Entretien de Pascal Confavreux, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « Al Arabiya » (Paris, 5 décembre 2025)
Q - Quel rôle a joué la France dans la reprise des discussions entre Israël et le Liban ?
R - Nous sommes engagés dans le Mécanisme de surveillance de cessez-le-feu auquel nous sommes très attachés, puisque c’est celui qui est créé dans la foulée de l’accord du cessez-le-feu du 26 novembre 2024. Nous appuyons toutes ces discussions pour l’avenir. Ce mécanisme fonctionne, c’est aussi un mécanisme de déconfliction qui est pentapartite. Il fonctionne. Il est garant de la désescalade sur le sud du Liban. De manière plus générale, nous soutenons de manière très forte les forces armées libanaises, qui ont proposé un plan au gouvernement, qui l’a adopté le 5 septembre dernier, de descente des forces armées libanaises dans le sud du pays pour avoir la pleine souveraineté du pays et avoir le désarmement du Hezbollah. C’est ce vers quoi nous poussons et nous nous acheminons, et nous discutons de cela avec nos partenaires saoudiens et nos partenaires américains dans ce cadre-là.
Q - Une question sur l’Ukraine. Je ne vous pose pas de question sur les fuites présumées qui ont été publiées par Der Spiegel, mais je voudrais savoir quels sont aujourd’hui les points de divergence entre vous et les Américains ? Tout le monde en parle, sur leur plan de paix en Ukraine. Je sais qu’il y a de points de convergence, aussi, mais la France a émis quelques réserves sur quelques points de ce plan de paix.
R - Déjà, nous saluons les efforts de médiation, parce qu’ils vont vers la paix, ces efforts de médiation américains. Je crois qu’il faut être aussi très clair pour votre audience : il y a un camp qui veut la paix. Et d’ailleurs, le gouvernement ukrainien l’a indiqué très tôt. Au printemps dernier, le président Zelensky a indiqué qu’il était prêt à un cessez-le-feu inconditionnel et immédiat. Ceux qui ne vont pas vers la paix, c’est la partie russe. Donc j’insiste sur le fait que nous soutenons la volonté de la partie américaine d’aller vers la paix.
Ensuite, nous avons deux principes qui nous guident là-dessus. Le premier, c’est de se dire que rien ne doit se faire sur l’Ukraine sans l’Ukraine. Ça touche par exemple les questions territoriales ou les questions de souveraineté. La deuxième, c’est que rien ne doit toucher la question de la sécurité des Européens, puisqu’il en est évidemment question, sans les Européens. Ce sont des principes de base que d’ailleurs la partie américaine comprend tout à fait et accepte. Donc depuis la présentation du plan en 28 points, il y a eu ensuite, les négociations à Genève. Il y a eu ensuite, présidé par le Président de la République Macron et en présence du ministre Jean-Noël Barrot, les discussions de ce qu’on appelle la Coalition des volontaires. C’est un groupe de plus d’une trentaine de pays qui travaille notamment sur la préparation des garanties de sécurité, c’est-à-dire qu’une fois qu’on a l’accord de paix, pour éviter que la Russie n’envahisse de nouveau l’Ukraine, il faut avoir des garanties de sécurité.
De tout ça, nous avons obtenu deux choses. La première, c’est que les sujets européens soient retranchés des discussions dans lesquelles nous ne sommes pas. Et deuxièmement, que les Américains s’engagent pour la première fois à ce niveau politique, c’est-à-dire celui du secrétaire d’État, Marco Rubio, à discuter des garanties de sécurité futures. Nous sommes dans des échanges maintenant très denses avec la partie américaine. Nous avons été débriefés des échanges qui avaient eu lieu entre la partie américaine et le président Poutine à Moscou. Et des discussions se poursuivent au moment où on se parle.
Q - Qu’en est-il des actions russes qui se trouvent dans des banques européennes ? Le Président de la République disait, il y a quelques jours, que c’est aux Européens de décider de ce qu’on peut faire de ces actions.
