Interview de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, auprès de Glavkom (9 juillet 2023)
Alors que le sommet de l’OTAN se tiendra très prochainement à Vilnius et que l’Ukraine et de nombreux alliés attendent beaucoup au sujet de l’acceptation de l’Ukraine au sein de l’Alliance, j’aimerais que vous me disiez quelle est la position de Paris concernant l’adhésion rapide de l’Ukraine à l’OTAN ? Quels seraient les obstacles ?
L’Ukraine sera au cœur du sommet de Vilnius. Au moment où les Ukrainiens mènent une contre-offensive sur le terrain, avec un courage et une détermination qui forcent l’admiration, nous devons envoyer un signal politique fort sur le fait que le soutien des Alliés s’inscrit dans le temps long. L’enjeu est double : à court terme, nous devons nous assurer que l’Ukraine dispose des moyens nécessaires pour assurer sa légitime défense. Et à plus long terme, nous voulons renforcer les capacités ukrainiennes de manière suffisamment robuste dissuader toute nouvelle agression par la Russie.
Une part importante des discussions que nous conduirons avec nos partenaires à Vilnius sera ainsi consacrée à donner du corps à la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, reconnue depuis 2008. Dans la continuité des décisions prises lors du Sommet de Madrid en juillet dernier, nous renforcerons encore davantage le partenariat entre l’OTAN et l’Ukraine, dont il faut rappeler qu’il est l’un des plus poussés qui existe à ce jour. Notre objectif est clair : faire progresser de façon concrète l’interopérabilité de l’Ukraine avec l’OTAN et l’accompagner de manière tangible dans son intégration euro-atlantique.
L’Ukraine est aujourd’hui plus proche de l’OTAN qu’elle ne l’a jamais été, c’est d’ailleurs l’un des principaux échecs de Vladimir Poutine. Il devient de plus en plus clair pour les Alliés qu’elle n’aura, le moment venu, pas besoin de passer par un Membership Action Plan pour rejoindre l’OTAN. L’adhésion est, pour la France, une perspective réelle, comme cela a été décidé dès 2008 à Bucarest.
Au sujet des garanties de sécurité pour l’Ukraine, qui fait l’objet de nombreuses discussions, quel est le point de vue de la France sur cette question ? Votre pays, en tant que puissance nucléaire et membre du Conseil de sécurité, est-il prêt à donner à l’Ukraine des garanties de sécurité et si oui de quel type ?
La France est, comme plusieurs de ses partenaires, disposée à accorder des garanties de sécurité tangibles et crédibles à l’Ukraine, afin de lui donner les moyens, en équipement notamment, de se défendre face à l’agression dont elle est victime et d’empêcher toute éventuelle agression future. Ceci pour une raison évidente : aujourd’hui, l’Ukraine protège l’Europe, et lui apporte des garanties de sécurité de fait. Ce sujet fait l’objet de discussions avec nos partenaires et sera au cœur du signal donné à Vilnius. Cela a été aussi l’objet du dernier Conseil européen qui a permis de reconfirmer le soutien européen à l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire et marqué l’engagement de ses Etats membres à contribuer à ces garanties de sécurité.
Que signifie pour la France la victoire de l’Ukraine dans la guerre déclenchée par la Russie ? Cela inclut-il la restitution à l’Ukraine de la Crimée illégalement annexée en 2014 ?
La guerre d’agression russe en Ukraine ne peut ni ne doit se terminer par une victoire de la Russie. Nous n’accepterons jamais la légitimation du recours illégal à la force, parce qu’il s’agit d’une violation des principes fondamentaux de la charte des Nations Unies mais également d’une remise en cause des règles qui définissent notre sécurité collective depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En agressant l’Ukraine en violation de tous ses engagements internationaux, la Russie remet en cause ces principes qui garantissent la stabilité de l’ordre international fondé sur le respect de la souveraineté des Etats. Aussi longtemps qu’il le faudra, auprès de l’ensemble de nos partenaires, nous défendrons ces principes. C’est le cœur de notre engagement aux côtés de l’Ukraine.
