Intervention de Jean-Yves le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à la Conférence du désarmement (28 février 2022)

Partager

Nations-Unies, Genève, le 28 février 2022

Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Alors que je m’adresse à vous aujourd’hui dans le cadre de la Conférence du désarmement, l’Europe vit des moments très graves pour la paix et la sécurité internationales.

L’environnement de sécurité internationale a connu une brutale dégradation avec l’invasion militaire de la Russie en Ukraine. La France condamne dans les termes les plus fermes cet acte qui aura des conséquences majeures, y compris sur le long terme.

Dans ce contexte de remise en cause du droit international et des principes fondateurs de la sécurité européenne, il est plus que jamais crucial de préserver l’intégrité des normes existantes qui forment notre architecture de sécurité collective. Le respect du droit international s’impose à tous, et nous ne pouvons tolérer que le règne de la force prenne le pas sur la règne du droit. La Conférence du désarmement a eu un rôle central à jouer dans la sanctuarisation de cette architecture.

Mais comment renouer un dialogue multilatéral de bonne foi, comment progresser ensemble sur un agenda de désarmement qui respecte les intérêts de sécurité de tous, quand un seul pays, la Russie, en décide autrement ?

La réalité est que l’attitude de la Russie et ses actes méprisent l’esprit et les textes des travaux que nous menons collectivement, dans cette enceinte notamment.

Depuis des années la Russie n’a eu de cesse de violer et de contourner ses obligations au titre des principaux instruments de désarmement et de maitrise des armements en menant des actions visant, en fait, à les affaiblir.

La Russie n’a pas respecté pas les obligations qui sont les siennes en tant qu’Etat partie à la Convention sur l’interdiction d’armes chimiques. Par ses actions répétées, elle a cherché à porter atteinte à l’indépendance des mécanismes internationaux permettant d’enquêter sur les allégations d’emploi d’armes biologiques ou chimiques.

En suspendant unilatéralement son application du Traité sur les forces conventionnelles en Europe, en se retirant du Traité Ciel Ouvert, la Russie a durablement porté atteinte à l’architecture européenne de sécurité qui pendant des décennies a contribué à la consolidation de la paix et de la sécurité sur notre continent.

La Russie, enfin, en violation flagrante des principes du multilatéralisme, mène dans les enceintes internationales une politique obstructionniste systématique afin d’empêcher les Etats de parvenir à l’adoption de décisions essentielles pour le renforcement des instruments de désarmement et de maitrise des armements.

Sur le cyber, la Russie a souhaité un Groupe de travail sur le cyberespace tout en menant des activités cyber-malveillantes multiples. Ces dernières remettent en question la stabilité internationale du cyberespace en attisant des risques de propagation et d’escalade incontrôlée, avec des effets potentiellement graves sur des infrastructures civiles dans le monde entier.

Sur l’espace, la Russie n’a cessé de plaider pour un traité non vérifiable d’interdiction du placement d‘armes dans l’espace (PPTW), qui, bien évidemment, ne prend pas en compte les menaces depuis le sol. Ce projet de traité est un leurre. Il est temps de le dire et de le dénoncer. Il ne prévoit aucune disposition pour interdire certaines actions déstabilisantes et menaçantes telles que les tirs antisatellites, comme celui auquel a procédé la Russie en novembre dernier.

Enfin, l’agression de l’Ukraine constitue une nouvelle violation directe de ses engagements et garanties de sécurité envers un État non doté de l’arme nucléaire.
La France, je le redis, condamne fermement la violation, de nouveau, par la Russie de ses engagements au titre du Mémorandum de Budapest. Il s’agit d’un sujet très préoccupant pour la sécurité internationale. De même, la complicité du régime biélorusse et en particulier la suppression potentielle du statut d’État non nucléaire de la Biélorussie sont très préoccupants.

Cette violation constante par la Russie des instruments de désarmement et de maîtrise des armements et leur instrumentalisation sont inacceptables de la part d’un État doté de l’arme nucléaire et ne sont pas dignes d’un État nucléaire responsable.

Malgré ces développements, dans la perspective de la dixième Conférence d’examen du TNP, il est de notre responsabilité collective de réaffirmer, sans ambiguïté, la primauté du TNP, qui demeure la clef de voûte de la stabilité à l’échelle mondiale et la clef de voute de la sécurité internationale. L’engagement de la France, tant en matière de non-prolifération qu’en faveur d’un désarmement nucléaire progressif et réaliste, est bien connu de tous et cet engagement ne faiblira pas.

Ces efforts, indispensables à notre sécurité collective, la France les a poursuivis aux côtés de tous ses partenaires : européens bien sûr, mais aussi dans le cadre du processus P5, qui réunit les cinq États dotés de l’arme nucléaire, dont la Russie. Dans cette enceinte, qu’elle a l’honneur de présider depuis près de deux ans, la France n’a eu de cesse de plaider pour une attitude responsable des États dotés.

Je souhaite réitérer aujourd’hui cet appel : nos efforts collectifs et les jalons posés au cours de ces derniers mois au sein du P5 – en faveur de la réduction des risques stratégiques ou encore en marquant notre attachement à la prévention de la guerre nucléaire et des courses aux armements au plus haut niveau –, ne sont pas des mots. Pour la France, ils nous engagent tous.

Je vous remercie.

Mise à jour : mars 2022