Charte de Paris pour une nouvelle Europe : témoignages de diplomates

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A l’occasion de la commémoration des 30 ans de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, la direction des Archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a recueilli les témoignages de diplomates ayant participé aux négociations. Ces documents exceptionnels sont présentés dans un ouvrage dirigé par Nicolas Badalassi et Jean-Philippe Dumas, à paraître en décembre 2020, et sous forme d’une émission audio.

Ce travail de collecte de témoignages oraux renouvelle l’historiographie des années 1990 sur la Charte de Paris, généralement concentrée sur la chute du mur de Berlin et la réunification allemande. L’ouvrage envisage sur le long terme la question des institutions nécessaires au dialogue européen et aux relations entre l’Union européenne et la Russie.

Écoutez les témoignages de cinq diplomates ayant joué un rôle de premier plan pendant la négociation de la Charte de Paris dans notre émission spéciale sur la plateforme Soundcloud.

Hubert Védrine

Conseiller diplomatique à la présidence de la République en charge des questions stratégique et du désarmement.

Pour Hubert Védrine, « en 1990, on est typiquement un moment où Mitterrand se dit qu’il faut organiser la suite, absolument. Il faut que l’ensemble des Européens se retrouvent. Il faut qu’il y ait un cadre où il puisse y avoir des relations de voisinage normales, de qualité, réalistes et utiles avec l’URSS, à l’époque, mais aussi avec les États-Unis. »

Jean Musitelli

Nommé en 1990 conseiller pour la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) puis pour la Confédération européenne auprès de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères. Jean Musitelli œuvre à la préparation du sommet de Paris.

Pour Jean Musitelli, « la question, c’est : « qui sera l’architecte de la grande Europe ? » Les Américains cherchent absolument à préempter le résultat, et à faire en sorte d’apparaître comme les leaders.
Il faut encadrer cette espèce d’énorme dynamique qui s’est créée avec la chute du mur de Berlin ; il faut faire en sorte que l’unification de l’Allemagne se passe dans de bonnes conditions, c’est-à-dire pacifiquement et démocratiquement selon les deux critères invoqués par Mitterrand. Il faut qu’elle bénéficie à l’Europe, et non pas l’inverse ; il faut que cela permette de soutenir la perestroïka et Gorbatchev en URSS. »

Une autre question sous-tend les négociations : « Comment éviter la dissymétrie qui se dessine dans le devenir des alliances, entre d’un côté la liquidation programmée du Pacte de Varsovie et le maintien, voire le renforcement de l’Alliance comme pilier transatlantique ? »
Car « l’année 1990, c’est vraiment l’année des grandes réussites sur le plan diplomatique et international. On résout l’unification allemande, on résout la question des armes conventionnelles et on enterre solennellement la guerre froide. Parce que c’est ça, le sommet de Paris, c’est une manifestation très symbolique : on enterre solennellement la guerre froide ! La séquence mur de Berlin, Charte de Paris, c’est à enseigner dans les écoles diplomatiques.  »

Lucien Champenois

Diplomate affecté à la direction d’Europe en tant que chargé de mission CSCE.

Pour Lucien Champenois, « avec la Charte de Paris, la CSCE cesse d’être un processus et devient une organisation internationale qui d’ailleurs prendra quelques années plus tard, en 1995, le nom d’OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.  »
Et d’ailleurs, « en lisant la Charte, on constate d’emblée que cet état d’esprit se traduit dans le style par un certain triomphalisme — je l’ai trouvé déjà à l’époque, mais je le trouve encore plus maintenant — en mettant en exergue le succès des valeurs de la démocratie occidentale, qui étaient censées guider désormais la politique intérieure et extérieure des États participants. Et ceux-ci s’engagent à édifier et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement de leurs nations  ».

Pierre Morel

Ambassadeur, représentant de la France à la Conférence du désarmement à Genève quand il nommé à la tête de la délégation française au comité préparatoire au sommet de Paris de la CSCE : c’est Pierre Morel qui mène pour le compte de la France les négociations aboutissant à la signature de la Charte de Paris.

Selon Pierre Morel, « l’élément fondamental, pour la France, c’est qu’on sorte de l’Europe de Yalta. Et j’ai entendu Mitterrand dire ça, trente-six fois : « Il faut sortir de Yalta. »
Car il y a « d’un seul coup, une sorte d’accélération impressionnante. A la chute du mur, le premier réflexe français est d’essayer de sauvegarder la construction européenne, qui est sur le point de franchir une nouvelle étape »
Lors de la conférence, « tout le monde s’observe en arrivant, le paysage est tout à fait impressionnant, le plus extraordinaire c’est l’arrivée de nouvelles figures de l’est européen. J’étais à Helsinki donc il y a un côté « 15 ans après ». On sent physiquement, intellectuellement dans le comportement des uns et des autres que l’Europe centrale et orientale avait bougé, on le sentait avec l’arrivée de Gorbatchev mais tout ensemble c’est vraiment autre chose. La vieille discipline, l’enrégimentement traditionnel de l’est a disparu ».
« Bien sûr, on a eu des contrecoups terribles, mais enfin, le cadre a tenu. Ça reste le texte de référence. Il n’y a pas d’autres normes qui se sont mises en place.  »

Marc Perrin de Brichambaut

Conseiller diplomatique auprès de Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense.

Pour Marc Perrin de Brichambaut, « la mise en œuvre de la Charte de Paris a dû tenir compte des tremblements qui ont commencé à se manifester d’abord en Slovénie, puis en Croatie, et des hésitations sur le bon cadre dans lequel se déroulerait la recherche d’une stabilisation de cette crise qui montait très vite. Et au début, on a pensé que ce serait effectivement la CSCE qui pourrait servir de cadre où participer.  »

Reconstruire l’Europe 45 ans après Yalta

À partir d’archives inédites, d’entretiens avec les principaux acteurs de l’époque et du travail des historiens, Reconstruire l’Europe 45 ans après Yalta offre un regard neuf sur la séquence historique de la Charte de Paris.

Sans prétendre à l’exhaustivité, la direction des Archives a cherché à couvrir de la manière la plus étendue les différents maillages du réseau diplomatique au travers des témoignages d’Hubert Védrine, Sophie-Caroline de Margerie, Jean Musitelli, Pierre Morel, Roland Dumas, Marc Perrin de Brichambault, Jean-Pierre Chevènement, Lucien Champenois et Michel Foucher.

Reconstruire l’Europe 45 ans après Yalta
Sous la direction de Nicolas Badalassi et Jean-Philippe Dumas
Sortie prévue le 3 décembre 2020
Coédition CTHS-MEAE
ISBN : 978-2-7355-019-5
12 €