Discours de Mme Catherine Colonna sur l’Indopacifique à bord de la frégate de surveillance Prairial (15 avril 2023)

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Seul le prononcé fait foi

Commandant,

Je vous remercie de votre accueil à bord de la frégate Prairial. Cette escale en République de Corée fait suite à un long périple, depuis la Polynésie française où vous êtes basé, périple qui n’a pas été de tout repos pour vous et votre équipage. Je salue votre engagement à toutes et à tous au service de notre pays.

La présence de notre Marine si loin de la métropole, mais dans une région stratégique pour nos intérêts de sécurité, n’a rien d’exceptionnel. Ces eaux, la Marine nationale les connait, la France les connait. Aussi, notre rencontre ce jour à bord du Prairial ne doit rien au hasard. Elle me donne l’occasion de partager avec vous quelques messages.

Mon premier message, c’est celui de la solidarité de la France avec la Corée.

Alors que nous approchons du 70ème anniversaire de la fin de la guerre de Corée, je veux dire à nos amis coréens qu’ils peuvent compter sur l’engagement de la France à leurs côtés, aujourd’hui et demain tout autant que par le passé. Nos deux pays sont unis par l’Histoire. Ils partagent une même vision du monde, fondée sur un même attachement à la démocratie, aux droits de l’Homme, à leur indépendance sans aucun doute, mais aussi à l’indépendance de tous les pays dans le cadre du système multilatéral des Nations Unies.

Face à la fuite en avant de la Corée du Nord, face au développement illégal de ses programmes nucléaire et balistique, nous nous tenons aux côtés de la Corée du Sud.
Nous ne transigerons pas sur l’impératif d’une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la Corée du Nord. Et nous continuerons de mobiliser nos moyens diplomatiques et militaires, comme la frégate Prairial, pour faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité, qui s’imposent à tous.

Cette menace venue du Nord s’inscrit dans un contexte de montée des tensions et de profonde remise en cause de l’ordre international fondé sur le droit.

C’est particulièrement vrai dans l’Indopacifique. Mon deuxième message concerne cette partie du monde.

Je n’ai pas besoin de rappeler ici l’importance de cet espace pour la France, qui est le seul État européen à y avoir des territoires, dans l’océan Indien comme dans l’océan Pacifique, avec la deuxième zone économique exclusive du monde par sa superficie, et des moyens de souveraineté permanents appelés à se renforcer significativement dans les années à venir, aux termes du projet de loi de programmation militaire.

La guerre d’agression russe en Ukraine ne nous détourne en rien de l’Indopacifique. Et il importe que les pays de l’Indopacifique ne se détournent pas non plus de la guerre en Ukraine, en considérant qu’il s’agirait d’une crise exclusivement européenne. Tout est lié. Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de veiller au respect des principes les plus fondamentaux de la charte des Nations Unies, de notre charte commune : la souveraineté et l’intégrité territoriale des États.

Laisser aujourd’hui la Russie bafouer impunément ces principes en Europe, c’est créer un précédent. Comme le Président de la République l’a rappelé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, si une agression est récompensée, une autre se produira ailleurs et personne ne sera en sécurité.

C’est bien l’ordre international fondé sur le droit qui est en jeu. Sa préservation est au cœur de la stratégie Indopacifique adoptée par la France en 2018, avec la protection des biens publics mondiaux, au premier rang desquels le climat et l’environnement.

Le parcours de la frégate Prairial et ses missions en sont une parfaite illustration. Elle a d’abord mené une mission de lutte contre la pêche illégale, au profit du Forum des îles du Pacifique. Elle s’est exercée avec les garde-côtes philippins et la Marine de notre partenaire stratégique vietnamien. Elle a effectué ensuite une formation, au profit de la Marine cambodgienne, avant de rejoindre la Corée du Sud par le détroit de Taiwan, par lequel elle a transité il y a quelques jours, comme d’autres bâtiments français le font en mer de Chine méridionale, conformément au droit de la mer.

Pour la France, la préservation d’un espace indopacifique libre et ouvert, prospère et respectueux des biens communs, passe à la fois par le respect du droit et par la recherche de coopérations aussi inclusives que possibles, avec tous.

La France est profondément attachée à son autonomie stratégique, qu’elle met au service de celle des autres, dans une logique de partenariat entre puissances responsables, attachées à la stabilité et au droit. Notre objectif, selon la formule du Président de la République, est que tous les États puissent disposer de la liberté de leur souveraineté.

C’est le cœur de notre partenariat stratégique avec l’Inde, qui fête cette année ses 25 ans. C’est aussi le sens du partenariat stratégique que nous sommes en train de construire, brique après brique, avec l’Indonésie. C’est encore le sens des coopérations que nous recherchons avec le Japon, dans le cadre de notre partenariat d’exception. Et c’est ce que nous aspirons à faire avec la République de Corée, dont je salue l’ambition pour l’Indopacifique, dans laquelle nous nous retrouvons pleinement.

