Ukraine - Entretien de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, publié par le journal quotidien « Midi Libre » (Saint-Jean-de-Védas, 24 février 2023)

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« C’est le moment pour les Européens de faire un effort supplémentaire »

Q - La Russie a commencé à envahir l’Ukraine, il y a un an. Volodymyr Zelensky peut-il gagner cette guerre et espérer reconquérir tous les territoires pris par la Russie, y compris la Crimée ?

R - La Russie a en effet décidé de lancer il y un an une guerre d’agression contre l’Ukraine. Cette guerre s’accompagne depuis un an d’exactions contre les civils, du déplacement de millions d’Ukrainiens dans et en dehors d’Ukraine, du bombardement délibéré d’infrastructures civiles ou des abris où tentent de survivre des innocents. La liste des horreurs commises est longue et tragique.

Nous ne devons pas nous y habituer et nous ne pouvons l’accepter.
Des limites morales ont été franchies, dont témoignent la gravité des crimes commis contre les civils ukrainiens, que nos enquêteurs sur place ont aidé à documenter.

Malgré sa brutalité, la Russie, qui pensait mener une guerre éclair, a échoué : Kiev n’est pas tombée comme elle l’avait prévu et ses troupes reculent à l’est.

C’est donc un échec militaire dans lequel l’Ukraine, quatre fois moins peuplée, a su résister puis reprendre l’initiative et reconquérir des territoires importants, comme la région autour de Kherson ou la ville de Kharkiv. Si la Russie avance autour de Bakhmout, c’est au prix de huit mois d’efforts et avec des pertes importantes, qui se comptent en dizaine de milliers d’hommes. Ses militaires n’ont pas d’équipements adéquats, les désertions dans l’armée sont fréquentes et l’appel à la conscription crée des craintes dans la population.

C’est le moment pour les Européens de faire un effort supplémentaire dans l’aide à apporter à l’Ukraine, car c’est de l’échec de l’agression russe que viendra la paix.

Q - La France va-t-elle accentuer son soutien à l’Ukraine et, si oui, sous quelle forme ? Pourrait-elle livrer les avions demandés par Volodymyr Zelensky ?

R - Ni la France ni ses alliés ne sont en guerre contre la Russie.
La France aide un pays agressé à se défendre, ce qui est conforme au droit international. La souveraineté des États et l’intangibilité des frontières en sont les fondements. La Russie les a violés et il est donc logique d’aider le pays agressé pour qu’il exerce son droit à la légitime défense.

Ce dont l’Ukraine a besoin aujourd’hui c’est de l’artillerie, des munitions, des défenses aériennes. Comme vous le savez, 18 Canons Caesar ont été livrés et 12 autres le seront d’ici la fin du mois de février, comme des chars de combat AMX-10 et des munitions pour les batteries de défense aérienne.

La France joue également un rôle dans le domaine de la formation : sur les 15.000 soldats ukrainiens qui seront formés par l’UE, elle en formera au moins 2.000 dans un premier temps. Une partie des formations s’effectuera en France et une autre en Pologne, via le déploiement de 150 militaires français, avec pour objectif de former 600 soldats ukrainiens chaque mois.

Ce propos sur la formation européenne me donne l’occasion d’ajouter un propos plus global : il y a un an la Russie misait sur la prétendue faiblesse des Européens. Depuis un an, sous la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, tchèque puis suédoise, l’Union européenne reste soudée dans son soutien à l’Ukraine. Des sanctions économiques sans précédent ont été adoptées pour entraver l’effort de guerre russe, désorganiser son industrie d’armement et lui empêcher l’accès à des technologies de pointe. En quelques mois, les pays européens sont sortis de leur dépendance au pétrole et au gaz russe. La Russie qui pensait diviser l’Europe s’est lourdement fourvoyée.

Q - La France souhaite-t-elle, parallèlement, maintenir un dialogue avec Vladimir Poutine ?

R - Il est utile de maintenir un canal de communication avec la Russie. Pourquoi ? Pour que Vladimir Poutine n’entende pas que les courtisans qui lui disent que tout va bien, pour lui dire notre façon de voir les choses et qu’il comprenne notre détermination.

Sur la question des installations nucléaires de Zaporijjia, cela a été utile puisque suite à plusieurs échanges cet été, cela a permis aux inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique d’avoir accès à la centrale pour en préserver la sûreté.

Q - Quelles conditions devront être réunies pour parvenir à la paix ?

R - Pour la paix, il revient aux Ukrainiens et à eux seuls d’apprécier quand le moment sera arrivé et les modalités pour y parvenir.

Ces conditions ne sont pas réunies aujourd’hui. Si le Président Zelensky a présenté un plan de paix en dix points, plan que nous soutenons, la Russie ne donne aucun signe de vouloir engager des négociations de bonne foi.

Ce qui est certain c’est que la Russie doit échouer, on ne peut pas accepter le recours illégitime à la force car la sécurité de tous en serait mise en danger.

Q - Quel a été l’effort consenti par la France depuis le début de la guerre en Ukraine ?

R - La défaite de l’Ukraine ne ferait qu’apporter plus de crises et plus d’instabilité, car elle donnerait à penser aux agresseurs potentiels qu’ils peuvent avoir gain de cause. Le soutien à l’Ukraine est donc un devoir moral mais aussi dans notre intérêt. Notre solidarité s’exprime dans tous les domaines.

Les efforts ont été considérables et nous pouvons en être fiers. Les Français ont remarquablement joué le jeu. Les régions et les collectivités territoriales ont été nombreuses à participer à cet élan.

Nous avons parlé de l’aide militaire. Elle est essentielle. Mais notre aide est aussi civile. Plus de 40 opérations réalisées par le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (CDCS) depuis le 24 février, portant à plus de 2 700 tonnes la quantité d’aide acheminée. Aide médicale, aide économique, aide alimentaire, déminage, soutien aux déplacés : nous sommes présents dans tous les domaines.

C’est souvent très concret. Comme la Russie frappe les capacités ukrainiennes dans le domaine de l’électricité, nous avons livré d’ores et déjà 196 générateurs de grande puissance. Lorsque l’Ukraine a libéré des territoires et découvert des crimes odieux, nous avons déployé des enquêteurs et offert des laboratoires d’analyse ADN. En bref, nous partons des besoins pour agir vite et fort.

Et cette aide concerne aussi le territoire national avec l’accueil des réfugiés : plus de 100.000 Ukrainiens ont été accueillis chez nous dans le cadre de la protection temporaire, dont plus de 20.000 enfants et étudiants qui partagent avec les jeunes Français les bancs de nos écoles.