I- Fin d’empire au Caucase
L’indépendance n’avait pas été préméditée de longue date. Les élites politiques de ces trois pays, annexés par la Russie depuis plus d’un siècle, envisageaient plutôt une forte autonomie dans un empire fédéraliste, rénové et libéral, promis par le gouvernement provisoire de la révolution de Février. La dispersion par Lénine de l’Assemblée constituante, en janvier 1918, en signe l’échec.
L’indépendance est d’abord la conséquence des évolutions militaires : paix séparée des bolcheviks avec les Puissances centrales et abandon du front caucasien par l’armée russe, contre-offensive de l’Empire ottoman pour reprendre le terrain perdu en Anatolie, sinon au-delà, pour réaliser ses objectifs d’union des populations turques jusqu’à l’Asie centrale. Sous la pression ottomane, la Transcaucasie fait sécession et s’organise en République fédérative indépendante (avril 1918) avec Tiflis/Tbilissi pour capitale. Les intérêts divergents des trois nations en provoquent bientôt la dissolution.
Assurée de la protection de l’Allemagne qui ne veut pas laisser le contrôle entier de la région, à son allié ottoman, la Géorgie est la première à sortir de la Fédération. L’Azerbaïdjan, dont la capitale Bakou est, depuis avril, sous le contrôle d’une Commune bolchevique, porte ses espoirs sur les Ottomans. Une option que l’Arménie ne peut envisager après le génocide. Fidèle à l’Entente, elle est la moins disposée à rompre les amarres avec la Russie.
En marche vers l’indépendance dans le contexte de la Grande Guerre et des révolutions russes
- Télégramme circulaire du ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou, Paris, 10 novembre 1917 : diffusion par le ministre des Affaires étrangères, Louis Barthou, du télégramme de l’ambassadeur à Petrograd, Joseph Noulens, en date du 8 novembre 1917, relatant la prise du Palais d’Hiver par les bolcheviks la veille et les premières oppositions, prélude à la guerre civile.
- Coupure de presse. « La Révolution russe », Le Monde illustré, Paris, 28 juin 1919 : récit des évènements de mars à novembre 1917, relaté et illustré par Louis de Robien, attaché d’ambassade à Petrograd en 1917-1918. Les croquis ont été exécutés sur papier à en-tête de l’ambassade.
- Dépêche du consul de France à Tiflis, M. Nicolas, au ministre des Affaires étrangères (Stephen Pichon) et à l’ambassadeur de France à Petrograd (Joseph Noulens), Tiflis, 19 novembre 1917 : inquiétude croissante dans la ville de Tiflis qui « a perdu sa belle gaieté et sa riche insouciance » face aux nouvelles de Petrograd. Dans ce contexte, le gouvernement a pris des mesures pour résister à une attaque possible des bolcheviks contre lesquels une sorte d’union s’est formée entre les Arméniens, les Géorgiens et les « Tartares » (ou « Tatars », comme on appelle alors les Azéris).
- Note du ministre de France en Roumanie, M. de Saint-Aulaire, sur la Question arménienne, Jassy, 29/12 décembre 1917 : analyse du rôle des Turcs et des Allemands pour brouiller les nationalités du Caucase. Malgré des tensions croissantes, Géorgiens et Arméniens sont encore unis pour défendre le front. Il convient d’accorder l’aide militaire qu’ils sollicitent, tout autant qu’un soutien moral aux Arméniens dont les Russes se désintéressent, après les avoir souvent persécutés, et d’encourager le projet de concentrer au Caucase les soldats dispersés dans l’armée russe sur les différents fronts.
- Note du Département sur l’action des Alliés au Caucase, Paris, 22 décembre 1917 : afin de soutenir la défense du front russe d’Asie mineure qui n’est plus assurée que par les unités géorgiennes et arméniennes, et alors que le général Prjevalski, chef de l’État-Major russe du Caucase, opposé aux « maximalistes », a demandé l’appui du gouvernement britannique mais vient de conclure un armistice avec la Turquie le 10 décembre 1917, Clemenceau octroie un crédit de 20 millions de roubles au colonel Chardigny, officier de liaison militaire français au Caucase, pour aider à la constitution d’armées nationales, notamment arménienne, pour continuer la lutte et résister aux bolcheviks.