La guerre brutale menée par la Russie depuis 500 jours est la continuation de ce qui avait été initié en 2014 avec l’annexion illégale de la Crimée et la guerre dans le Donbass. Ces territoires font partie des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine.
La victoire de l’Ukraine sera donc d’abord l’échec de cette agression, avec le retrait des troupes russes des territoires de l’Ukraine dans ses frontières reconnues depuis 1991, et ainsi la restauration de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. Ensuite, comme le Président de la République l’a clairement rappelé, ce sera aux Ukrainiens, et aux Ukrainiens seuls, de déterminer les conditions de la victoire. Si la sortie du conflit nécessite des négociations de paix, les Ukrainiens seuls décideront des modalités de ces négociations. Aussi longtemps que nécessaire, nous serons à leurs côtés, avec nos alliés et nos partenaires européens, et nous les soutiendrons de toutes nos forces.
Les hommes et femmes politiques français ont-ils compris que l’Ukraine défend ses alliés contre une agression qui pourrait se produire si l’Ukraine ne s’opposait pas à la pression russe ?
Depuis 500 jours, les Ukrainiens et les Ukrainiennes se défendent avec courage. Ils défendent d’abord leur territoire, mais ils contribuent également à la sécurité de l’ensemble du continent européen. Le peuple français le sait.
Dès le premier jour de la guerre, les Européens ont été unis pour soutenir l’Ukraine. Cet engagement est toujours aussi fort 500 jours après le début de l’agression russe : nous avons aidé l’Ukraine à hauteur de 67 milliards d’euros d’aides, dont 14 milliards d’euros pour ce qui concerne le soutien militaire, nous avons sanctionné durement la Russie pour entraver son effort de guerre, nous avons apporté de l’aide d’urgence et accueilli de nombreux réfugiés qui fuient les bombardements et la désolation dont la Russie se rend coupable chaque jour.
Tout cela montre que la France comme ses partenaires européens sont profondément solidaires. Cela montre aussi que nous avons immédiatement compris qu’il ne s’agissait pas seulement de la sécurité de l’Ukraine. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’avenir des sociétés européennes et la possibilité pour tous les citoyens de ce continent de vivre en paix.
La Russie ne doit avoir aucun doute sur le fait que nous resterons aux côtés de l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire. Nous défendrons, aussi longtemps qu’il sera menacé par les velléités impérialistes, quelles qu’elles soient, le droit des peuples à vivre en paix, librement et souverainement dans leur pays.
Nous savons que la France est progressivement devenue le soutien de l’Ukraine et de la Moldavie pour l’adhésion à l’Union européenne. Qui, à votre avis, a le plus de chances d’adhérer à l’UE en premier ? Dans quelle mesure êtes-vous personnellement satisfaite du rythme auquel l’Ukraine s’acquitte de ses obligations ?
L’avenir de l’Ukraine est incontestablement lié à la famille européenne. Depuis le début du processus, la France soutient cette perspective. Vous vous souvenez que c’est sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne que l’Ukraine a été reconnue comme pays candidat.
De la même façon, la France continue à soutenir de façon la trajectoire européenne de la Moldavie qui a récemment connu un formidable succès avec l’organisation à Chisinau du 2e sommet de la communauté politique européenne. A cette occasion, vous le savez, nous nous sommes accordés sur la baisse des frais d’itinérance entre la Moldavie et l’Union européenne à compter du 1er janvier 2024 : c’est une décision très concrète qui montre que la Moldavie fait et fera partie de la famille européenne. C’est dans cet esprit que nous avons également accueilli à Paris la troisième conférence ministérielle de la plateforme de soutien à la Moldavie en novembre dernier. Nous continuerons de défendre ce pays contre les conséquences déstabilisatrices de la guerre que la Russie conduit illégalement en Ukraine.
L’Ukraine et la Moldavie, sont engagées dans un processus d’adhésion à l’Union européenne qui est un processus long et exigeant, impliquant des réformes importantes. Les deux pays ont leur caractéristiques et leurs mérites propres, mais partagent une même volonté d’avancer afin d’offrir à leurs populations l’avenir auquel elles aspirent. La France les soutiendra donc tout au long du chemin.