Nous sommes profondément attachés à la préservation de la paix et de la stabilité dans la région. C’est le cas face aux tensions maritimes dans la zone, c’est le cas aux frontières de notre partenaire stratégique indien, et c’est le cas aussi s’agissant de Taiwan. A ce sujet, la France s’en tient à sa politique, rappelée par le Président de la République, celle du maintien du statu quo. Nous sommes opposés à toute modification unilatérale du statu quo, ainsi qu’à tout recours à la force dans le détroit. Cette approche, c’est celle de l’ensemble de nos alliés européens, comme des Etats-Unis.

Puisque je mentionne l’Europe, c’est l’occasion de rappeler ici, dans cette région du monde, comme nous l’avons fait la semaine dernière en Chine, que la France a l’ambition de jouer un rôle moteur au service d’une Europe puissance qui porte un modèle et une vision qui lui sont propres.

C’est particulièrement vrai dans l’Indopacifique.

Dans cet espace, la France a œuvré à ce que l’Union européenne se dote d’une stratégie ambitieuse qui consiste à renforcer les capacités de ses partenaires, à développer des relations commerciales équitables, à soutenir des projets répondant aux standards les plus élevés et qui ne créent pas de liens de dépendance, à promouvoir, enfin, les valeurs universelles, car il y a bien des valeurs universelles.

Notre conviction, c’est que l’Union européenne apporte sa propre valeur ajoutée dans l’Indopacifique, à travers une approche multidimensionnelle, qui dépasse les seules considérations sécuritaires. Cette approche globale est la seule à même de renforcer la résilience de la région face aux défis sécuritaires, mais aussi environnementaux, économiques et sociaux auxquels nous faisons face.

C’est tout l’objectif de l’initiative européenne Global Gateway, qui doit permettre d’accélérer les transitions écologique, énergétique et numérique des pays partenaires, tout en améliorant la connectivité avec l’Europe.

Dans ce cadre, la France, comme je le crois l’Union européenne, a clairement à cœur de maintenir une approche équilibrée à l’égard de la Chine. C’est-à-dire : ne pas être naïf sur les dimensions de rivalité systémique et de compétition, et donc défendre rigoureusement ses intérêts stratégiques, mais avec l’objectif de parvenir à une relation constructive et coopérative, là où cela est possible. C’est le triptyque européen sur la Chine. Il demeure pertinent même alors que celle-ci s’affirme de plus en plus.

Car comment imaginer résoudre les grands défis du monde sans la Chine ? On ne le pourra pas sans elle, sur le climat ou la santé par exemple, mais plus globalement. Comment avancer sans chercher à bâtir avec elle un agenda positif, sans chercher des convergences, y compris – et même peut-être surtout – sur les sujets où nous nous pourrions diverger ? Nous voulons avec elle un dialogue exigeant, franc, direct mais ouvert.

Cette stratégie européenne en Indopacifique, qui rejette toute logique de confrontation de blocs, a de fortes convergences avec l’approche de la République de Corée et avec l’ASEAN Outlook on the Indopacific, qui porte également une approche inclusive et coopérative. A la suite de notre accession au statut de partenaire de développement de l’ASEAN et d’observateur de l’ADMM+ en 2022, nous sommes déterminés à coopérer davantage avec cette organisation centrale dans l’Indopacifique.

Notre stratégie est aussi pleinement en phase avec la Stratégie 2050 du Forum des îles du Pacifique, auquel appartiennent les territoires français de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Nous avons multiplié cette année par deux et demi nos moyens d’intervention dans le Pacifique Sud cette année, précisément pour répondre aux priorités du Forum en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de l’environnement. Et ce n’est qu’un début. Avec notre partenaire australien notamment, nous travaillons à une nouvelle feuille de route bilatérale dont la dimension Pacifique sera centrale.

Je me réjouis que la République de Corée fasse également de sa coopération avec l’ASEAN et avec le Forum des îles du Pacifique une priorité, dans le cadre de sa stratégie « pour une région indopacifique libre, pacifique et prospère ». Je suis frappée par les fortes convergences entre nos approches, que j’ai constatées lors de mes entretiens hier avec les autorités coréennes. Un des objectifs de ma visite est précisément de définir avec les autorités coréennes comment, en nous appuyant sur ces convergences, nous pouvons coordonner nos efforts, et même mener des projets conjoints.

Vous le voyez, malgré le retour de la guerre en Europe, la France est plus que jamais consciente que son avenir et celui de l’Union européenne se jouent largement dans l’espace Indopacifique. Et la France est plus déterminée que jamais à y faire entendre une voix singulière, pour chercher à apaiser les tensions régionales, à préserver la stabilité, à promouvoir les valeurs universelles et à coopérer pour faire face aux grands défis mondiaux.

Vive la France, vive la République de Corée, vive l’amitié franco-coréenne.

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