R - Tout à fait. Là, vous parlez des avoirs gelés russes. Ils sont en Europe. Et la compétence est celle des Européens sur le sujet. Il y a, en ce moment, des discussions au niveau de la Commission, avec les États membres, pour voir si nous pourrions avoir une forme de financement de l’Ukraine, environ 140 milliards d’euros pour les trois années qui viennent, qui serait assise ou garantie par ces avoirs gelés. Là-dessus, nous avons deux éléments qui sont importants. Premièrement, c’est d’être sûr que nous maintenons la mobilisation de ces avoirs gelés dans les mois à venir, pour ne pas qu’ils s’échappent. La seconde, c’est que nous soyons dans un plein respect du droit international sur le sujet. C’est donc en fait la question de la base légale de ces avoirs gelés. Ce sont des questions qui sont à la fois très techniques, et en même temps aussi très politiques, qui demandent encore beaucoup de travail. Il y a un travail qui est maintenant fait au niveau des États membres, technique, en ce moment à Bruxelles. Et puis ce sera à l’agenda du prochain Conseil européen, c’est-à-dire des leaders des 27 États membres de l’Union européenne, le 18 décembre prochain.
Q - « La Russie est une menace existentielle pour la France », disait le Président de la République il y a quelques semaines. Poutine a lancé des menaces directes à l’égard de l’Europe il y a quelques jours. Comment réagissez-vous à cela ?
R - Sur les propos du président Poutine, prononcés en début de semaine, je crois que nous connaissons tous cette rhétorique, et il ne faut pas s’y laisser prendre. Il y a un camp de la paix, qui est celui de l’Ukraine. Il y a un pays qui est agressé, qui est l’Ukraine. Il y a un pays agresseur, qui est la Russie, et qui continue de bombarder systématiquement les villes de l’Ukraine, Kiev, avec ses missiles ou avec ses drones. De manière plus générale, le Président l’a indiqué, en parlant effectivement de la menace russe qui pesait sur la France, nous en avons acté des éléments dans ce qui s’appelle la Revue nationale stratégique, qui est notre grand papier qui cadre à la fois la menace et la manière d’y répondre et de s’y préparer. Ça a été adopté en juin dernier, et dans lequel, effectivement, il y a une élévation du niveau de la menace, et notamment de la menace russe.
Cela passe par des attaques notamment hybrides, qu’elles soient dans le champ cyber ou dans le champ de la guerre informationnelle. Et puis plus récemment, à l’automne, vous avez eu des manœuvres que nous considérons comme tout à fait escalatoires de pénétrations dans l’espace aérien européen ou OTAN de drones, d’avions de chasse… Ça a été en Estonie, ça a été en Pologne, ça a été en Roumanie. Et à chaque fois, l’Union européenne a réagi de manière très ferme, très unie, avec aussi ses partenaires américains, parce que cela voulait montrer deux choses. Cela voulait montrer une forme de diversion de la part des Russes, de leurs défauts de succès sur le terrain militaire en Ukraine, puisque vous savez que depuis mille jours, c’est-à-dire depuis novembre 2022 et la fixation du front, les Russes n’ont avancé que de 0,7% du territoire ukrainien. Et deuxièmement, cela voulait tenter de semer de la division entre les partenaires de l’Union européenne ou de l’OTAN.
Q - Sur la Syrie, le 8 décembre marquera le premier anniversaire de la chute de Bachar al-Assad. Sa fuite a sonné la fin de l’une des pires dictatures. La transition en Syrie reste très fragile et pleine d’incertitudes. Comment vous voyez, vous, la France, l’évolution de ce processus de transition ?
R - Nous nous sommes réjouis de la chute de ce qu’on appelait « l’État de barbarie », du régime de Bachar al-Assad, le 8 décembre dernier. Nous avons eu, dès le 17 décembre, une première mission qui s’est rendue dans le pays. Le 3 janvier, le ministre Jean-Noël Barrot et son homologue allemande, Annalena Baerbock à l’époque, se sont rendues à Damas pour rencontrer les autorités de transition. En février, nous avons accueilli une conférence au Quai d’Orsay, pour coordonner le soutien à cette transition. Et je voudrais encore rappeler ces éléments, début mai, le 7 mai, le Président de la République a accueilli Ahmed al-Charaa à Paris, et c’était la première fois qu’Ahmed al-Charaa était accueilli dans une capitale occidentale. Cette transition, elle doit se faire de manière à maintenir une Syrie unie, qui inclut les différentes communautés, qui répare les crimes et qui ne laisse impunis les crimes du régime précédent, mais aussi qui empêche la vengeance entre les communautés. Nous sommes aussi très vigilants, ce sont des messages que nous passons à l’autorité de transition, à ce que les crimes qui aient pu être commis récemment fassent non seulement l’objet d’enquêtes, mais ensuite l’objet de justice. C’est vraiment un élément qui est très important. Nous saluons ensuite différentes avancées : le cessez-le-feu complet qui a été annoncé le 7 octobre dernier, l’accord entre les autorités de transition et les forces kurdes du Nord-Est syrien, et puis aussi le fait que les autorités de transition aient rejoint la coalition contre Daech, qui est un pas dans la bonne direction. Tout cela est évidemment très fragile, mais nous suivons tout cela de près et en contact étroit avec les forces de transition. La France est représentée localement par un chargé d’affaires.
