Côte d’Ivoire - Entretien d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec "Le Grand Talk, Life TV" (Abidjan, 5 juin 2023)
Q - Ça y est, nous sommes de retour sur le plateau du Grand Talk - remplacement de basket, dirait-on. Nous sommes très heureux de recevoir Mme Anne-Claire Legendre, je disais, porte-parole du ministère français des affaires étrangères. Bonsoir Madame.
R - Bonsoir.
Q - Merci d’être sur notre plateau. Vous êtes également présente en Côte d’Ivoire, donc, à la faveur de la tenue du CEO Forum. Nous en avons profité pour vous avoir sur notre plateau, et avec vous évoquer, forcément, les questions de diplomatie, j’ai même envie de dire des nouveaux axes de la diplomatie entre la Côte d’Ivoire et la France, donc globalement les États africains et la France. Est-ce que justement, vous entendez cette perception de volonté d’une nouvelle diplomatie ? Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
R - C’est une volonté que nous exprimons nous-mêmes. On entend cette aspiration, notamment de la plus jeune génération en Afrique, et j’ai eu l’occasion d’en discuter cet après-midi, pour une relation renouvelée avec la France, renouvelée avec son environnement. Et c’est aussi le souhait que nous avons exprimé, puisque c’était dès le discours de Ouagadougou par le Président Macron en 2017, une volonté de renouveler ce partenariat, de le refonder sur de nouvelles bases de partenariat égal à égal, mais aussi en mettant l’accent sur des sujets qui sont d’importance pour la jeunesse ivoirienne et pour les jeunesses africaines.
Q - Alors, je veux bien comprendre : vous êtes d’accord pour renouveler cette volonté, les autres aussi sont d’accord, donc tout le monde a de la volonté… Et pourquoi ça ne se met pas tout de suite en place ? Est-ce qu’il y a des réfractaires ?
R - Ça se met complètement en place. En fait, ici, on est déjà en train de travailler à ce nouveau partenariat entre la France et la Côte d’Ivoire, avec un focus aujourd’hui sur la jeunesse, puisque ça, c’est vraiment la priorité de la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Et en fait, c’est une priorité que nous partageons. On voit bien qu’il faut travailler aujourd’hui sur la réponse aux besoins de ce qui est le quotidien des populations ivoiriennes, ici. Et c’est dans notre intérêt également. Cela passe par travailler sur l’éducation, la formation professionnelle, l’entrepreneuriat. Ce sont tous des sujets que nous travaillons à développer dans notre coopération avec la Côte d’Ivoire.
Q - L’entrisme russe en Afrique et l’activisme russe en Afrique vous a un peu obligés à, comme on dit, à accélérer un peu la cadence. Récemment, vous avez parlé de diplomatie de combat. Alors, je trouve un peu antinomique les deux, la diplomatie feutrée, et puis le combat avec un peu plus d’ardeur. Comment est-ce que vous conciliez ces deux idées ?
R - Alors, "diplomatie de combat", quand le Président a utilisé cette formule, il voulait dire qu’il attendait de ses diplomates qu’ils rentrent dans l’arène du débat. On voit bien qu’aujourd’hui, on a un débat qui est largement défini par les réseaux sociaux, avec une très forte polarisation, avec malheureusement, parfois aussi, de la manipulation, de la désinformation. Il demande à sa diplomatie d’être là, sur le terrain, pour rétablir les faits, et pour ne pas laisser passer des contre-vérités sur la France et sur nos relations avec tous les pays, quels qu’ils soient, sur les réseaux sociaux, sans réponse.
Q - Empêcher la Russie d’étendre ses ailes, son influence ?
R - Aujourd’hui, on n’est pas dans une compétition, la question, c’est la qualité de notre relation. Et nous, nous avons une qualité de relation qui tient évidemment, notamment, à la relation humaine. Quand on dit que 100.000 Ivoiriens vivent en France, on voit bien la richesse de cette relation-là. Aujourd’hui, nous souhaitons bâtir ce nouveau partenariat en se fondant, finalement, sur les besoins qui sont exprimés à la fois par les États, en plein respect de leur souveraineté, mais aussi par les populations, pour répondre aux besoins quotidiens qui sont les leurs. Voilà. Je mentionnais tous les sujets de préoccupation : on sait qu’il y a 400.000 jeunes Ivoiriens qui arrivent sur le marché du travail chaque année, ça veut dire pouvoir apporter un partenariat en matière d’entrepreneuriat. Ce matin, j’étais à la fondation SEPHIS avec sa présidente Sefora Kodjo, et on soutient de cette façon 317 femmes à développer leurs entreprises, quels que soient les secteurs d’activité. C’est très concret.
