« Paris aux côtés d’Athènes chaque fois que de besoin » : entretien de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, avec le quotidien « Kathimérini » (Athènes, 6 septembre 2022)

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Q - Pour la France, la Méditerranée orientale est une région importante qui réserve des opportunités d’envergure mais aussi de grands défis, d’un intérêt européen élargi. Quelle est l’amplitude du partenariat stratégique entre la Grèce et la France, en particulier dans le secteur délicat de la défense ?

R - La relation bilatérale entre la Grèce et la France est exceptionnelle, ses racines culturelles et civilisationnelles sont anciennes, elles sont aujourd’hui profondes et solides dans tous les domaines. Le partenariat stratégique signé par le président de la République, Emmanuel Macron et le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, il y a un an, a permis de l’enrichir. En matière de défense, ce partenariat instaure une coopération étroite entre nos forces armées qui bénéficiera à nos alliés, et je me réjouis du choix grec d’équipements militaires français, qui promet une interopérabilité accrue pour les années à venir. C’est une grande satisfaction de constater que, face aux nombreux défis qui sont les nôtres, Paris et Athènes partagent très souvent les mêmes approches et tendent toujours vers plus de solidarité et plus d’unité, au sein de l’Union européenne. J’ai déjà pu en discuter avec Nikos Dendias, à Paris, en juillet dernier, et nous étions convenus de poursuivre nos échanges à Athènes.

Q - Juste avant de vous rendre à Athènes, vous avez voyagé à Ankara. Comment comprenez-vous le choix de la Turquie, un pays membre de l’OTAN, de lancer systématiquement des menaces contre la souveraineté nationale de la Grèce ? Elle n’a pas abandonné cette attitude malgré le front actif de l’alliance occidentale en Ukraine. Quels sont les messages que vous avez voulu faire passer aux autorités turques ?

R - Je crois essentiel, dans le contexte de la guerre en Ukraine, de renforcer le dialogue avec tous les pays qui peuvent jouer un rôle utile dans cette crise, et la Turquie en fait incontestablement partie. C’est le sens du déplacement que j’ai fait à Ankara et Istanbul, qui m’a aussi permis d’aborder les sujets incontournables relatifs à la stabilité dans notre voisinage commun, dont la Méditerranée orientale.
Sur certains sujets, l’attitude turque interroge et il est normal et utile, avec un pays allié et voisin, d’entretenir un dialogue ouvert, qui permet de parler de tout. Je tiens à redire, comme la France l’a déjà exprimé à de nombreuses reprises, y compris par la voix du président de la République, que la France est toujours très claire et solidaire dès qu’il s’agit des atteintes à la souveraineté de la Grèce et cela ne changera pas.

Q - S’agissant de la question des migrants, la Turquie porte une lourde charge. Toutefois, elle s’en sert en même temps – souvent selon des pratiques illégales – comme un instrument politique dans ses relations avec l’Europe. Où est-ce que vous mettez l’accent dans la gestion de la question migratoire, une question ayant également un lourd impact tant social que politique en fin de compte, dans tous les pays européens ?

R - Lors de la présidence du Conseil de l’Union européenne, la France a fait progresser la réponse européenne au phénomène migratoire – car celle-ci ne peut être que commune aux 27 pays membres. Nous sommes déterminés à agir sur plusieurs fronts : d’abord celui de la solidarité avec des mesures pour soulager les États membres qui sont en première ligne en matière d’accueil ; ensuite, celui d’une meilleure coopération menée avec les pays d’origine et de transit ; et enfin celui d’une meilleure protection de nos frontières, avec un filtrage obligatoire pour les demandeurs d’asile qui entrent dans l’Union.

Nous devons aussi faire face lorsque des pays, comme la Biélorussie ou la Turquie, vous avez raison, tentent d’utiliser les flux migratoires comme un moyen de déstabiliser l’Union européenne. Nous sommes résolus à être d’une totale fermeté face à ceux qui font de la misère humaine une arme politique.

Q - L’Europe se retrouve devant un hiver difficile de crise énergétique et de hausse des prix , ce qui est largement imputable à la crise ukrainienne. Est-ce que la stratégie géopolitique de l’Europe pourra faire face aux conséquences économiques de cette crise ? En tout cas, est-ce que vous entrevoyez un scenario de désengagement de l’Ukraine dans un délai raisonnable ?

R - Vous le savez, la France est favorable à une Europe plus souveraine, une Europe qui protège ses citoyens, ses intérêts et ses valeurs. Durant notre présidence, l’Europe a progressé en ce sens, et ce travail se poursuit sous présidence tchèque. Il y a la même volonté de faire face ensemble à la crise énergétique actuelle, en diversifiant nos sources d’approvisionnement, en limitant notre consommation de gaz de façon coordonnée, et en accélérant la transition verte. Vous avez raison, l’agression russe contre l’Ukraine a entrainé une hausse des prix de l’énergie qui alimente l’inflation dans l’ensemble des États membres de l’UE. Là encore, l’Europe est prête à agir notamment en réformant en profondeur le marché de l’électricité, comme l’a demandé le président de la République, Emmanuel Macron.
Nous sommes confrontés à une Russie qui fait de l’énergie, de l’alimentation et de l’information des armes à part entière de sa stratégie d’agression.
Nous savons que la défense de nos valeurs et de nos principes, en temps de guerre, peut avoir un prix mais elle correspond à notre intérêt profond.
Nous savons aussi que la guerre en Ukraine risque de s’installer dans le temps long.
Dans tous les cas nous devons, entre Européens, préserver notre plus grand atout qui est l’unité. C’est pourquoi nous devons rester solidaires, comme nous l’avons fait dans le passé pour la Grèce, par exemple pendant la crise de l’euro.

Q - Récemment, Total Énergies s’est retirée des recherches en hydrocarbures au large de la Crète puisque, désormais, elle s’intéresse davantage aux énergies renouvelables. Étant donné la décision d’un affranchissement total du gaz russe, pensez-vous que l’Europe a le luxe de tourner le dos à d’autres sources potentielles de combustibles fossiles ? La question se pose également pour le cas de l’énergie nucléaire.

R - Je peux difficilement commenter la décision d’une entreprise d’un groupe privé. D’une manière globale, nous devons changer notre fusil d’épaule : réduire notre dépendance énergétique, développer les énergies renouvelables et le nucléaire. J’ajoute que le développement du renouvelable ou de l’hydrogène ne doit pas créer de nouvelles dépendances. Nous soutenons donc prioritairement les énergies renouvelables produites au sein de l’Union européenne et la Grèce figure en bonne position dans ce contexte.
Il faut faire preuve de réalisme et de pragmatisme. Cette transition peut prendre du temps et il est impossible de demander à l’ensemble de l’Europe de ne plus utiliser de gaz d’un jour à l’autre, ce qui justifie notre stratégie de diversification de nos approvisionnements pour réduire notre dépendance à l’égard de la Russie le plus rapidement possible.

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