Intervention de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, au Conseil de sécurité des Nations unies (22 septembre 2022)

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Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la France.

Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Procureur de la Cour pénale internationale,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec un profond sentiment de gravité que je prends la parole lors de cette réunion du Conseil de sécurité consacrée à l’Ukraine, et plus particulièrement aux crimes qui y sont commis.

L’agression que la Russie a décidé, seule, de mener contre un État souverain, l’Ukraine, qui n’a eu le tort que de vouloir vivre libre, constitue une violation flagrante des normes fondamentales de notre Charte commune, la Charte des Nations unies. Le non-recours à la force, le règlement pacifique des différends, le respect de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale, sont des principes auxquels nous avons tous souscrit, autour de la table de ce Conseil. Ils ont été, chacun d’entre eux, ouvertement violés.

La guerre qui a débuté le 24 février dernier s’accompagne aussi d’exactions et de destructions d’objectifs civils. Il s’agit d’autant de violations des lois de la guerre et d’autant d’actes dont il faudra rendre compte. À Boutcha ou à Tchernihiv et dans tant d’autres lieux, des crimes insoutenables ont été perpétrés. La libération d’Izioum s’accompagne elle aussi de la découverte de nouvelles atrocités commises par les tortionnaires.

Alors, le message de la France aujourd’hui est simple : la justice doit être notre impératif commun ; il n’y aura pas de paix sans justice.

La justice est bien sûr un impératif pour les victimes, qui ont droit à la reconnaissance et à la réparation de leurs souffrances. Toutes les souffrances, de chaque victime.

La justice est ensuite un impératif de sécurité internationale et je le dis à ceux qui ne voient dans cette guerre qu’un simple conflit de plus : si tout est permis ici, tout le sera davantage ailleurs, et la possibilité d’une guerre d’agression ne fera que croître.

La justice, enfin, est un impératif politique. Nous aurons, il le faudra, à nous assurer que des individus rendent compte des crimes dont ils sont responsables, qu’ils les aient commis, ordonnés ou planifiés. Mais c’est l’idée même que soient possibles de tels crimes, de telles atteintes à notre humanité commune, qui doit être combattue en paroles et en actes.

Pour cela, un cadre a été posé, celui d’une justice professionnelle et spécialisée. À son sommet, la Cour pénale internationale a été saisie par 43 États, dont la France. C’est la première fois qu’autant d’États réfèrent une situation à la Cour, signe de l’importance que nous attachons collectivement à ce qui se joue ici. La Cour elle-même agira, vous le savez, en complémentarité avec la justice ukrainienne ainsi qu’avec les autres juridictions nationales saisies, au nombre desquelles les juridictions françaises et celles de plusieurs États aujourd’hui présents.

Dans ce cadre, la justice doit passer. La France travaille donc, avec de nombreux autres partenaires, à renforcer dans l’ensemble de ces juridictions la collecte de preuves et le recueil d’informations fiables.

C’est pourquoi la France a agi très concrètement. Dès que les informations sur les crimes commis à Boutcha ont été connues, au mois d’avril dernier, nous avons dépêché en Ukraine deux équipes d’enquêteurs. Ils ont, pendant trois mois, aidé la justice ukrainienne à établir minutieusement et patiemment les faits ; puis nous avons fait don d’un laboratoire mobile d’analyse ADN. Maintenant qu’à Izioum de nouvelles atrocités ont été révélées à la face du monde, nous venons de décider d’envoyer une nouvelle mission d’appui aux enquêteurs sur place. Car là où la Russie agit par la désinformation et la propagande, la justice, elle, doit s’appuyer sur des faits.

Notre soutien s’étend bien évidemment à la Cour pénale internationale. Il est à la fois financier et humain par la mise à disposition de magistrats et d’enquêteurs à son bénéfice, dans le plus grand respect de son indépendance.

Notre soutien enfin, s’étend à l’ensemble des juridictions qui doivent pouvoir facilement coopérer entre elles. Ainsi, le règlement d’EUROJUST a-t-il été modifié sous présidence française du Conseil de l’Union européenne, pour permettre à la Cour pénale internationale de participer aux équipes communes d’enquêtes réunissant plusieurs juridictions nationales, dont celles de l’Ukraine.

Ce que nous faisons a du sens. Il s’agit de la lutte contre l’impunité, mais il s’agit aussi de l’intégrité de notre ordre international.

Le choix de la guerre par la Russie sous de faux prétextes, sa manipulation grossière d’une notion aussi lourde que celle de « génocide », qui constitue le « crime des crimes », celui qui a justifié après la Seconde Guerre mondiale qu’avance le projet d’une justice pénale internationale, interpellent profondément. La Cour internationale de justice elle-même a relevé le caractère abusif de cette fausse affirmation.

La même manipulation est à l’œuvre lorsqu’on parle de référendums dans des territoires conquis par la force et soumis à la terreur. Ou lorsque certains nous menacent de tous les moyens, alors que nous sommes, avec d’autres, ceux qui refusons de participer à quelque escalade que ce soit.

Face à ceux qui privent les mots de leur sens, notre mission, notre devoir, notre travail, autour de la table de ce Conseil, est aussi de rendre aux choses leur sens.
Je voudrais, pour conclure, citer un auteur russe. « Nous devons condamner publiquement l’idée même que des hommes puissent exercer pareille violence sur d’autres hommes. En taisant le vice, en l’enfouissant dans notre corps pour qu’il ne ressorte pas à l’extérieur, nous le semons, et dans l’avenir il n’en donnera que mille fois plus de pousses ». En écrivant ces lignes, Soljénitsyne se référait aux décennies de crimes commis par l’U.R.S.S. sur son propre territoire. Hélas, il n’y a pas un mot à en retrancher pour décrire les crimes commis aujourd’hui par la Russie hors de ses frontières.

La Cour enquête sur des faits pouvant être, selon son Procureur, constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Nous verrons ses conclusions mais dès aujourd’hui nous pouvons – et devons – dire que leurs responsables seront identifiés, poursuivis et, in fine, jugés. Le temps peut paraître long pour les victimes et leurs familles mais elles doivent avoir la certitude qu’ils ne resteront pas impunis. Nous le leur devons et il n’en va pas seulement de ce que nous leur devons, il en va de notre sécurité, et il en va aussi des principes universels qui nous lient.

Je vous remercie et je reprends mes fonctions de Présidente du Conseil et donne la parole à son excellence Monsieur Jonas Gahr Støre, Premier ministre de la Norvège.