Allemagne - Conférence de presse conjointe de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et de Johann Wadephul, ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne - Propos de Jean-Noël Barrot (Paris, 18 juillet 2025)
Monsieur le Ministre, cher Johann,
Je me réjouis de t’accueillir à nouveau à Paris. Cette deuxième visite témoigne de la proximité avec laquelle nous travaillons. Nos échanges sont constants, notre coopération est très étroite sur les grands sujets bilatéraux de politique européenne et de politique internationale. Nous partageons le même attachement au moteur franco-allemand, un partenariat unique qui nous place à l’avant-garde des efforts pour une Europe unie, forte, plus souveraine et plus résiliente. Nous croyons en une Union européenne capable d’agir, de protéger ses citoyens, de défendre ses valeurs démocratiques et de s’exprimer d’une voix claire sur la scène internationale.
Comme l’ont rappelé le Président de la République et le chancelier allemand, nous voulons exploiter au maximum la coordination et le réflexe franco-allemand au service de l’Europe et de ses intérêts. Nous avons un agenda franco-allemand très riche devant nous. Nos entretiens aujourd’hui contribuent notamment à préparer un Conseil des ministres franco-allemand qui se tiendra à la fin du mois d’août, et à renforcer notre coordination sur les grands sujets de politique européenne et internationale.
Sur nos échanges bilatéraux et la préparation de ce Conseil des ministres franco-allemand, nous avons une feuille de route claire, exposée par le Président de la République et le chancelier, dans leur tribune conjointe du 7 mai. Nos pays font face à des défis majeurs : celui de la guerre sur le continent en Ukraine, celui d’une concurrence accrue à l’échelle mondiale, ceux d’une accélération des changements climatiques et technologiques, et la menace d’une guerre commerciale n’est pas écartée.
C’est dans ce contexte que la France et l’Allemagne ont voulu s’entendre sur un agenda complet de relance de notre relation et pour renforcer l’Europe. Nous avons entamé ce travail de manière à pouvoir présenter, d’ici au Conseil des ministres franco-allemand, des résultats concrets, faisant une réelle différence pour nos concitoyens et pour l’Union. Les trois grands axes de travail que nous avons retenus portent sur la sécurité et la défense, la restauration et le développement de la compétitivité européenne, et enfin un travail de convergence de nos systèmes économiques et sociaux.
Je me réjouis de la tenue de ce Conseil des ministres franco-allemand, le premier depuis celui de Meseberg en Allemagne, l’an dernier, en mai, à l’occasion de la visite d’Etat du Président de la République. C’est un temps fort pour nos deux pays et un organe très utile de concertation et de coordination de nos politiques publiques, avec plusieurs membres de gouvernements mobilisés autour du Président de la République et du chancelier. Nos ministères des affaires étrangères respectifs jouent un rôle essentiel dans sa préparation et coordination.
Nous avons, naturellement, également abordé aujourd’hui les enjeux européens et internationaux les plus pressants. Nous partageons l’impératif de la poursuite d’un soutien déterminé à l’Ukraine dans la durée et dans tous les domaines face à l’intolérable agression russe. Ce soutien passe notamment par la poursuite d’un approvisionnement en armes pour permettre à l’Ukraine de se défendre, mais aussi par le durcissement des sanctions économiques contre la Russie afin d’assécher les ressources qui financent son agression. Je me réjouis de l’adoption, ce matin, du paquet de sanctions massif, le plus lourd depuis 2022, qui vient d’être donc formellement décidé par l’Union européenne pour accroître la pression sur la Russie.
Nous continuerons d’accroître nos propres capacités de défense et de soutenir notre base industrielle et technologique de défense européenne. Dans ce domaine, les initiatives SAFE et EDIP, récemment adoptées à Bruxelles, sont une avancée décisive pour renforcer notre souveraineté européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense, et pour mettre en oeuvre concrètement le principe de préférence européenne.