Q - Sur un tout autre sujet, mais toujours sur la Syrie, alors que les négociations sur un accord de sécurité entre Israël et la Syrie sont dans l’impasse, l’armée israélienne multiplie ses incursions dans le sud de la Syrie. 13 Syriens, dont des femmes et des enfants, ont été tués, et 24 autres blessés, durant l’incursion israélienne, il y a quelques jours, à Beit Jinn, un village syrien. Quelle est votre réaction, là-dessus ?
R - Nous sommes très préoccupés par ces incursions, puisqu’il faut, en l’espèce, respecter la souveraineté des États, respecter le droit international, qui sur le sujet est clair. Il y a eu un vote, il y a quelques jours, à l’Assemblée générale des Nations unies sur le Golan syrien. C’est un vote qui se déroule chaque année, et cette année, la France a voté en faveur. Donc c’était une résolution qui était importante pour nous, pour appeler au respect du droit international en la matière et des frontières internationales.
Q - Sur l’Iran, Jean-Noël Barrot, le ministre français des affaires étrangères, a rencontré son homologue iranien à Paris, mercredi de la semaine dernière, pour un échange diplomatique particulièrement sensible. Le ministre français a exprimé la vive préoccupation de la France et de ses partenaires européens et américain face à la trajectoire du programme nucléaire iranien. Qu’est-ce qui vous inquiète encore dans ce programme, après les dernières frappes qui ont visé les sites nucléaires iraniens ?
R - Depuis 2019, l’Iran ne respecte plus ses engagements pris au titre du JCPoA. Nous avions indiqué de manière très claire que nous rétablirions avec les pays dits de l’E3, c’est-à-dire la Grande-Bretagne et l’Allemagne, avec lesquels nous avançons dans ce format, que nous rétablirions le mécanisme dit de snapback qui était prévu dans cet accord de 2015, qui prévoit le rétablissement des sanctions votées au Conseil de sécurité des Nations unies, entre 2006 et 2010. En réalité, nous avons perdu la connaissance de ce programme nucléaire iranien : L’AIEA ne peut pas faire les inspections qu’elle devrait faire, il y a une incertitude sur le stock d’uranium hautement enrichi dans le pays… Ce n’est pas possible, et nous sommes vivement préoccupés par ce sujet. C’est ce que nous avons dit à la partie iranienne. Nous avons également voté, la semaine dernière, au Conseil des gouverneurs de l’AIEA, pour que le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, ait un mandat très clair pour faire un rapport sur l’état du programme nucléaire iranien, et puis essayer de reprendre les inspections.
Par ailleurs, nous avons, en accord avec la Slovénie, qui est à la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies, mis au programme du Conseil de sécurité des Nations unies un rapport sur l’état du programme nucléaire iranien. Et donc, 1) une vive préoccupation sur la situation sur le terrain. 2) Une mobilisation encore très forte au Conseil du gouverneur de l’AIEA et avec nos partenaires des E3, pour pouvoir ensuite rétablir des inspections et du monitoring. Et puis, troisièmement, une main diplomatique qui est toujours ouverte, et nous l’avons toujours indiqué aux partenaires iraniens avec lesquels nous pouvions échanger sur ces sujets. Nous pensons qu’à la fin, la seule solution de long terme ne pourra qu’être diplomatique.
Q - La France a appelé les belligérants au Soudan au cessez-le-feu. La France a dénoncé aussi le caractère ethnique des exactions attribuées aux paramilitaires du FSR. Quel est votre message, aujourd’hui ?
