Algérie - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec "France Info" (Paris, 2 juillet 2025)

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Q - Boualem Sansal, Christophe Gleizes, ce sont deux noms mais aussi deux destins qui aujourd’hui sont liés à l’Algérie. Deux hommes jugés et emprisonnés par Alger pour des raisons différentes, mais sur fond de brouille diplomatique avec la France. Alors que peut notre gouvernement ? Comment désamorcer ces tensions ? On va en parler avec nos invités et nos experts qui sont présents sur ce plateau. Christophe Lemoine est avec nous. Bonjour et bienvenue.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes le porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

(…)

Q - Christophe Lemoine, comment est-ce que vous qualifiez, au ministère, ces deux emprisonnements, ces deux jugements ?

R - Ce sont deux affaires différentes, mais qui ont pour point commun de susciter une grande vigilance de la part de la diplomatie française. C’est le cas notamment pour Boualem Sansal. Il y a eu des expressions d’appui et de soutien au plus haut niveau, du Président de la République et du Ministre. Aujourd’hui, nous avons pris note de la condamnation en appel de cinq ans, qu’on regrette vraiment. Et nous appelons encore une fois à l’attention des autorités algériennes sur la situation de Boualem Sansal, sur son état de santé, sur son âge, sur ses conditions de détention. Et nous en appelons clairement à la clémence pour qu’il puisse être libéré et retrouver ses proches au plus vite.

Q - Et pour Christophe Gleizes ?

R - Pour Christophe Gleizes, cela fait partie aussi d’un suivi extrêmement attentif de la part des services du Quai d’Orsay depuis un an, et tout particulièrement des services de l’ambassade de France à Alger, qui l’a suivi et accompagné pendant toute cette année, jusqu’à ce qu’évidemment, il soit condamné très lourdement dimanche dernier par un tribunal de Tizi Ouzou. Parce que sept ans, c’est une condamnation très lourde. Et encore une fois, c’est une condamnation qu’on regrette, mais nous continuerons à être très attentifs à son sort et à suivre de près l’évolution de sa situation.

Q - Renaud Bouchez, comment vous, vous lisez cette situation pour Christophe Gleizes, que vous soutenez ? Vous avez d’ailleurs un T-shirt qui demande sa libération. Comment vous vivez cela ?

Q - À So Press, on ne le vit pas très bien parce que Christophe, c’est un journaliste, c’est un très bon journaliste, c’est un ami, c’est un excellent ami sur qui on peut compter. Et donc, depuis 13 mois et son arrestation, le 28 mai 2024 à Tizi Ouzou, évidemment, la famille s’inquiète. Elle a pu recevoir l’appui de RSF, Reporters sans frontières, qui les a beaucoup aidé dans leurs démarches.

Q - Est-ce que vous avez des nouvelles directes de Christophe Gleizes ? Est-ce que quelqu’un a pu le voir ?

Q - Non, la famille de Christophe Gleizes n’a pas pu le voir. Ils ont désigné un nouvel avocat en Algérie et ils s’apprêtent à désigner un avocat en France. L’avocat en Algérie doit aller le voir en prison aujourd’hui.

Q - Vous êtes dans l’attente pour l’instant.

Q - Concernant ce qui a été fait pendant les 13 mois, je n’ai pas les mêmes informations que Monsieur Lemoine. J’ai eu par la maman de Christophe Gleizes la confirmation que la seule fois où il y a pu avoir une rencontre avec le consul sur place, c’était parce que la famille avait insisté auprès du Quai d’Orsay, avec l’aide de RSF.

Q - Qu’est-ce que vous avez à répondre à ça, ou votre réaction, Christophe Lemoine ?

R - La situation de Christophe Gleizes, encore une fois, depuis son contrôle judiciaire, quand il a été prononcé l’année dernière en Algérie, ça a fait l’objet d’un suivi extrêmement attentif de la part des services de l’ambassade de France à Alger.

Q - Mais vous parlez de suivi attentif, de vigilance dans les deux cas. Est-ce que ce n’est pas un peu faible comme terme utilisé, par rapport aux situations de ces deux personnes ?

R - À partir du moment où un ressortissant français à l’étranger est pris dans une procédure judiciaire qui implique un contrôle judiciaire et ensuite une audience, bien évidemment, les services diplomatiques font le maximum de ce qu’ils peuvent faire dans ce cadre-là. Après, c’est une procédure judiciaire qui obéit à certaines règles et à certaines contraintes. Donc l’ambassade fait son maximum en termes d’accompagnement, en termes de visite. Je sais qu’il y a beaucoup de choses qui ont été faites. Maintenant, on peut difficilement influer sur le cours d’une procédure judiciaire.

Q - Ces deux procédures judiciaires ont lieu dans un cadre particulier, celui d’une brouille diplomatique entre Alger et Paris depuis maintenant de longs mois, un an quasiment. Christophe Gascard, est-ce qu’on peut peut-être se remettre en mémoire ce contexte-là ?