Q - Vous dites tout ça, mais finalement, comment est-ce que vous faites, la France, suit-elle, pour que ses actions en Afrique respectent le principe de souveraineté ? Parce que, partout où on va faire des élections, les gens disent "la France voulait nous imposer ceci ". Comment concrètement vous faites pour ne pas que les gens vous accusent de violer la souveraineté dans leurs États ?
R - On est des partenaires de souveraineté. C’est vraiment le cœur de ce qu’on veut faire aujourd’hui. Et d’ailleurs, vous parlez de politique, mais on voit bien que la souveraineté, aujourd’hui, c’est être capables aussi de résister à des grandes crises santé internationales, comme le Covid, ou que ce soit sur les questions de climat. Aujourd’hui, ce qu’on cherche, c’est de nouer des partenariats qui permettent à tous les pays dans le monde d’agir souverainement, c’est-à-dire d’être en mesure de prendre en main ces défis et d’avoir les solutions qui soient les leurs.
Q - Mais est-ce que quelque part, à cause de ce partenariat, vous ne poussez pas certains pions pour que d’autres soient assis à d’autres places où ils ne sont pas ? Parce que, on a vu dans des réunions Ousmane Sonko, au Sénégal, vous accuser de ce même type d’imposition.
R - Il faut en finir avec ce fantasme des ingérences de la France. Vous parlez du Sénégal, on s’est exprimés très clairement sur la question. Aujourd’hui, c’est vraiment cette question de souveraineté que nous soutenons dans nos rapports d’égal à égal avec tous les pays du continent africain.
Q - Justement, j’aimerais revenir un petit peu là-dessus, de manière un peu plus concrète peut-être. Quels sont les dispositifs aujourd’hui… enfin, les initiatives fortes que vous développez, que vous mettez en place pour, justement, renforcer ces relations d’égal à égal entre la Côte d’Ivoire, justement, et la France, en l’occurrence ?
R - J’évoquais tous ces sujets qui touchent la jeunesse, par exemple. On en discutait cet après-midi avec l’AFD. Déjà, l’AFD…
Q - L’Agence française de développement.
R - L’Agence français de développement, la Côte d’Ivoire est son premier pays d’engagement. Vous voyez la force de notre engagement et de notre partenariat ici, en Côte d’Ivoire. On en discutait ce matin et le bilan qu’ils faisaient, c’était qu’aujourd’hui 120.000 jeunes Ivoiriens bénéficient de ce partenariat, que ce soit dans les domaines de l’éducation, de la formation ou de l’entrepreneuriat. Ça veut dire que sur tout le long de la chaîne, on est aux côtés des autorités ivoiriennes et de la société civile, pour le développement de l’éducation primaire et secondaire, avec les autorités, mais aussi pour, par exemple, ce hub franco-ivoirien en matière universitaire : c’est 70 universités françaises en lien avec les universités ivoiriennes, qui construisent des doubles diplômes. Ça, c’est extrêmement concret.
Q - Très bien. Une autre question ?
Q - OK. On se rappelle, par exemple, qu’il y a quelques mois, disons, presque une année, le Président macron recevait de jeunes africains en France ; ça s’inscrivait dans le cadre de cette volonté-là de redéfinir cette collaboration que la France avait avec ces pays-là. Un an plus tard, quel bilan on fait ? Parce qu’après ça, on a tous pensé que c’était,… ça donnait l’impression d’être une fois, juste, à la parole. Après ça, concrètement, qu’est-ce qui est prévu et qu’est-ce qui a été fait de ce qui est prévu ? Parce que nous, on a eu quelques rapports, mais jusque-là, on ne voit pas les choses bouger.
R - Concrètement, on a mis en place toute une série d’actions. Je parlais d’entrepreneuriat, il y a Choose Africa, qui permet de travailler à développer l’entrepreneuriat en Afrique, avec beaucoup d’argent mis sur cette priorité.
