Entretien d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec « France Culture » (Paris, 25 avril 2023)

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Q - Depuis samedi au Soudan, la liste des pays organisant l’évacuation de leurs ressortissants ne cesse de s’allonger. Car depuis dix jours, les affrontements font rage et opposent les forces armées soudanaises au groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide. Pour la France, ces opérations d’évacuation ont débuté avant-hier dimanche, qui comptait sur le territoire 250 ressortissants. Hier soir, 196 Français avaient été évacués de Khartoum vers Djibouti. Al ors comment s’organise une telle opération d’évacuation ? Pour en parler, je reçois ce matin Anne-Claire Legendre. Bonjour.

R - Bonjour Quentin Lafay.

Q - Vous êtes porte-parole du Quai d’Orsay. Est-ce que vous pouvez nous rappeler, Madame, brièvement, la situation au Soudan ? Pourquoi est-elle urgente ? Pourquoi est-il urgent, au fond, de permettre aux Français de quitter le territoire ?

R - Comme vous l’indiquiez, cela fait dix jours désormais qu’il y a des combats très intenses au Soudan entre deux parties : les parties des forces armées soudanaises, et les Forces de soutien rapide. Et ces combats ont déjà fait un très grand nombre de morts, plus de 420 victimes, comme l’a indiqué l’OMS hier, et plus de 3 700 blessés. Il y a donc une urgence humanitaire sur le terrain, mais aussi une urgence pour nous, à assurer la sécurité de nos compatriotes.

Q - Depuis dimanche se déroule au Soudan un type d’opération militaire qui est appelé « Resevac ». Que dit cette doctrine des obligations de la diplomatie française vis-à-vis de ses ressortissants ?

R – C’est à la demande du Président de la République que la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Madame Colonna, et le ministre des armées, Monsieur Lecornu, ont lancé cette opération. Il s’agit d’une opération d’évacuation de nos ressortissants, à la fois le personnel diplomatique sur le terrain, mais également tous les Français qui résidaient au Soudan et qui le souhaitaient. Donc, à l’heure d’hier soir, nous avions évacué 196 français, mais je tiens à souligner que dans le cadre de cette opération, nous avons aussi souhaité marquer notre solidarité avec tous les partenaires et alliés qui nous demanderaient leur soutien dans ce cadre. C’est près de 36 nationalités qu’a évacué la France, à l’heure d’hier soir, avec des nationalités aussi diverses que 12 États membres de l’Union européenne, mais aussi des Nigériens, des Angolais des Japonais, des Américains, des Britanniques… Une opération de très grande ampleur et une opération très complexe menée sur un terra in très volatile.

Q - Qui est intervenu concrètement, Anne-Claire Legendre, sur le terrain au Soudan, pour permettre à nos ressortissants de quitter le territoire ?

R - Ce sont nos forces armées qui sont déployées déjà dans la région, et qui ont été prépositionnées, pour certaines notamment, sur notre base de Djibouti, qui ont permis cette opération sur le terrain, pour notamment apporter des garanties de sécurité à nos ressortissants. Mais je tiens à souligner que ce n’est pas seulement une opération militaire, c’est une opération qui a été complètement intégrée entre les deux ministères, puisque pour pouvoir mener cette opération, il faut mener des contacts diplomatiques, notamment avec les deux parties en conflit, pour s’assurer que nous avons la voie libre pour pouvoir aller chercher nos ressortissants et les évacuer.

Q - Vous parlez de la voie libre ; justement, quand est-ce qu’on juge, quand est-ce qu’on estime qu’il est temps d’intervenir et d’évacuer ?

R - C’est une opération très complexe. Comme je le soulignais, elle a été très complexe parce qu’il y avait plusieurs options d’évacuation possible : une option aérienne, une option terrestre, qui a notamment été choisie par nos partenaires saoudiens ou les Nations unies en ce moment même sur le terrain. Et c’est une opération très complexe parce qu’elle doit se juger à la fois au niveau général - pouvoir évaluer le fait que le cessez-le-feu tienne ou pas -, mais aussi sur le terrain, directement, avec une analyse qui se fait finalement minute par minute, en fonction de notre capacité à pouvoir obtenir des parties en conflit que ces voies soient ouvertes.

Q - D’après la presse allemande, l’Allemagne aurait annulé, elle, une tentative d’évacuation mercredi dernier. Ça pose cette même question : quelles conditions il faut remplir, justement, pour intervenir ? On peut reculer, finalement, lorsque la situation change au dernier moment ?

