Soudan - Entretien d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec « France 24 » (Paris, 21 avril 2023)

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Q - … Anne-Claire Legendre, bonjour à vous. Vous êtes la porte-parole du ministère français des affaires étrangères. D’abord quelle est la situation sur place, la situation sécuritaire, quelles sont vos informations ce matin ?

R - La situation est extrêmement volatile, vous savez que nous sommes désormais au septième jour des combats à Khartoum. Des combats très intenses, entre deux factions qui se mènent un combat jusqu’au bout. Tous les efforts que nous faisons aujourd’hui avec le reste de la communauté internationale, c’est d’appeler à un cessez-le-feu humanitaire, immédiat et sans condition pour la protection des civils.

Q - On l’a vu dans la matinée, le cessez-le-feu n’est pas respecté. Qu’est-ce qu’il est techniquement possible de mettre en place, sachant qu’on est sous les bombes à Khartoum ?

R - Aujourd’hui, ce qui importe, c’est la coordination de tous les acteurs internationaux, pour mettre la pression sur ces acteurs-là. C’est ce qui compte aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle la Ministre Catherine Colonna a eu une réunion, hier, avec les acteurs à la fois de l’Union européenne, des Nations unies, le Secrétaire général des Nations unies lui-même, mais surtout les acteurs régionaux qui sont en contact direct avec les acteurs soudanais, comme nous le sommes : la Ligue arabe, l’Union africaine, qui tenait cette réunion, et l’IGAD, cette organisation d’Afrique de l’Est qui joue aussi un rôle important pour essayer d’arriver à une cessation des combats.

Q - Mettre la pression, mais pourquoi ? Pour mettre en place par exemple des corridors humanitaires ? Quelle est la priorité ?

R - Absolument. L’objectif, ce sont des corridors humanitaires, c’est une trêve humanitaire. Vous savez que nous sommes aujourd’hui le jour de l’Aïd, et donc l’appel, c’est d’avoir, comme le disait le Secrétaire général des Nations unies, au moins 72 heures de cessez-le-feu humanitaire pour permettre de protéger les civils, des corridors qui permettent un accès humanitaire sans entrave sur le terrain. Évidemment ce ne serait qu’une première étape, puisque nous souhaitons tous un cessez-le-feu durable au Soudan.

Q - Mais les conditions sont-elles réunies à l’heure actuelle, où l’on parle, pour mettre en place les corridors humanitaires ?

R - Non, puisqu’il faut un cessez-le-feu. C’est pourquoi nous faisons pression sur les parties pour obtenir ce cessez-le-feu. Il y a eu des annonces de la part des différentes factions sur le terrain, de leur accord pour ce cessez-le-feu. Il y a eu des contacts dans la nuit et encore hier soir, tard, mais on voit bien qu’ils ne sont pas pleinement respectés. Notre demande, c’est le plein respect de ces appels au cessez-le-feu.

Q - Vous le disiez, il y a quelques jours, les ressortissants français sont plusieurs centaines au Soudan. Une cellule de crise a été ouverte. Que savez-vous de la situation des Français sur place ?

R - Nous les suivons très précisément. Il y a aujourd’hui 250 Français au Soudan, y compris notre ambassade, et je tiens à saluer le travail qu’ils font sur le terrain, très courageusement. Nous suivons individuellement chacun de ces compatriotes. Notre cellule de crise, qui a été ouverte à Paris au Centre de crise et de soutien depuis le début des combats, est en contact individuellement avec chacun d’entre eux, pour s’assurer de ses conditions de sécurité, pour s’assurer aussi des questions de ravitaillement, puisque dans le cadre des combats actuels, il est aujourd’hui difficile d’avoir accès à des vivres, à du fioul, à tous les besoins nécessaires pour le quotidien.

Q - On sait que le réseau téléphonique ne fonctionne plus que par intermittence, est-ce que vous avez relevé des problèmes de communications ?

R - Aujourd’hui nous communiquons avec nos concitoyens par WhatsApp, et nous parvenons toujours à les joindre de cette manière.

Q - Selon les informations de France 24, le Quai d’Orsay, via cette cellule de crise avec l’aide de l’État-major français, a envoyé des forces supplémentaires à Djibouti, dans l’optique d’une éventuelle évacuation des ressortissants français ou européens de Khartoum. Quelles sont les options envisagées, à ce stade ?

R - Nous n’en sommes pas du tout là, comme vous venez de le souligner. La situation est très volatile sur le terrain. Le message que nous faisons passer à nos concitoyens, aujourd’hui, c’est de rester confinés chez eux et de garder le contact avec notre cellule de crise, avec notre ambassade, pour bien maintenir ce lien.