Q - Vous avez mis un fonds à hauteur de combien ?
R - 140 millions pour les seuls entrepreneurs en Côte d’Ivoire. C’est 140 millions d’euros qui ont été investis dans les entrepreneurs ici. On a aussi soutenu les industries culturelles et créatives. Et puis vous parlez de ce débat qu’avait eu le Président de la République avec la jeunesse, ce débat, on a continué à l’ouvrir. Parce qu’évidemment qu’on est prêts, dans ce renouvellement du partenariat, à regarder notre histoire en face.
Q - Alors, Madame, très rapidement, sur le Sénégal, que vous évoquiez à l’instant, quelle est la position du Quai d’Orsay sur le troisième mandat ou la tentative de troisième mandat qu’on prête à M. Macky Sall ? Qu’est-ce que la France dit exactement ? Parce que le reproche qu’on vous fait, c’est souvent d’être mous avec les uns et durs avec les autres, facilitant une succession un peu étrange au Tchad, et puis condamnant, par exemple, des putschistes au Mali. Quelle est votre doctrine en la matière ? Quelle est votre position vis-à-vis du Sénégal ?
R - Je voudrais déjà m’arrêter sur ce qui s’est passé ces quelques derniers jours. On est extrêmement préoccupés par l’ampleur des violences qui ont eu lieu au Sénégal. Et je voudrais ici exprimer toutes nos condoléances et notre sympathie pour le peuple sénégalais, qui a été frappé, et pour les proches des victimes. Nous, notre position, elle est claire : on appelle aujourd’hui tous les acteurs politiques - tous les acteurs politiques - à la retenue, à la cessation de la violence et à un retour au dialogue qui respecte la tradition démocratique du Sénégal. Ce message, il est passé à tous les acteurs. Je ne vais pas répondre à une question hypothétique. Mais, en revanche, notre attachement, c’est celui-là, et ce n’est pas seulement celui de la France, c’est celui de l’Union européenne et de la communauté internationale, l’attachement au cadre démocratique sénégalais et au respect de l’État de droit.
Q - Est-ce que vous appelez au respect de la Constitution ?
R - On appelle effectivement au respect de la longue tradition démocratique du Sénégal et de l’Etat de droit, tel qu’il est…
Q - Non, vous n’avez pas répondu, Madame. La Constitution.
R - …défini par la Constitution. Je viens de vous répondre.
Q - Est-ce que vous appelez au respect de la Constitution par tous les acteurs politiques sénégalais ?
R - Dans la mesure où, de fait, elle constitue en effet le cadre démocratique au Sénégal.
Q - Très bien.
Q - Madame Anne-Claire Legendre, tout à l’heure vous évoquiez l’aide, il y a beaucoup d’aide de la part de la France dans ce partenariat. J’ai même envie de vous poser la question : finalement, qu’est-ce que l’Afrique apporte à la France ?
R - L’Afrique apporte énormément à la France. On parlait des 100.000 Ivoiriens présents en France ; tout ça, c’est la richesse de notre relation au quotidien. Et, vous voyez, cet après-midi, on était avec ces entrepreneuses ivoiriennes ; ces entrepreneuses, aujourd’hui, elles développent leur activité ici, mais elles souhaitent aussi exporter vers la France. Tout ça, c’est une relation de part et d’autre, c’est une relation qui va dans les deux sens et que nous avons intérêt à… Vous m’interrogez sur nos intérêts : oui, nous avons intérêt à cette solidarité. C’est une question d’amitié et notre amitié avec la Côte d’Ivoire, elle est forte, et nous avons évidemment intérêt à la prospérité de ce pays et de sa jeunesse.
Q - Madame Anne-Claire Legendre, merci beaucoup. Je rappelle que vous être porte-parole du ministère français des affaires étrangères. Vous nous faites l’honneur et l’amitié d’être sur notre plateau ce soir. Merci d’être passée. On espère vous avoir à votre prochain voyage en Côte d’Ivoire, sur notre plateau, pour évoquer d’autres points.
R - Avec grand plaisir, merci beaucoup.
Q - Merci beaucoup.
R - Merci.