Nous avons abordé la situation au Proche-Orient. Un cessez-le-feu doit être conclu, les otages doivent tous être relâchés, et des négociations pour aboutir à une résolution durable du conflit doivent être engagées. Nous devons rester mobilisés pour améliorer urgemment la situation humanitaire à Gaza, en surveillant la mise en oeuvre par Israël de ses engagements.
Sur l’Iran, il nous faut redonner de l’espace à la diplomatie. Notre priorité va aussi naturellement à la libération de nos deux otages, Cécile Kohler et Jacques Paris.
Nous avons eu un échange sur les migrations et la situation à nos frontières. Le renforcement des contrôles aux frontières par l’Allemagne est son droit. Il est important évidemment que la sauvegarde de l’ordre public ne se fasse pas au détriment de la libre circulation au coeur de l’espace Schengen, notamment pour nos citoyens vivant en zone frontalière. À ce titre, l’étroite coordination entre nos ministères de l’intérieur est indispensable. Par ailleurs, nous entendons concentrer nos efforts sur la mise en oeuvre du pacte sur la migration et l’asile, adopté l’an dernier, et renforcer la politique des retours.
Nous avons échangé sur les droits de douane déjà imposés ou envisagés par l’administration américaine dans le contexte des négociations en cours, conduites par la Commission européenne. Ces négociations sont appelées à s’intensifier alors que le président Trump a récemment annoncé unilatéralement l’imposition de droits de douane horizontaux de 30% au 1er août, ce que nous avons vivement désapprouvé. Nous privilégions bien sûr une solution négociée, et le facteur décisif dans ces discussions, c’est le maintien de notre unité et de notre fermeté face aux Etats-Unis. Nous devons pour autant nous préparer à tous les scénarii et nous tenir prêts à imposer des contre-mesures proportionnées et crédibles.
Nous avons pris connaissance de la proposition de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel, et devrons l’analyser plus en détail. Le prochain cadre financier pluriannuel doit nous permettre de faire face aux enjeux majeurs auxquels fait face l’Union européenne, en particulier le renforcement de sa prospérité et de son autonomie stratégique. De nouvelles sources de financement seront nécessaires. C’est pourquoi la France juge indispensable un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel, l’adoption de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne.
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Q - Votre venue, Monsieur Wadephul, et la prochaine visite d’Emmanuel Macron en Allemagne, sont l’occasion de chercher des convergences entre la France et l’Allemagne sur un certain nombre de dossiers importants. Sur le commerce, notamment, qui a une deadline qui approche. Il y a des divergences à lisser sur ce sujet, entre la France et l’Allemagne. Comment entendez-vous vous y prendre là-dessus, dans la mesure où les positions ne sont pas exactement alignées ? Et notamment, Monsieur Wadephul, est-ce que vous excluez l’emploi de l’instrument anti-coercition ?
Et un autre sujet de divergence, notamment sur la politique industrielle de défense, le SCAF en particulier. Est-ce que le Gouvernement soutiendra la demande de l’industrie français d’avoir une part très importante de la production du SCAF en France ? Le chiffre de 80% circule. Et peut-on encore parler d’un projet commun si c’est le cas ?
R - Je peux peut-être commencer, pour vous répondre sur la manière de lisser les divergences de vues lorsqu’elles surviennent entre la France et l’Allemagne, eh bien c’est ce que nous avons résolu de faire à l’invitation du Président de la République et du chancelier allemand, en rapprochant considérablement les deux équipes gouvernementales. C’est la deuxième fois, depuis sa prise de fonction, que j’ai l’honneur d’accueillir Johann Wadephul à Paris. Il m’avait consacré une visite le jour de sa nomination. Il est de retour au moment où se termine le semestre et où nous préparons ensemble le suivant. Comme il l’a rappelé lors de sa dernière visite, nous avions appelé ensemble le ministre des affaires étrangères indien au pic de la crise et de l’escalade militaire entre l’Inde et le Pakistan. Aujourd’hui, nous avons appelé ensemble le ministre syrien. Et hier soir, nous étions ensemble au téléphone avec le ministre iranien. Nous multiplions les contacts chaque fois que l’occasion nous en est donnée, et ces occasions sont nombreuses. Il ne se passe peut-être pas une semaine sans que j’ai l’occasion de rencontrer et d’échanger avec Johann. Mais la relation ne se limite pas à celle de nos deux chefs d’Etat et de gouvernement, ni à celle de nos deux ministères, puisque l’ambassadeur de France en Allemagne me rappelait que ces derniers jours, il recevait un ministre français par jour à Berlin. C’est dire à quel point l’intensité de nos contacts s’est accrue.