R - Notre message, c’est que nous condamnons dans les termes les plus forts ces atrocités à caractère ethnique commises en octobre par les FSR, notamment dans la chute de El Fasher. Le Soudan est la crise Humanitaire la plus grave au monde, en ce moment. Elle est un peu oubliée des médias. Elle n’est pas oubliée de la diplomatie française. En avril 2024, nous avions tenu une grande conférence humanitaire qui avait permis de récolter deux milliards de dollars en faveur de la crise. Un an après, une autre conférence à laquelle nous avons aussi assisté s’est tenue. Le ministre Barrot s’y était rendu. Le Ministre, aussi, était allé à la frontière avec le Tchad et dans les camps de réfugiés, en novembre 2024, notamment pour essayer de rouvrir des voies de passage. Nous sommes extrêmement vigilants, ensuite, sur cette crise.
Nous avons salué la trêve humanitaire qui a été déclarée pour trois mois par les FSR, il y a maintenant quelques jours. Nous soutenons pour que ça aboutisse vraiment, dans une dynamique d’aller vers un cessez-le-feu et à ce que les armes se taisent durablement. Nous maintenons la pression. Nous avons proposé notamment, dans le cadre du renouvellement de l’embargo sur les armes pour le Soudan, à ce qu’il soit étendu à tout le Soudan. Et nous avons mis sous sanctions, au niveau de l’Union européenne, le numéro deux des FSR, il y a une dizaine de jours. Enfin, nous soutenons tous les efforts de médiation, notamment du Quad, pour aboutir à un cessez-le-feu durable dans la région.
Q - La toute dernière question, c’est sur Gaza, sur la réouverture du passage de Rafah. Il y a des informations selon lesquelles Israël veut l’ouvrir dans un seul sens, ce qui pourrait ressembler à un déplacement forcé. En plus de cela, c’est contradictoire avec ce que prévoient le plan franco-saoudien et le plan américain.
R - Tout à fait. Selon nos informations, nous comprenons que la réouverture de Rafah ne se ferait que dans un seul sens, la sortie des résidents de Gaza vers l’Égypte. Nous appelons à ce que cela se fasse dans les deux sens. C’est effectivement ce qui est prévu par le plan franco-saoudien de juillet dernier, la déclaration de New York, et qui avait été repris dans le plan de paix de la fin du mois de septembre. Pourquoi ? Pour une raison très simple, c’est qu’il faut que l’aide humanitaire arrive de manière bien plus massive encore à Gaza. Nous sommes dans une situation qui reste très difficile localement. Plusieurs points de passage sont encore fermés. L’hiver est en train de s’installer. La situation est très difficile.
Nous appelons à ce que l’aide humanitaire puisse être débloquée avec, premièrement, une augmentation du nombre d’enregistrements des ONG qui peuvent y avoir accès. Ça, ce sont les autorités israéliennes qui décident lesquelles elles enregistrent ou pas. Deuxièmement, à ce que ce qu’on appelle - c’est assez technique - les catégories de biens à double usage, c’est-à-dire des biens qui sont humanitaires, mais qui pourraient être considérés comme étant à usage parfois militaire, puissent au contraire être acceptés. Il y a parfois des choses comme des seringues ou des piquets de tentes qui sont refusés parce qu’ils pourraient être utilisés à d’autres fins. Et puis enfin, à l’ouverture des différents points de passage, pour que cette aide arrive massivement sur le territoire. Et donc nous préparons par ailleurs, avec nos partenaires notamment égyptiens, une future conférence humanitaire qui aura pour but, à la fois de faire de la levée de fonds, et en même temps de savoir comment on gérera l’accès humanitaire, c’est-à-dire par quels canaux. Nous soutenons le fait que les organisations des Nations unies soient effectivement impliquées et centrales, et de ne pas avoir une militarisation ou une privatisation de cette aide humanitaire.
Q - Mais pour vous, ouvrir le passage de Rafah dans un seul sens, ça vous inquiète ?
R - Nous appelons à ce qu’il soit ouvert dans les deux sens. Conformément aux deux accords, à la fois le plan franco-saoudien et le plan de la fin du mois de septembre.
Q - Merci beaucoup, M. Pascal Confavreux.
R - Merci beaucoup.
(Source : Al Arabiya)