Q - Ce qui est certain, c’est qu’effectivement, ces deux affaires éclairent la difficulté qu’ont Paris et Alger à se parler, notamment sur ces deux ressortissants, qui sont donc emprisonnés actuellement. On peut parler, mais ça, Christophe Lemoine en parlera mieux que moi, puisque vous représentez le Quai d’Orsay, mais est-ce que l’on peut parler à un moment ou à un autre d’otages, lorsque ce sont des décisions qui sont politiques ? Ce qui est certain, c’est qu’effectivement, la brouille, elle est claire, elle est nette. Néanmoins, les relations diplomatiques continuent d’être maintenues. Et lorsque l’on parle d’une décision de justice, lorsque l’on sait que la justice est proche du pouvoir, en tout cas dans ce pays-là, on peut aussi poser la question, et c’est d’ailleurs ce qui est en train de se faire, de demander finalement au pouvoir politique une mansuétude vis-à-vis de ces deux cas. On sait qu’il y a, notamment le 5 juillet prochain, la fête de l’indépendance du pays. Et on imagine, et je vous pose la question notamment à vous, au Quai d’Orsay, qu’il y a des questions, des questionnements autour de cette libération, en tout cas d’une grâce présidentielle ? Ce serait une solution ?

R - Nous l’espérons. Encore une fois, nous appelons les autorités algériennes à la clémence, notamment dans le cas de Boualem Sansal. Et effectivement, la fête nationale algérienne pourrait être une occasion. Mais encore une fois, c’est une décision des autorités algériennes.

Q - La question de la clémence, d’une potentielle grâce, vous l’avez évoquée pour Boualem Sansal. Est-ce que vous l’espérez, est-ce que vous l’imaginez aussi pour Christophe Gleizes ou pas du tout, parce que c’est un autre cas ?

R - Christophe Gleizes a interjeté un appel lundi, ce qui veut dire que la procédure judiciaire n’est pas achevée et que la situation est donc différente en termes de procédure juridique.

(…)

Q - Là, Christophe Lemoine, on entend ce que disent les proches de Christophe Gleizes. On a aussi ces derniers mois beaucoup entendu les proches et les soutiens de Boualem Sansal. On le disait, ce sont deux affaires différentes, deux accusations différentes, mais qui interviennent dans un même contexte : le contexte diplomatique, de brouilles diplomatiques. Il a à voir ou pas, selon vous, là-dedans, ou est-ce qu’au moins ça interroge ? Est-ce que vous, ça vous interroge ?

R - Le contexte des relations diplomatiques entre Paris et Alger, qui est une relation aujourd’hui gelée ou bloquée, en tout cas à l’arrêt, ce blocage répond à différents éléments. Je ne vais pas refaire l’historique de tout ce qui s’est passé l’année dernière, mais il y a eu une tentative de reprise du dialogue au mois de mars. Il y a eu un appel entre le président Tebboune et le Président Macron qui avait généré une visite de travail de Jean-Noël Barrot qui avait été très longue et assez fructueuse au début du mois d’avril. Donc il y avait une tentative de reprise puisque, encore une fois, la seule solution pour lever les difficultés qui émaillent la relation franco-algérienne, c’est de reprendre le dialogue. Il n’y a pas vraiment d’autres solutions. Ce dialogue a été à nouveau interrompu par une décision des autorités algériennes d’expulsion d’agents de l’ambassade de France à Alger que nous avons condamné, que nous regrettons. Donc c’est une relation qui est effectivement difficile à différents niveaux et dans laquelle, effectivement, s’inscrivent ces deux affaires qui sont deux affaires individuelles, qui répondent à des procédures judiciaires algériennes ; mais effectivement, ce sont des éléments qui participent de ce blocage.

Q - Je voudrais qu’on regarde ensemble ce qu’ont dit récemment les syndicats de journalistes, plusieurs syndicats de journalistes : SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO, qui "appellent les autorités françaises à agir sans délai pour la libération de Christophe Gleizes, à faire le maximum pour rapatrier un de leur ressortissant et l’extraire d’un bourbier diplomatique qui le dépasse". Ce sont des mots forts, "un bourbier diplomatique qui le dépasse". Là, clairement, il y a une accusation envers la diplomatie, qui a une part de responsabilité dans cette situation, selon ces syndicats. Qu’est-ce que vous dites à ça ?

R - Encore une fois, c’est une situation, et ça a été dit, c’est une situation individuelle qui a à voir avec une procédure judiciaire algérienne que je ne peux pas commenter. Mais encore une fois, il y a une procédure judiciaire. Il faut faire le maximum pour essayer d’appuyer et d’aider vers une issue favorable. Mais on reste quand même un peu contraint par le fait qu’il est difficile d’aller à l’encontre d’une procédure judiciaire, même par la voie diplomatique.