- Voir aussi dans l’exposition en ligne "Arménie et Arméniens dans la Première Guerre" : images de la prise de Trébizonde en avril 1916, qui va conforter l’avancée russe sur le front du Caucase, à la veille de la révolution
Autour de la proclamation des indépendances (26-28 mai 1918)
- Note pour le ministre du 22.12.1918 « Questions d’Arménie » (51CPCOM/67, 10-14).
- Note sur les membres du gouvernement de la République géorgienne délégués au gouvernement du Caucase, Paris, 27 mai 1918 : synthèse du programme, liste et portraits, avec des photographies, des principaux membres du premier gouvernement de la République géorgienne : Tchenkéli, Tsérétéli, Jordania, Gomartéli, Tcheidzé, Nicoladzé.
- Couverture de la brochure et extraits du Discours d’Irakly Tsérétéli à la Diète transcaucasienne sur la séparation de la Transcaucasie et de la Russie et l’indépendance de la Géorgie, préface d’Albert Thomas, Paris, Imprimerie Chaix, 1919 : Tsérétéli explique les raisons de la séparation de la Transcaucasie de la Russie, puis de l’indépendance de la Géorgie. La préface du député socialiste, Albert Thomas, ancien ministre de l’Armement et des Fabrications militaires et premier directeur du tout nouveau Bureau international du Travail, conclut que « ce n’est donc pas seulement de l’intérêt de l’Entente, mais aussi le devoir de la démocratie de tous les pays que d’aider à la reconnaissance du jeune État géorgien ».
- Couverture et extrait du Mémoire de la Délégation géorgienne à la Conférence de la Paix. Acte d’Indépendance de la Géorgie, Paris, juillet 1919 : traduction de l’Acte d’indépendance de la Géorgie déclaré par le Conseil national géorgien à Tiflis le 26 mai 1918 et sa confirmation par l’Assemblée constituante de la Géorgie le 12 mars 1919.
Des débuts difficiles entre guerre civile russe, pression des forces germano-turques et intervention alliée
- Note sur la politique du gouvernement français à l’égard de la Transcaucasie depuis la révolution d’Octobre, s.l. (Paris), 28 juin 1918 : face au risque de l’affaiblissement de la Russie après la prise du pouvoir des bolcheviks à Petrograd et de la capitulation devant l’Allemagne, le gouvernement français décide en Transcaucasie, comme ailleurs, d’apporter « aide et appui aux nationalités locales désireuses d’assurer leur libre existence et pouvant offrir une résistance à l’empire germanique ». D’où le soutien aux revendications légitimes des représentants arméniens et géorgiens, combiné à l’envoi de détachements de l’armée anglaise de Mésopotamie au Caucase.
- Dépêche du lieutenant-colonel Chardigny, commandant du détachement français au Caucase, au Ministre de la Guerre (Georges Clemenceau), État-Major de l’Armée, 2ème Bureau, au sujet de la situation du Caucase, Bakou, 10 décembre 1918 : analyse par le colonel Chardigny, rentré à Bakou depuis le 17 novembre avec les troupes anglaises du général Thomson, de la situation du Caucase à la veille de l’ouverture de la conférence de la Paix avec le constat que l’organisation actuelle n’est autre que la réalisation du plan de ses ennemis : constitution d’un grand État musulman sous protectorat turc, qui à terme, signerait la disparition de l’Arménie, et d’une Géorgie sous protectorat de l’Allemagne qui pourrait ainsi exploiter les richesses naturelles de la région. Le modèle pour assurer la paix entre les nations et réaliser leurs légitimes aspirations à l’indépendance serait celui de l’organisation fédérale suisse.