Et s’agissant du commerce, nous avons la même logique : celle de défendre les intérêts industriels européens, celui de la souveraineté européenne, de notre autonomie stratégique. Nous soutenons les efforts menés par la Commission pour obtenir un accord équilibré, respectueux de nos intérêts. Et nous souhaitons, comme les deux chefs d’Etat et de gouvernement l’ont rappelé, le Président de la République et le chancelier allemand, que les négociations puissent aboutir au plus vite pour dissiper l’incertitude qui pèse sur l’investissement, sur l’activité économique, des deux côtés de l’Atlantique.
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Q - (Question d’une journaliste allemande) Une question pour vous, Monsieur le ministre Barrot : pourquoi les Français ne participent-ils pas au projet de l’OTAN d’acheter des armes pour l’Ukraine ?
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R - Pour répondre à votre question, c’est une excellente nouvelle que le président Trump ait décidé de mettre à disposition des pays de l’OTAN des systèmes de défense antiaérienne pour l’Ukraine. De même que c’est une excellente nouvelle que le président Trump ait donné 50 jours, désormais 45 jours, à Vladimir Poutine pour cesser le feu sous peine de droits de douane allant jusqu’à 100% sur la Russie et sur les pays qui continuent de commercer, notamment du pétrole, avec la Russie. C’est dans cet esprit d’ailleurs, en coordination avec les Etats-Unis, que nous avons conçu le paquet de sanctions massives qui a été adopté ce matin, que nous avons soutenu, que nous avons même alimenté, France et Allemagne, main dans la main.
Et j’en profite pour dire que si je me retourne sur les mois qui viennent de s’écouler, si j’essaie de me replacer six mois en arrière, on nous annonçait que l’unité européenne allait voler en éclat ; l’unité européenne est devant vous. On nous annonçait que l’Ukraine allait capitulé par la force, peut-être précipité par l’arrêt du soutien des Etats-Unis d’Amérique ; là encore, force est de constater que ça ne s’est pas produit. Et que même s’il reste encore des efforts à faire, aux Européens notamment, dont on disait à l’époque qu’ils allaient être complètement absents du jeu, alors qu’ils ont occupé ces dernières semaines et mois une place centrale, des efforts à faire pour les Européens et tous les soutiens alliés de l’Ukraine, nous sommes dans une situation bien moins pire que celle que nous annonçaient bien les observateurs, bien des éditorialistes et bien des critiques. Et donc il nous faut continuer sur cette voie. Celle qui a consisté à montrer l’exemple, en continuant à prendre des sanctions, en continuant à fournir un soutien militaire et financier à l’Ukraine, en continuant de rappeler que la guerre d’agression russe en Ukraine est une guerre coloniale, en violation du droit international, qui soulève un risque majeur, non seulement pour la sécurité des Européens, mais pour l’ordre international fondé sur les règles, et pour l’architecture de sécurité qui est aujourd’hui en cause. Je pense non seulement au Traité de désarmement, mais également au Traité de non-prolifération, qui est revenu dans l’actualité à la suite de la crise iranienne, mais qui est évidemment très fragilisé, du fait de la violation par un pays membre du Conseil de sécurité, signataire du Traité de non-prolifération, puissance dotée, de toutes les règles de l’ordre international.
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