Chine - Conférence de presse conjointe de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, avec son homologue Wang Yi - Propos de Catherine Colonna (Pékin, 24 novembre 2023)
Monsieur le Directeur, Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Merci de votre présence. Je remercie le ministre de son accueil et de nos échanges. Je suis à Pékin pour mettre en œuvre la décision prise par le président de la République française et le Président Xi, lors de la visite d’État d’avril dernier, de relancer les échanges entre la France et la Chine, qui avaient été durement affectés par trois ans de pandémie.
Vous savez que depuis 1964, la relation franco-chinoise a toujours suivi sa propre voie. Nous partageons une même volonté de nous appuyer sur les liens entre nos peuples, fondés sur un profond respect mutuel pour nos civilisations, vous l’avez rappelé, Monsieur le Ministre ; fondés aussi sur notre esprit d’indépendance, et nous cherchons à créer des convergences qui soient utiles au monde. Je crois qu’il en a bien besoin.
Pour cela, il faut se connaître, - et on ne se connaît pas dans le repli sur soi. Je voudrais rappeler le message du général de Gaulle qu’André Malraux avait relayé au Premier ministre Zhou Enlai, -nous parlons là de l’été 1965, un an après sa décision si importante, historique, entre nos deux pays- : « ne pas s’en tenir au plan diplomatique, mais au contraire passer au plan des rapports de peuple à peuple » car « il fallait d’abord que les peuples se connaissent ».
C’est fidèles à cet esprit et conscients de cet héritage, que le ministre Wang Yi et moi-même avons travaillé et travaillons à la pleine relance des échanges entre nos jeunesses, nos créateurs, nos entrepreneurs, nos artistes, nos chercheurs, nos penseurs. Parce que nos sociétés doivent se connaître mieux, doivent continuer de se nourrir l’une de l’autre. C’est tout l’objectif du dialogue sur les échanges humains que nous venons de conclure.
Le bilan de ce dialogue est riche. Depuis la visite d’État d’avril, nous avons relancé nos programmes de soutien à la mobilité étudiante et aux chercheurs, à travers le Partenariat Hubert Curien - Cai Yuan Pei ; nous avons aussi renouvelé nos conventions de coopération pour la protection du patrimoine ou encore œuvré à la mise en œuvre du baccalauréat français international, section de langue chinoise. À ces progrès, accomplis depuis avril, et très vite, certains remontent au mois de mai, s’ajoute aujourd’hui la signature de cinq accords relatifs à la coopération éducative, à l’enseignement supérieur, à la recherche, à la culture et à la santé.
Dans chacun de ces domaines, la mobilité est la clé. Mon message à notre partenaire chinois est assez simple en vérité vous êtes les bienvenus en France. Nous allons faire en sorte de mieux vous accueillir : les liaisons aériennes vont continuer d’augmenter progressivement, et nous allons délivrer les visas plus vite, dans de meilleures conditions. Je sais que vous y êtes tout particulièrement attentifs.
Nous nous occuperons notamment des étudiants, dans ce cadre. Les étudiants chinois forment la troisième communauté étudiante en France. Ils sont plusieurs dizaines de milliers. Je note d’ailleurs qu’ils sont presque aussi nombreux qu’ils l’étaient en 2019 ; ce qui est encore loin d’être le cas des étudiants français en Chine, qui étaient 10.000, et qu’ils ne sont que quelques centaines aujourd’hui. Nous sommes donc convenus de faire des efforts de part et d’autre pour que, le plus rapidement possible, les étudiants français viennent plus nombreux en Chine. Je vous remercie par ailleurs très vivement, Monsieur le Ministre, de la décision que vous avez annoncée d’exempter de visa les Français qui souhaiteraient venir en Chine pour des courts séjours, des séjours inférieurs à 15 jours. C’est un geste fort et une décision qui va grandement contribuer à accroître les mobilités croisées et nos échanges humains.
De notre côté, nous avons décidé de faire un geste important aussi à l’attention des étudiants chinois : désormais, tous les ressortissants chinois ayant effectué en France des études de niveau master se verront délivrer des visas de circulation de la durée maximale, soit jusqu’à de cinq ans, à l’issue de leur parcours académique, pour faciliter les allers et retours qu’ils pourraient souhaiter faire entre la Chine et la France.