Q - On va écouter Jean-Yves Le Drian. C’était l’ancien ministre des affaires étrangères qui a donné, lui, sa position, sa vision, ce matin, sur ces deux affaires. Et pour lui, la réponse est clairement politique. Regardez.

(…)

Q - Être ferme avec Alger, plus ferme avec Alger, qu’est-ce que vous lui répondez ? Il a raison de dire ça ?

R - Oui, l’attitude sur les différents sujets qui émaillent la relation franco-algérienne aujourd’hui, je pense qu’on n’a pas manqué de fermeté sur certains sujets. Ça a été le cas notamment quand Alger a décidé de l’expulsion de 12 agents de l’ambassade de France à Alger, auquel nous avons répondu par des mesures de réciprocité exactes d’expulsion d’agents de l’ambassade d’Algérie en France. Ce n’est pas un manque de fermeté. Aujourd’hui, il y a diplomatiquement des efforts qui sont déployés, mais encore une fois, sur des situations qui relèvent de procédures judiciaires, il faut aussi prendre en compte le fait que c’est une procédure judiciaire

Q - Donc vous dites : "On ne peut pas faire plus. La France ne peut pas faire plus dans ces deux cas."

R - Les messages sont passés à tous les niveaux. Il y a des messages qui sont passés dans le cas de Boualem Sansal et dans le cas de Christophe Gleizes. Mais encore une fois, tout cela dépend du juge algérien.

(…)

Q - C’est vrai que ce que vous dites interroge, parce qu’on a le sentiment que la France a essayé, entre guillemets, passez-moi l’expression, mais la "manière douce" avec l’Algérie, donc renouer les relations diplomatiques. On a aussi vu le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, avoir des mots très durs envers l’Algérie. Dans les deux cas, ça n’a pas fonctionné. On a du mal à voir s’il peut y avoir une issue aujourd’hui positive pour les deux personnes dont on parle. Est-ce que vous gardez espoir encore aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous fait garder espoir ?

R - Evidemment, mais il faut garder espoir.

Q - Il faut, mais qu’est-ce qui vous fait garder ? Est-ce qu’il y a des indices positifs ?

R - C’est un espoir. On espère, notamment dans le cas de Boualem Sansel, qu’il y aura une bonne nouvelle. On espère que ces procédures pourront se développer d’une manière favorable aussi pour Christophe Gleizes. Mais c’est un espoir aujourd’hui. Après, ce sont des décisions qui sont dans les mains des autorités algériennes. On passe tous les messages qu’il est possible de passer, mais ça reste une décision qui leur appartient.

Q - Donc si l’Algérie décide de laisser ça comme ça, la France ne pourra rien faire du tout ?

R - On est, encore une fois, dans le cadre d’une relation d’Etat à Etat et l’Algérie est un Etat souverain qui prend ses décisions.

(…)

Q - Christophe Lemoine, est-ce qu’il faut parler d’otages d’Etat pour Christophe Gleizes, pour Boualem Sansal, comme la France en parle pour Cécile Kohler et Jacques Paris en Iran ?

R - Chaque cas de ressortissants français incarcéré à l’étranger est particulier. Dans le cas de Boualem Sansal et de Christophe Gleizes, pour le moment, ce sont des personnes qui sont prises dans un processus judiciaire en Algérie.

Q - On va regarder à présent, si vous le voulez bien, à écouter Sébastien Delogu, qui est un député de la France insoumise. Ces dernières heures, il a fait un voyage en Algérie. Et pendant ce déplacement, il n’a pas eu un seul mot pour Boualem Sansal, ni même pour Christophe Gleizes. Il prône un dialogue d’égal à égal avec le régime algérien. Et voilà ce qu’il a dit sur un média algérien.

(…)

Q - Christophe Lemoine, quelle position du Quai d’Orsay sur ces propos de Sébastien Delogu, ou ce manque de propos aussi, à l’égard de ressortissants français ?

R - Pas de commentaire particulier, il s’exprime en tant que député et c’est sa position.

Q - La France insoumise a pris ses distances par rapport à ce voyage et à ces propos. Vous le comprenez, vous le saluez ?

R - Encore une fois, ce sont les positions d’un député français qui assume ses positions.

(…)

Q - Merci, merci beaucoup, messieurs, d’avoir accepté notre invitation dans "Le 11/13" de France Info. Boualem Sansal, je le rappelle, a été condamné hier en appel à cinq ans de prison. Reste à savoir maintenant s’il va se pourvoir en cassation ou s’il y aura une grâce présidentielle. Et puis pour Christophe Gleizes, sept ans de prison donc, la condamnation est tombée dimanche. Il a fait appel et on va suivre évidemment ce dossier. Merci à tous d’avoir été avec nous.