III- Soviétisation et exils
L’Armée rouge ramène bientôt le Caucase dans l’orbite de Moscou, avec l’aide d’une poignée de bolcheviks locaux, dont certains, comme Staline, seront appelés à jouer un grand rôle.
L’histoire des républiques du Caucase soviétisées, à la souveraineté désormais fictive, s’inscrira pendant 70 ans dans la chronologie de l’URSS. Les dirigeants de l’indépendance, désormais souvent unis dans l’exil, continueront de combattre pour l’indépendance.
La soviétisation
- Dépêche d’Abel Chevalley, Haut-Commissaire français au Caucase, au Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Georges Leygues, sur l’Azerbaïdjan, Tiflis, 17 décembre 1920 : « Les bolchévistes ont réussi, en six mois, à ruiner, presque anéanti une des villes jadis les plus florissantes de l’Orient ». Ils ont détruit les transports, les villages sont déserts, plus de commerce à Bakou où ne restent que des échoppes vendant du poisson et des cigarettes. Toutes les marchandises ont été transportées en Russie, la production de naphte est tombée, on ne plante plus de coton, la pêche industrielle a tout-à-fait cessé, des exécutions clandestines ont lieu à chaque instant. « La révolte qui était prête à l’Ouest a été étouffée par la chute de l’Arménie (le 2 décembre) et ne renaîtra que si les Turcs la favorisent ».
- Dépêche du Haut-Commissaire français au Caucase, Abel Chevalley, à Philippe Berthelot, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, sur la soviétisation de l’Arménie, Tiflis, 13 décembre 1920 : « L’Arménie est tombée au soviétisme comme une poire mûre et rongée qui aurait été laissée trop longtemps sur l’arbre. Les Turcs n’ont eu qu’à secouer le pommier. Maintenant leurs envoyés se chamaillent un peu à Tiflis avec les commissaires bolchévistes pour savoir qui aura le fruit et qui, les restes ». Après ce constat de la collusion entre kémalistes et bolcheviks, le Haut-Commissaire français informe de ses tentatives pour éviter à la Géorgie le même sort que l’Arménie.
- Télégramme du Haut-Commissaire français au Caucase, Abel Chevalley, au ministre des Affaires étrangères, Georges Leygues, au sujet de la répression contre l’armée arménienne, Tiflis, 23 décembre 1920 : renseignements donnés par Catissian (Khatissian), Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères de la République d’Arménie, sur le sort des officiers de l’armée nationale, déportés ou fusillés par les Soviets.
- Lettre autographe du ministre des Affaires étrangères de Géorgie, Evguéni Guéguétchkori, au Haut-Commissaire français au Caucase, Abel Chevalley, Tiflis, 10 mars 1921 : la marche des forces turques sur Batoum, malgré l’accord passé avec le gouvernement d’Angora qui devait garantir la souveraineté géorgienne, entrave la lutte contre l’agression bolchéviste et devrait être considérée comme un acte d’agression, préjudiciable aux intérêts des Puissances, nécessitant de leur part des mesures d’urgence.
- Coupure de presse, interview de Jordania, L’Indépendance belge, Bruxelles, 15 juin 1921 : le président de la Géorgie, désormais en exil, relate les circonstances et les objectifs de la soviétisation de son pays qu’il compare à la situation de la Belgique au temps de l’occupation allemande. Animés par l’esprit de conquête, les bolcheviks qui continuent la politique extérieure du despotisme russe, avaient besoin de la place d’armes géorgienne pour poursuivre leur expansion au Proche-Orient, et pousser le gouvernement turc contre l’Entente.
- Coupure de presse, interview de M. V. Coutant, « Souvenirs de Russie. Comment je fus expulsé du lycée français de Tiflis », Paris, 13 mai 1921 : récit par l’ancien directeur du lycée français des conséquences de la soviétisation de la Géorgie et des exactions de la Tcheka, notamment contre les élèves et les enseignants du lycée français.
Dernières tentatives de résistance sur le terrain
- Extrait du rapport du commandant Poidebard, adressé par Paul Lépissier, délégué en mer Noire du Haut-Commissaire à Constantinople (Albert Defrance) au Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Philippe Berthelot, au sujet de la situation au Caucase, Constantinople, 19 mars 1921 : extrait du rapport de Poidebard sur la situation politique pour la période du 16 février au 2 mars 1921, relatif à l’Arménie sur l’insurrection du 18 février 1921.
- Note de la Direction d’Europe pour le chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, au sujet de l’audience des représentants des quatre États du Caucase, Paris, 18 juin 1921 : annonce par les représentants en exil des quatre États du Caucase de la signature d’une déclaration établissant les bases d’une union économique et politique, et prévoyant un accord militaire défensif, une union douanière, un tribunal arbitral pour le règlement des questions de frontières, une entière liberté de transit.
