« Luttons contre la “poutinisation” du monde » - Tribune de Jean-Noël Barrot et de David Lammy, ministre des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, publiée par « Le Figaro » (Paris, le 21 novembre 2024)
La semaine dernière, nos dirigeants se sont réunis à l’occasion des commémorations de l’Armistice. C’était la première fois depuis 1944 que des dirigeants de nos deux pays rendaient hommage ensemble à Paris à celles et ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté. Cette semaine, nous nous rencontrerons à Londres pour la première fois depuis notre nomination en qualité de ministres des Affaires étrangères, face au 4 Carlton Gardens, où le général de Gaulle installa son quartier général pendant l’occupation.
Cela fait maintenant mille jours que Vladimir Poutine a déclenché une guerre d’agression illégale en Ukraine. En provoquant sur le continent européen le plus grand conflit depuis la Seconde Guerre mondiale, il a tenté de réécrire les principes des relations internationales par le retour à la loi du plus fort et l’anéantissement de l’architecture de sécurité qui a assuré la paix pendant des générations. Tout cela, il l’a fait pour légitimer une offensive pourtant illégale et inacceptable contre un pays souverain. La France et le Royaume-Uni ne le laisseront pas parvenir à ses fins. Avec nos alliés, nous déploierons tous les efforts nécessaires afin de mettre l’Ukraine dans la meilleure position possible pour obtenir une paix juste et durable.
Ce qui se passe en Ukraine constitue la plus grande violation du principe d’intégrité territoriale de notre temps. Du bombardement des civils à l’enlèvement et à la déportation d’enfants, les violations du droit international par la Russie sont innombrables.
La sécurité de l’Europe et du monde entier est désormais menacée. Vladimir Poutine cherche à créer un précédent qui bouleverserait les règles du système international, autorisant chacun à envahir son voisin en toute impunité. En se banalisant, cette brutalité risque de compromettre la paix mondiale. La guerre en Ukraine dépassant les frontières de l’Europe, le monde entier est frappé par cette tentative de « poutinisation ». La Corée du Nord exploite sa relation avec la Russie pour affûter ses armes dans le but de déstabiliser le reste de l’Asie, notamment son voisin du Sud. L’Iran se durcit en fournissant à la Russie drones et missiles, sans abandonner son programme nucléaire, au détriment de la stabilité dans toute la région.
La France et le Royaume-Uni, deux nations fondatrices de l’ONU et membres permanents du Conseil de sécurité, lutteront sans relâche contre cette campagne de « poutinisation ». Le passé nous l’enseigne : les relations internationales doivent reposer sur la justice. Aucune paix juste et durable ne peut être obtenue par la violence ou par la force.
Ainsi, nous avons condamné les attentats terroristes barbares perpétrés par le Hamas et d’autres groupes terroristes le 7 octobre 2023 et nous avons sanctionné leurs auteurs. Nous continuons d’appeler à un cessez-le-feu à Gaza, à la libération de tous les otages, au renforcement de l’aide humanitaire et à l’arrêt des activités violentes des colons en Cisjordanie, dans l’intérêt des Israéliens et des Palestiniens. La question palestinienne ne se réglera pas tant qu’une solution à deux États, assortie d’une reconnaissance mutuelle et de garanties de sécurité, ne sera pas mise en oeuvre.
Seule la diplomatie permettra de faire advenir la paix et la sécurité en Israël et au Liban. Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et à une solution politique conforme aux principes de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, et réitérons notre plein soutien à la Finul. La poursuite des violences, les pertes civiles et les déplacements de populations qu’elles provoquent risquent de plonger le pays et la région dans le chaos.
Face à toutes les crises, nos deux pays sont unis en faveur du droit international humanitaire. Nous l’avons encore prouvé cette semaine en défendant une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour la protection des civils au Soudan, théâtre d’une crise sans précédent. La Russie, seule nation à avoir mis son veto, a catégoriquement rejeté cette résolution.
Dans ces circonstances difficiles, nous pensons que les problèmes mondiaux appellent des réponses multilatérales. Dans le prolongement du sommet de Bletchley Park sur IA, qui s’est tenu l’année dernière, nous œuvrerons conjointement à la réussite du sommet pour l’action sur l’IA qui aura lieu à Paris en février prochain. Nous devons relever ses défis et tirer profit des perspectives offertes, tout en réduisant la fracture numérique.
La protection des populations passe aussi par la préservation de la planète. Nous intensifierons notre action contre le changement climatique en poursuivant la mise en œuvre de l’accord de Paris. Dix ans après son adoption, nous continuerons à nous mobiliser pour atteindre le plus haut niveau d’ambition possible, dans la perspective de la COP30 de Belém. Les océans sont les poumons de notre planète.
Après l’adoption du traité BBNJ, nous devons poursuivre nos efforts en prévision de la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui se tiendra à Nice en juin prochain.
Face aux crises et aux défis, plus d’un siècle après la signature de l’Entente cordiale, le même esprit unit nos deux pays. Nous travaillons au développement de nos relations bilatérales et à des relations renforcées entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Nous proposons une alternative cohérente à la « poutinisation » et à la fragmentation du monde, fondée sur le progrès technologique, le droit international et l’action multilatérale. La communauté internationale peut compter sur nous pour défendre ces principes.
Informations complémentaires
- Instantanés diplomatiques
- Documents de référence