Q - L’ambassadeur de l’Union européenne a été, lui, agressé, il y a quelques jours, alors qu’il se trouvait dans sa résidence. Un convoi diplomatique américain a aussi été ciblé. Quel est le message derrière ces agressions ? Est-ce que les Occidentaux seraient particulièrement visés par certains belligérants ?

R - Non, malheureusement, l’ambassade du Japon a également subi des attaques. C’est juste le résultat de combats tous azimuts qui malheureusement ciblent toutes les infrastructures civiles au Soudan. Nous avons marqué notre appel, et notre préoccupation, à la protection des emprises diplomatiques et consulaires, qui constitue une obligation pour les belligérants au titre des conventions de Vienne.

Q - Les États-Unis, eux, en tout cas, ont envisagé des options. Ils ont déployé des moyens dans la région pour faciliter une éventuelle évacuation de leur ambassade, alors que l’aéroport, on le sait, est fermé depuis samedi. Est-ce que la France coordonne ses efforts avec les Américains ?

R - La Ministre s’est entretenue encore hier soir avec James Cleverly. Elle a pu s’entretenir avec Antony Blinken, plus tôt, ainsi qu’avec un certain nombre de partenaires dans la région. Oui, nous nous coordonnons étroitement avec tous nos partenaires qui, tous, partagent la même préoccupation, pour leurs communautés à Khartoum et pour leurs emprises diplomatiques.

Q - Est-ce que des partenaires comme les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte pourraient contribuer justement à l’effort français pour évacuer des ressortissants étrangers ?

R - La Ministre a pu s’entretenir avec les Émiriens, avec son homologue saoudien, avec son homologue égyptien, récemment. Mais la question de la sécurité de nos ressortissants relève tout d’abord de la responsabilité de l’État français, et c’est nous qui sommes en première ligne sur la sécurité de nos ressortissants.

Q - Est-ce qu’on a une idée, aujourd’hui, du nombre de personnes qui ont pu fuir les combats au Soudan ?

R - Le HCR évoque aujourd’hui entre 10.000 et 20.000 déplacés vers le Tchad. Il y a un agravement de la situation humanitaire sur le terrain. Vous saviez que le Soudan était déjà dans une situation humanitaire très fragile, du fait des affrontements précédents, avec près de quatre millions de déplacés déjà au Soudan, un tiers des personnes qui avaient besoin d’aide humanitaire. Cette crise vient créer une crise humanitaire supplémentaire. C’est la raison pour laquelle il est si urgent de pouvoir créer cette trêve humanitaire et ces corridors qui permettront un accès humanitaire aux populations.

Q - Entre le week-end de Pâques, la fin du Ramadan, les diplomates, les commentateurs politiques ont tous été pris de court quand Khartoum a basculé dans le chaos. Est-ce que ce basculement dans le chaos était prévisible, selon vous, ou pas du tout ?

R - Nous voyions monter les tensions entre ces deux généraux. Par ailleurs, il y avait une accumulation de forces, de part et d’autre, qui permettait de laisser penser qu’il y avait aussi un risque supplémentaire d’escalade entre les deux. Mais vous savez qu’il y avait beaucoup d’efforts internationaux pour essayer de faire avancer la transition politique au Soudan. Évidemment, tout cela vient remettre en cause la totalité du processus.

Q - Justement, est-ce que la diplomatie internationale n’entame pas aussi actuellement son examen de conscience ? Est-ce qu’elle n’est pas en train de faillir, sur ce dossier soudanais ?

R - Au contraire, je vois qu’on a une mobilisation assez exemplaire de la diplomatie internationale : les Nations unies sont mobilisées, en contact avec la totalité des organisations régionales dans la région. Ce que l’on voit aujourd’hui sur le terrain, c’est une lutte pour le pouvoir entre deux individus, qui utilisent des forces très nombreuses pour essayer de garder et de conserver le pouvoir.

Q - Comment envisagez-vous l’avenir, aujourd’hui, au Soudan ?

R - Il est difficile de le dire, et je ne suis pas là pour faire de la politique fiction. On a une urgence aujourd’hui, c’est cette trêve humanitaire, mais il faudra évidemment que ce ne soit qu’un premier pas vers un cessez-le-feu durable et revenir ensuite à un processus politique. Mais c’est très difficile de l’envisager aujourd’hui.

Q - Et la consigne pour les Français, aujourd’hui, elle ne bouge pas : c’est rester confinés.

R - Absolument. C’est essentiel

Q - Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, merci beaucoup à vous pour toutes ces informations sur notre antenne.

R - Je vous remercie.