- Annexe à la lettre du ministre de la Guerre et des Pensions, André Maginot, au président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot, au sujet de la demande du gouvernement géorgien, Paris, 14 mars 1924 : doutes de l’État-Major français sur le succès du projet d’insurrection géorgienne présenté par le général Masnief, à moins d’une extension de la révolte dans toute la région.
- Télégramme de Gaston Jessé-Curély, gérant du Haut-Commissariat, au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot, Constantinople, 11 septembre 1924 : situation au Caucase à la date du 7 septembre 1924 à la suite de l’insurrection géorgienne commencée le 29 août. D’après les renseignements parvenus au Comité géorgien de Constantinople, les insurgés au nombre de 11 000 seraient maîtres de la région à l’est de Batoum et au nord de la voie ferrée Batoum-Tiflis. Le mouvement aurait été décidé par un congrès menchéviste réuni à Batoum en juillet 1924 pour peser sur les décisions de la conférence anglo-soviétique de Londres. Mais l’action semble avoir été engagée prématurément et condamnée à se transformer en guérilla.
- Télégramme de Gaston Jessé-Curély, gérant du Haut-Commissariat au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot, Constantinople, 15 septembre 1924 : échec de l’insurrection sous l’afflux des troupes bolchévistes venues par Bakou et par Batoum. Les combattants se réfugient dans la montagne, tandis que la répression qui s’annonce sanglante a commencé vers le 10 septembre. Le mouvement ne s’est pas propagé en Azerbaïdjan.
Lutte pour l’indépendance dans l’émigration
- Lettre signée des présidents des délégations des quatre États du Caucase au président de la République, Raymond Poincaré, Paris, 30 janvier 1922 : désormais unis, les représentants des quatre États du Caucase sollicitent l’aide généreuse de la France pour aider à recouvrer leur indépendance et les inclure dans le système du relèvement économique de l’Europe comme unité distincte de la Russie.
- Document de la Société des Nations. Lettre du président de la Délégation de paix de la République d’Azerbaïdjan, Ali Mardan Toptchibacheff, à la Société des Nations, Genève, 11 décembre 1920 : Ali Mardan Toptchibacheff conteste les raisons invoquées par la Société des Nations pour refuser l’admission de la République d’Azerbaïdjan : il est difficile de déterminer les limites dans lesquelles s’exerce l’autorité de l’État et les querelles frontalières avec les voisins empêchent de délimiter avec précision les frontières actuelles. Or, la résistance à l’invasion des bolchéviks se poursuit et le gouvernement a réussi à restaurer son autorité sur 90% du territoire à partir de Gandja. Les querelles frontalières, qui ne sont pas propres à la région, sont des affaires intérieures et finiront par être réglées.
- Bulletin de la Société des Nations, Genève, 21 septembre 1921 : résolution adoptée par la Deuxième Assemblée de la Société des Nations sur l’Arménie le 21 septembre 1921, demandant au Conseil suprême, qui envisage dans la révision du Traité de Sèvres la création d’un Foyer national pour les Arméniens, de prendre les mesures pour sauvegarder l’avenir de l’Arménie, en particulier pour garantir un Foyer indépendant de la domination ottomane.
- Lettre manuscrite d’Étienne Flandin, au nom du Groupe des relations extérieures du Sénat, au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères (Raymond Poincaré), Paris, 9 mars 1922 : à la suite de l’audition au Sénat du président de la République géorgienne et des ministres géorgiens, Vœu du Sénat pour l’évacuation du Caucase par les troupes russes et turques et pour le respect des engagements pris par les Alliés pendant la guerre vis-à-vis de la nation géorgienne.
Exils
- Note du Département sur la situation de fait et de droit des États du Caucase, Paris, 4 février 1922 : avant la prise du pouvoir des Soviets, la Géorgie a été reconnue de jure en janvier 1921 et le gouvernement a pu accréditer un ministre à Paris, M. Tchénkéli. L’Arménie a été reconnue de facto le 19 janvier 1920 et de jure par sa signature du traité de Sèvres, mais ses frontières n’ont pas été définies puisque le traité n’est pas entré en vigueur. L’Azerbaïdjan n’a été reconnu que de facto avant de tomber au pouvoir des Soviets.