R - C’est une décision très complexe. Évidemment, il faut assurer la sécurité de nos ressortissants. C’est la priorité de nos autorités. Mais en même temps, vous engagez des personnes sur le terrain, et donc il s’agit aussi d’assurer leur sécurité et de ne pas engager des vies de façon déraisonnable.

Q - Est ce qu’on évacue nécessairement grâce à la voie aérienne, ou toutes les options sont envisagées ?

R - Toutes les options sont envisagées. En ce moment même, les Nations unies évacuent par voie terrestre 700 personnes. Et d’ailleurs, la France mettra à disposition une frégate, la frégate Lorraine, puisque pour évacuer, les Nations unies traversent tout le Soudan jusqu’à Port-Soudan, c’est douze heures de route. Vous voyez bien que cela expose aussi à un certain nombre de complications, et puis de dangers - évidemment, la capacité à pouvoir trouver des vivres, se ravitailler en essence pour pouvoir faire une aussi longue route avec autant de personnes. Et, à Port-Soudan, la France apportera son soutien pour transférer les personnels des Nations unies, de Port-Soudan à Djeddah, avec une frégate de la marine française.

Q - Je ne sais pas si la situation s’est déjà présentée, Anne-Claire Legendre, mais que fait-on, que font les autorités lorsque des ressortissants ne souhaitent pas quitter le territoire ?

R - Nous les appelons instamment à quitter le territoire du fait des conditions de sécurité. C’est l’appel que nous avons passé à la totalité de notre communauté sur le terrain. Mais évidemment ensuite, c’est une décision individuelle de chacun. Et il y a aujourd’hui des ressortissants français qui ne souhaitent pas quitter le Soudan.

Q - Au Soudan encore, le gouvernement britannique a quant à lui essuyé les critiques au sujet de sa politique d’évacuation. C’est notamment le personnel diplomatique qui a d’abord été évacué, en priorité. Est-ce que l’évacuation des diplomates est différente de celle des ressortissants français ? Est-ce que la France priorise aussi le départ de ses ressortissants du Soudan ?

R - Dans notre cas, notre ambassadrice au Soudan, Raja Rabia, dont je tiens à saluer le travail remarquable, a quitté le Soudan la dernière. Elle a tenu, précisément, à être là jusqu’au bout. Donc c’est plutôt l’inverse, c’est le personnel diplomatique qui reste sur le terrain pour pouvoir assurer l’évacuation des ressortissants français, puisque comme vous l’imaginez, tout cela nécessite énormément de coordination, énormément de travail logistique, pour s’assurer que chacun monte dans un véhicule, dispose de vivres, est au bon endroit, au bon moment, pour pouvoir partir dans les convois.

Q - Ce qui s’est passé au Soudan, c’est vrai d’une façon générale ? On ne priorise pas, de toute façon, les évacuations entre ressortissants français ?

R - La doctrine de la France, c’est d’évacuer ses ressortissants, et c’est ce que nous avons fait dans d’autres opérations. Vous vous souvenez évidemment de l’Afghanistan, où nous avons…

Q - Où l’ambassadeur David Martinon avait effectivement quitté le territoire parmi les derniers. Ce type d’opération, vous l’avez dit, demande la coordination d’un ensemble d’acteurs internationaux. Comment se déroulent ces alliances ?

R - C’est une concertation permanente. Tout d’abord, nous avons une concertation permanente sur le Soudan. Vous avez entendu Antony Blinken hier appeler à un cessez-le-feu. Ce travail diplomatique, il se fait en ce moment au niveau du Président de la République et de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Madame Colonna, qui a eu tous ses homologues, je dirais, de la région, puisque la Ligue arabe, l’Union africaine, l’Igad, qui est l’organisation régionale d’Afrique de l’Est, mais également l’Égypte, les Émirats, l’Arabie saoudite, sont très impliqués dans la résolution de ce conflit. Nous discutons avec chacun d’entre eux pour faire pression sur les parties et faire en sorte qu’elles cessent les combats. Et ensuite, dans le cadre de l’évacuation, nous avons évidemment une coordination extrêmement étroite. Cela se fait à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi avec les militaires, de leurs côtés, qui ont leur propres canaux de coordination.

Q - Merci beaucoup Anne-Claire Legendre. Je rappelle que vous êtes porte-parole du Quai d’Orsay. Merci beaucoup d’être venue dans les matins évoquer avec nous l’exfiltration des Français du territoire soudanais.