Cette visite clôt huit mois de contacts très denses et à tous les niveaux, pour préparer le 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, que nous célébrerons l’an prochain. 2024 sera aussi l’année franco-chinoise du tourisme culturel, l’année aussi bien sûr des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Nous avons eu des projets emblématiques qui ont été dévoilés, cet après-midi, avec par exemple la reproduction de Notre-Dame de Paris en glace au festival de Harbin, en janvier, ou avec l’exposition sur le château de Versailles et la Cité interdite, ici, ou encore la tournée en Chine de la Comédie-Française.
Au-delà des échanges humains, notre relation bilatérale s’inscrit dans le cadre fixé par l’Union européenne, en particulier sur les plans stratégique et économique. Nous avons, je crois, en partage, la notion d’autonomie stratégique, nous en avons parlé lors de nos entretiens. Et cet attachement à l’autonomie stratégique implique, là aussi, doit nous inciter à œuvrer à une relation équilibrée pour un bénéfice mutuel. Nous tenons à cette approche européenne unifiée et cohérente, que portera prochainement le sommet Union européenne-Chine, dont nous nous réjouissons qu’il se tienne bientôt, mais aussi qu’il se tienne en présentiel, après des années qui nous ont trop empêchés de nous rencontrer.
Naturellement, et permettez-moi d’en dire un bref mot, même si ce sera dans la suite de nos entretiens que nous parlerons des questions internationales, nous souhaitons avoir un dialogue approfondi avec la Chine sur les enjeux globaux, bien sûr, mais aussi sur les grandes crises que traverse le monde, un monde marqué par trop de désordres, par trop de fragmentations, par des rivalités qui parfois s’expriment d’une façon trop belliqueuse. Nous voulons coopérer avec la Chine pour apporter des réponses.
Je voudrais mentionner trois dossiers :
D’abord, la guerre d’agression russe en Ukraine qui se poursuit. La France souligne à nouveau combien sa coopération avec la Chine est essentielle pour favoriser une paix juste et durable, une paix conforme au droit international, conforme aux principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, qu’il faut mettre en œuvre. Nous avons beaucoup apprécié, Monsieur le Ministre, les contacts entre autorités chinoises et autorités ukrainiennes, qui permettent là aussi de mieux se comprendre, dans la continuité de l’appel téléphonique entre le président Xi Jinping et le président Volodymyr Zelensky, au mois d’avril dernier.
Nous encourageons la Chine à continuer ses travaux sur le plan de paix ukrainien, travaux qui se poursuivent et qui reposent sur un document qui, en plusieurs points, ressemble de près aux principes que la Chine avait énoncés au début de cette année, au mois de février. Nous comptons sur la vigilance des autorités chinoises pour qu’aucune structure en Chine, notamment privée, ne contribue de manière directe ou indirecte à l’effort de guerre illégale de la Russie en Ukraine. Nous en parlons régulièrement, y compris au plus haut niveau, le Président de la République le fait avec le président Xi Jinping.
Notre dialogue sur le comportement de la Corée du Nord est également important, Monsieur le Ministre, et tout particulièrement dans ces moments où nous voyons que la Corée du Nord cède à la tentation de nourrir une guerre illégale par des livraisons d’armes, et contribue ainsi à la guerre d’agression russe, malheureusement. C’est une source de préoccupation pour la France. Si je l’évoque, c’est parce que je veux réaffirmer, le Président de la République l’avait fait au mois d’avril, que ce qui se passe en Ukraine est une menace directe à nos intérêts de sécurité, tant européens que nationaux, et que nous craignons en particulier que des contreparties russes au bénéfice du régime nord-coréen servent ses activités déstabilisatrices dans la région, au mépris des résolutions du Conseil de sécurité, au mépris des équilibres que nous cherchons, les uns, les autres à maintenir dans le monde. Ce n’est dans l’intérêt de personne.
Et nous évoquerons, nous avons commencé de le faire, la situation au Proche-Orient. Notre dialogue, et même notre coopération sera utile, j’en suis convaincue, pour que non seulement soit condamné le terrorisme, un défi qui nous concerne tous, car il ne sévit pas qu’au Proche-Orient et ne concerne pas qu’Israël. Tout État a le droit de se défendre. Il faut coopérer pour lutter contre le terrorisme, pour ce qui s’est passé ne puisse pas recommencer. Tous les otages, bien sûr, doivent être libérés, faut-il le dire. Dans le même temps, il est essentiel que le droit international soit appliqué, là, comme ailleurs, -et vous m’avez entendue parler sur les autres dossiers de l’importance du respect du droit international, en particulier le droit international humanitaire. Ce n’est pas toujours le cas. Nous insistons, et depuis plusieurs semaines, pour qu’une trêve humanitaire immédiate puisse être observée, qu’elle soit, si possible, durable, que les blessés puissent être soignés, que l’aide humanitaire arrive et permette de soulager les souffrances des civils palestiniens à Gaza. Nous le disons depuis des semaines, avec la très grande majorité de la communauté internationale, et je voudrais remercier la Chine, devant vous, comme je l’ai fait dans nos entretiens, d’avoir participé à la Conférence humanitaire pour la population civile de Gaza, réunie à Paris, le 9 novembre.
