Afrique du Sud - Entretien de Catherine Colonna au Daily Maverick (19 juin 2023)

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Vous êtes en visite en Afrique australe, où plusieurs élections sont imminentes. Comment est-ce que Paris évalue les perspectives d’une véritable démocratie lors de ces élections et, plus généralement, en Afrique ?

La démocratie est un bien universel auquel la France, l’Europe et l’Afrique sont tout autant attachées. Les citoyens doivent pouvoir choisir leur avenir et, pour cela, il y a des principes à suivre, qui valent pour tous les pays du monde : un débat électoral pluraliste et conforme au droit, un vote libre et régulier et le respect du choix des électeurs. La démocratie est pour tous, pour les Africains comme pour les Européens. Au cours de mon déplacement, j’aurai d’ailleurs l’occasion de m’entretenir avec le philosophe Achille Mbembe, qui dirige la Fondation de l’innovation pour la démocratie, financée par la France et lancée en octobre dernier, et dont le siège est justement en Afrique du Sud. Il s’agit de soutenir la recherche et les initiatives citoyennes autour de la démocratie.

Comment est-ce que Paris évalue la mission de paix africaine en Ukraine et en Russie à laquelle participe également le président Ramaphosa ? A-t-elle des chances de succès ? La France la considère-t-elle comme impartiale ? Le rôle de Jean-Yves Ollivier et de la Fondation Brazzaville est-il positif ?

J’ai eu l’occasion de le dire à mon homologue et amie Naledi Pandor qui était à Paris le mois dernier : tout effort en faveur d’une paix juste et durable, qui respecte l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine, est le bienvenu. Vous vous demandez peut-être pourquoi nous attachons tant d’importance à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine : c’est parce qu’il y a un pays agresseur, la Russie, et un Etat agressé, l’Ukraine, qui exerce son droit à la légitime défense au titre de la charte des Nations unies. Une paix qui ne se fonderait pas sur le droit international et qui se contenterait de reconnaître simplement un état de fait sur le terrain ne serait pas durable. Ce serait accepter le droit du plus fort et ce serait une illusion car de nouveaux conflits en découleraient. Laisser une agression être récompensée risquerait d’ouvrir la voie à d’autres agressions, là ou ailleurs. Nous devons en être conscients, parce que nous sommes tous concernés. Quant à votre question sur les contributeurs individuels de cette initiative, ce qui rend cette dernière importante à nos yeux, c’est qu’elle est portée par l’Afrique du sud avec d’autres partenaires africains.

Quel est votre point de vue sur la position de l’Afrique du Sud concernant la guerre entre la Russie et l’Ukraine ? Cette position a été critiquée par de nombreuses capitales occidentales et les leaders du Congrès américain demandent maintenant à Joe Biden de déplacer le forum Agoa d’Afrique du Sud. Voyez-vous des signes de correction de la part de l’Afrique du Sud sur la question de la Russie et de l’Ukraine ?

L’Afrique du Sud est un partenaire de confiance pour la France. Le Président de la République Emmanuel Macron s’entretient très régulièrement avec le président Ramaphosa. De mon côté, je travaille étroitement avec Naledi Pandor sur tous les grands défis internationaux. C’est bien sûr le cas concernant la guerre en Ukraine, sur laquelle nous échangeons sur nos positions et regardons comment nos pays peuvent apporter des solutions. Nous avons par ailleurs un même attachement à la défense du multilatéralisme et au droit international, qui sont des enjeux importants de la guerre en Ukraine, ainsi qu’à la réforme de la gouvernance mondiale où nous soutenons un renforcement du rôle des pays africains. Avec mon homologue, nous évoquerons aussi d’autres sujets de coopération qui seront au cœur de ma visite, comme le climat, la santé et nos liens humains avec la jeunesse, le sport et l’éducation. La venue à Paris du Président Ramaphosa dans quelques jours pour le sommet pour un Nouveau pacte financier mondial en est un témoignage. Nous agissons ensemble pour le bien commun.

La France est l’un des partenaires internationaux du Partenariat pour une transition énergétique juste. Êtes-vous satisfait des progrès réalisés par Pretoria dans la mise en œuvre du JETP ? Les choses avancent-elles assez vite ? La nomination d’un ministre de l’électricité par M. Ramaphosa a-t-elle été utile ? Quel est l’état actuel de la contribution de la France ?

Le climat est un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens dans nos deux pays et une priorité de notre politique étrangère. Nous sommes heureux d’être partenaires du JET-P [Just Energy Partnership Partnership], dans lequel nous allons investir 1 milliard d’euros. J’insiste sur l’adjectif « juste » pour qualifier cette transition. Un point essentiel pour nous, c’est en effet que les populations et les territoires économiquement dépendants de la production de charbon puissent diversifier leurs activités. Cette transition ne peut réussir que si elle est juste socialement. Notre effort va d’ailleurs bien au-delà. Jeudi, nous allons accueillir à Paris un Sommet sur le nouveau pacte financier mondial qui permettra de mieux répondre aux besoins de financement des pays qui en ont le plus besoin, notamment pour leur transition écologique. Aucun pays ne doit avoir à choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de la planète.

La France a subi des revers en Afrique, au Mali, au Burkina Faso, en République centrafricaine, etc. Comment réajuste-t-elle sa politique africaine en conséquence ?

Le président Macron a engagé une profonde réforme de nos relations avec les pays du continent africain. Cela a été fait dès son discours à des étudiants à Ouagadougou, en 2017. Il a eu l’occasion d’y revenir au sommet de Montpellier, en 2021, auquel ont participé de nombreux acteurs de la société civile, artistes, entrepreneurs, et intellectuels, et notamment beaucoup de jeunes Sud-Africains Nous voulons bâtir une nouvelle relation, partenariale et responsable, dans laquelle nous traitons ensemble nos défis communs, tout en assumant aussi nos intérêts. Nous renforçons nos axes de coopération dans l’innovation, la culture, l’entrepreneuriat, l’égalité femmes-hommes et la lutte contre le changement climatique, où nous avons tant à faire ensemble. Nous pouvons nous appuyer sur les liens humains très intenses que nous avons avec de nombreux pays africains. Quant à la sécurité, qui fait naturellement partie de nos préoccupations communes, nous avons été amenés à intervenir fortement dans la lutte contre le terrorisme et en soutien à des initiatives sur des crises régionales. Ces actions, nous ne les menons qu’à la demande des gouvernements des pays concernés, dans un cadre international conforme aux résolutions des Nations unies, et en coopération avec les organisations régionales, notamment l’Union africaine. Nous sommes fiers d’être un partenaire fiable des pays africains dans ce domaine et de voir un engagement accru de l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne. Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, je vous assure que nos relations sont bonnes avec l’immense majorité des 54 pays d’Afrique.

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