C’était un soutien total à l’Ukraine, un soutien sur le principe - avec nos alliés européens -, soutien en termes de fourniture de matériel. Encore une fois, il y a une situation actuellement où il y a une escalade claire dans le conflit. Cette escalade est à mettre au débit de la Russie. C’est la Russie qui escalade, en ce moment. Et donc il y a une nécessité de répondre, et la France est en appui de cette réponse.
Q - Des signataires signent une tribune dans le journal Le Monde pour qu’une coalition européenne d’instructeurs militaires en Ukraine soit envoyée, avec évidemment un rôle majeur de la France. Ça fait suite évidemment aux idées du Président de la République. Il y a quelques signataires : Bernard-Henri Lévy bien sûr, beaucoup de gens qui sont familiers de nos plateaux, Nicolas Tenzer, Xavier Tytelman, Nicolas Richoux, Vincent Desportes également. Est-ce que la France soutient une telle initiative ?
R - Comme l’avait dit le Président de la République en février dernier - c’est-à-dire il y a déjà quelques mois -, en dynamique, toutes les options sont ouvertes et sont sur la table. La France fait déjà beaucoup en termes de formation des militaires ukrainiens. Nous accueillons sur le sol français des bataillons ukrainiens qui sont formés, le bataillon Anne de Kiev notamment, dont vous avez parlé il y a quelques jours. Le Ministre est allé les voir sur leur camp. Et encore une fois, c’étaient les propos du Président de la République en février dernier : en dynamique, rien n’est à exclure. Les idées qui sont développées dans la tribune qui a été publiée aujourd’hui sont des idées qui rentrent dans cette logique-là.
Q - On parle d’une coalition européenne d’instructeurs militaires en Ukraine. Sur notre antenne même, dans cette émission, [Gabrielius] Landsbergis, le ministre [des affaires étrangères] lituanien, disait : « Que la France prenne la tête d’une telle coalition, on ira. »
R - Si c’est une coalition européenne, ça doit être discuté entre Européens, bien évidemment. Et encore une fois, la France, qui avait réuni des partenaires en février dernier, avait émis cette hypothèse. C’est toujours une idée qui est valable, mais ça doit être une discussion que nous devons avoir en Européens afin que l’ensemble des armées puissent contribuer à cet effort en faveur de la formation des militaires ukrainiens.
Q - Les dernières heures ont montré des menaces de la part de la Russie, c’est cette nouvelle doctrine nucléaire - en tout cas telle que le prétend la Russie. Comment réagit la France ?
R - Ce n’était pas vraiment une surprise. Ils l’avaient un petit peu annoncé les jours derniers. C’est une posture qui, substantiellement, n’a pas complètement changé, c’est-à-dire que la doctrine russe reste dans les mêmes lignes. Il y a eu des ajustements. Nous sommes évidemment extrêmement vigilants sur ce point, parce qu’encore une fois, on parle d’attaque nucléaire, donc c’est quelque chose qui est extrêmement sérieux, c’est quelque chose qui se manipule avec beaucoup de précautions. La Russie, qui est membre du Conseil de sécurité des Nations unies, membre permanent, le sait elle-même. Donc nous restons très vigilants. Mais, encore une fois, il n’y a pas eu de surprise. Surtout, comme le disait le Ministre ce matin, nous ne nous laisserons pas intimider par ces déclarations.
Q - Est-ce que la France parle à la Russie ? M. Scholz, chancelier d’Allemagne, a appelé Vladimir Poutine. Le président américain, on ne sait pas très bien, c’est officieux pour l’instant. Est-ce que la France, est-ce que votre ministre peut… C’est ce que M. Lecornu a fait avec son homologue, n’est-ce pas, en Russie ? Est-ce que M. Barrot a déjà parlé à son homologue en Russie ?
R - Pas à ma connaissance, mais en tout cas il y a eu un bref contact, puisque ça a été relevé beaucoup dans la presse, entre le Président de la République et le ministre des affaires étrangères russe à l’occasion du sommet du G20.
Q - La poignée de main entre M. Macron et M. Lavrov.
R - Exactement, c’est la poignée de main qui a été beaucoup commentée. Mais il n’y a pas de dialogue régulier.
Q - Ça veut dire quoi, pas de dialogue régulier ?
R - Ça veut dire qu’en l’espèce, il n’y en a pas. Alors, vous me citiez Sébastien Lecornu… Évidemment, il y a des éléments, mais ça reste un dialogue qui est un peu chaotique. Et pour ce qui concerne le Ministre, je pense qu’il n’existe pas.
Q - Sur le principe, est-ce que demain M. Barrot peut appeler M. Lavrov ?
R - La position du ministre de l’Europe et des affaires étrangères est claire. Encore une fois, c’est d’être en soutien de l’Ukraine et c’est de donner à l’Ukraine les meilleures conditions possibles pour sa défense. Ça, c’est vraiment le premier point, parce qu’encore une fois la défense de l’Ukraine est quand même la priorité, depuis maintenant mille jours, puisque nous avons dépassé hier les mille jours de l’agression russe sur l’Ukraine. Tout ce que fait le Ministre, toute l’action du Ministre est entièrement dirigée vers les Ukrainiens et vers la possibilité de favoriser la position ukrainienne dans la situation qui est la situation actuelle.
Q - Christophe Lemoine, merci infiniment.
R - Je vous remercie.