Nous évoquerons aussi la situation en Asie Pacifique pour saluer le sommet de San Francisco, entre le président Xi Jinping et le président Joe Biden. Là aussi nous cherchons des convergences, nous cherchons à dégager des intérêts communs. Et nous sommes persuadés qu’une relation apaisée, constructive, entre la Chine et les États-Unis d’Amérique est dans l’intérêt de tous, tout comme sur d’autres sujets, le changement climatique –nous venons de parler de la COP-, la biodiversité, les océans, nous pouvons et devons coopérer, parce que ce n’est qu’ensemble que nous pourrons trouver les bonnes réponses.
Je termine, Monsieur le Ministre, pour reprendre une expression que vous avez utilisée, en parlant du cycle des 60 ans ; ce cycle de 60 ans qui est cher à la civilisation chinoise. En effet, avec 60 ans, un cycle se termine, 60 ans de relations exceptionnelles et entre la Chine et la France. Nous voulons désormais nous projeter dans une nouvelle phase, démontrer que ce lien si particulier, si singulier, entre la France et la Chine sert nos pays, sert notre vision du monde, mais au-delà permet aussi de contribuer à apporter des réponses aux grands défis de notre temps.
Je me tourne à nouveau vers le général de Gaulle, vous ne m’en voudrez pas de le faire en cette occasion, puisque le 31 janvier 1964, dans cette fameuse conférence de presse, plus longue que celle que nous tiendrons et plus historique, je n’en doute pas, parce que le général de Gaulle faisait l’Histoire à ce moment-là, il avait affirmé que l’établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays portait l’espoir, - je le cite -, « qu’en multipliant les rapports entre les peuples, on servît la cause des hommes, c’est-à-dire celle de la sagesse, du progrès et de la paix ». Soyons plus que jamais porteurs de cet espoir pour la relation franco-chinoise et au-delà.
Je vous remercie.
Q - L’actualité internationale fait régulièrement la Une, ces derniers mois : la guerre au Proche-Orient, l’invasion russe de l’Ukraine. Compte tenu de ces bonnes relations avec Téhéran et Moscou, est-ce que vous avez demandé à la Chine de faire pression sur l’Iran pour éviter un embrasement du Proche-Orient, et sur la Russie à propos du conflit en Ukraine ?
R - Merci de votre question. Voyez-la réponse du Ministre, je vais apporter la mienne en complément, puisque nous n’en avons pas encore parlé, mais j’ai indiqué dans quel sens nous abordions, pour notre part, les grandes questions internationales, dont les grandes crises, dont ces deux conflits. Nous n’avons pas de doute, mais ce n’est pas une nouveauté, sur la capacité de la Chine à porter le message qui est celui de la communauté internationale, crise après crise ; et celui de la communauté internationale qui s’est exprimée par plusieurs votes à l’Assemblée générale des Nations unies, c’est la demande très grandement majoritaire, et de voix venant de l’ensemble des régions du monde, du plein respect réel des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies : non-agression, souveraineté des États, règlement pacifique des différends, je pourrais poursuivre. La Chine y est attachée, la France aussi. C’est la raison pour laquelle je vous disais que nous devons coopérer ensemble pour porter plus avant le plein respect de ces principes qui est aujourd’hui, hélas, mis à mal, et depuis presque deux ans, par la Russie, dans une guerre d’agression, illégale, injustifiée, qui menace l’ensemble du monde, bien sûr l’Ukraine, de façon première, et peut-être dans son existence même, mais qui met en péril la stabilité stratégique en Europe, l’architecture de sécurité en Europe, et au-delà les équilibres fondamentaux du monde, puisque sans respect des principes de la Charte des Nations unies, il n’y aura pas de paix et de stabilité dans le monde, bien au-delà même du continent européen. Il en va de même pour le Proche-Orient. Je le dis, nous recherchons, y compris avec ce grand partenaire qu’est la Chine, comment porter une voix qui est celle de la raison, comment faire que le plein respect des principes du droit international, qui comporte le droit à la légitime défense mais aussi l’obligation de tout faire pour protéger la vie des civils, soit mieux assuré qu’aujourd’hui.
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