- Lettre signée par les représentants en France des républiques du Caucase au Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot, Paris, 14 octobre 1924 : les représentants de l’Arménie (Alexandre Khatissian), de l’Azerbaïdjan (Ali Mardan Toptchibacheff), de la Géorgie (Akaki Tchenkéli), du Caucase du Nord (Abdul Medjid Tchermoeff) demandent au gouvernement français de ne pas étendre à leurs républiques l’effet de la reconnaissance de jure prévue du Gouvernement des Soviets, dont le pouvoir oppresseur n’est pas reconnu, comme le montrent les soulèvements récents de la population dans toute la région. Les signataires « se refusent à admettre la possibilité d’une reconnaissance, par la France, de leur asservissement aux Soviets ».
- Bulletin de la Société des Nations, Rapport le Transfert au Caucase des réfugiés arméniens et création d’un Foyer arménien dans cette région, Genève, 22 septembre 1924 : à la demande du président de la Délégation arménienne, M. Noradounghian d’établir 50 000 colons arméniens dans la plaine de Sardarabad où ils pourraient rendre cultivables 37 000 ha de terres après irrigation, le conseil a chargé Le Haut-Commissaire aux Réfugiés, le Dr F. Nansen et le directeur du Bureau International du Travail, Albert Thomas, d’étudier les conditions du transfert dont le coût est estimé à 4,7 millions de dollars. L’appel à la collecte de fonds a reçu un accueil divers : la France a mis à disposition une somme de 335 000 francs ; l’Italie a constitué un Comité national pour assurer le transport et l’établissement ; la Belgique a ouvert une souscription et est prête à accueillir des réfugiés tout comme le Brésil ; la Grèce et la Bulgarie en ont déjà accueilli par milliers ; l’Angleterre est disposé à créer un organisme pour une souscription. La Norvège, l’Afrique du Sud, le Siam ne peuvent ouvrir des crédits.
- Lettre du ministre de la Guerre et des Pensions, André Maginot, au Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Raymond Poincaré, au sujet des volontaires arméniens, Paris, 13 février 1923 : réponse à faire à la requête de l’Association des anciens Volontaires arméniens qui désire remettre son drapeau national au Musée de l’Armée, sachant que le nombre d’engagés se déclarant de nationalité arménienne dans la seule Légion étrangère, s’élève à 380 dont 108 morts pour la France.
- Note de M. Kalebdjian pour M. Maugras, Sous-direction des Affaires administratives et des Unions internationales, Paris, 11 mai 1929 : renseignements sur les deux délégations arméniennes qui ont eu un caractère politique. La Délégation nationale, chargée des intérêts de l’Arménie turque et représentée par Boghos Nubar Pacha, puis par Gabriel Noradounghian (ancien ministre des Affaires étrangères de l’Empire ottoman) a été remplacée par un Comité des Réfugiés arméniens. La Délégation de la République arménienne auprès de la conférence de la Paix, chargée des intérêts de l’Arménie russe a été représentée par M. Aharonian, signataire du traité de Sèvres, puis par M. Khatissian. Depuis la signature par la France du traité de Lausanne et de la reconnaissance de l’URSS, elle a été remplacée par l’Office des réfugiés arméniens. Il existe aussi des organisations philanthropiques dont l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB).
- Lettre de la Délégation de la République arménienne à Ali Mardan Toptchibacheff, Paris, 28 mai 1931 : invitation du président de la Délégation de la République d’Azerbaïdjan à la cérémonie commémorant le 13e anniversaire de la proclamation de l’indépendance de l’Arménie.
- Lettre d’Akaki Tchenkéli, ministre de Géorgie à Paris, au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot, Paris, 28 octobre 1924 : demande d’admission de Dimitri Amilakvari, descendant d’une « vieille famille princière », à l’école militaire de Saint-Cyr. La demande transmise au ministère de la Guerre sera acceptée. Un des 1 038 futurs Compagnons de la Libération, rallié au général de Gaulle dès l’été 1940, le lieutenant-colonel Amilakvari, mort au combat lors de la bataille d’El-Alamein en octobre 1942, a donné son nom à la promotion 1954-56 de Saint-Cyr.
- Note de la sous-direction des Chancelleries et des Contentieux pour le directeur des Affaire politiques, Paris, 6 décembre 1934 : environ 700 d’après les statistiques du ministère du Travail, 3 à 4 000 selon M. Assathiany, les Géorgiens réfugiés en France connaissent une situation difficile faute d’avoir été compris dans les groupes de réfugiés jouissant d’un régime spécial et d’un budget alimenté par le produit du timbre Nansen, à l’instar des Russes et des Arméniens apatrides. Un statut analogue avec les avantages du passeport Nansen ne leur sera octroyé qu’en février 1940.
- Carte politique de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, publiée à l’occasion du XXe anniversaire de la révolution d’octobre, conforme à la Constitution stalinienne (5 décembre 1937).