76e Assemblée générale des Nations unies - Débat général - Intervention de Jean-Yves Le Drian (Par visioconférence, 27 septembre 2021)

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Monsieur le Président de l’Assemblée générale,

Monsieur le Secrétaire général,

Mesdames et Messieurs les chefs d’État et de gouvernement,

Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,

En nous rappelant à quel point nos destins sont liés - pour le meilleur comme pour le pire -, la crise pandémique nous a aussi rappelé la valeur de ce qui, depuis plus de soixante-quinze ans, nous rassemble au sein de cette organisation. Le réflexe de la coopération, le primat du droit sur la force, le respect inconditionnel de la personne humaine : les principes de notre Charte n’ont rien perdu de leur sens. Bien au contraire. Les crises et les défis d’aujourd’hui leur donnent même une urgence nouvelle.

Notre sécurité, notre santé, notre planète sont désormais des biens communs, qu’il nous revient de travailler à préserver ensemble. Cet impératif n’a rien d’une abstraction, rien d’un idéal.

C’est, très concrètement, l’horizon de chacun de nos choix.

Et, tout aussi concrètement, la sanction de chacune de nos divisions, de chacun de nos renoncements, de chacune de nos impuissances.

Car, dans un monde d’échanges et d’interdépendances, un monde en état d’urgence environnementale, un monde en proie à de préoccupantes logiques de brutalisation et à la tentation persistante de l’unilatéralisme, tout ce que nous faisons collectivement - ou à l’inverse manquons de faire - nous engage tous. Nous devons en être conscients, et en tirer les conséquences. Ensemble.

Si, en dépit des assauts qu’ils ont subis ces dernières années, les fondements du système multilatéral ont prouvé leur solidité, trop de risques s’accumulent, qui ne sont pas maîtrisés. Au nom de la France, c’est donc d’abord un message de responsabilité que je souhaite porter devant vous aujourd’hui.

La première de nos responsabilités partagées, c’est le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Elles sont en péril, quand les jeux de puissance s’exacerbent, quand les logiques des blocs réapparaissent, quand nos cadres de régulation se défont, quand les tentatives du fait accompli se multiplient.

C’est pourquoi la France appelle de ses vœux la tenue d’un sommet du P5 pour établir un programme d’action commun.

Afin de rendre au Conseil de sécurité la capacité d’exercer tout son mandat.

Et afin d’engager le dialogue sur les sujets clé du contrôle des armements et de notre sécurité collective.

Et c’est pourquoi nous agissons, et continuerons d’agir, en faveur de la paix et de la stabilité dans l’espace Indopacifique avec nos partenaires de bonne volonté dans cette région et avec les autres Européens à nos côtés. La France, en tant que nation de l’Indopacifique y a des intérêts majeurs, tout comme l’Europe qui vient de se doter d’une stratégie en la matière.

La paix et la sécurité internationales se trouvent aussi directement mises en jeu à chaque fois qu’une crise éclate ou franchit un nouveau seuil.

En Afghanistan, notre devoir est d’apporter à la population l’aide humanitaire dont elle a besoin et notre intérêt commun est de porter une exigence politique et sécuritaire claire à l’égard du régime de Kaboul : tout lien avec les organisations terroristes doit être rompu.

Vingt ans après le choc du 11 Septembre, nous savons ce que la reconstitution d’un sanctuaire terroriste impliquerait pour nous tous.

Au Levant et au Sahel, pour la même raison, nous devons poursuivre le combat contre la menace terroriste, agir pour rétablir le dialogue là où il est rompu et redonner des perspectives d’avenir aux populations, à travers les combats de la stabilisation et du développement.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est rendu récemment à Bagdad afin d’y soutenir les efforts déterminés des Irakiens pour se rassembler et rétablir leur souveraineté.

Au Sahel, nous adaptons notre dispositif militaire pour rester en mesure d’agir dans la durée, de répondre aux attentes de nos partenaires régionaux et demeurer pleinement disponibles pour nos partenaires internationaux, ceux de la Coalition internationale pour le Sahel et ceux qui servent au sein de la MINUSMA. Cet effort qui se traduit par de réels résultats - j’en veux pour preuve la neutralisation récente d’Abou Walid al Sahraoui - cet effort ne sera toutefois pas durable sans stabilité politique et sans le respect du chemin démocratique. Je pense notamment au respect du calendrier fixé pour l’organisation des élections au Mali, qu’il est impératif de respecter.

En Libye, une voie crédible existe désormais pour rétablir l’unité et la souveraineté du pays, pourvu que chacun se conforme à ses obligations, que les mercenaires étrangers se retirent, que le cessez-le-feu perdure et que des élections se tiennent comme prévu, c’est-à-dire le 24 décembre prochain.

La France souhaite que le Conseil de sécurité, les voisins de la Libye, ceux qui y exercent une influence, agissent ensemble pour atteindre notre objectif commun d’aller au bout de la transition en cours.

C’est le sens de la Conférence internationale de soutien au processus politique et au rétablissement de la souveraineté libyenne que nous organiserons, à Paris, le 12 novembre prochain.

Au Proche-Orient divisé, le long de la ligne de contact en Ukraine ou encore dans le Haut-Karabagh et dans le Sud-Caucase où le risque de la conflictualité n’est toujours pas écarté, nous devons prévenir les tensions, défendre le droit international et apporter un soutien collectif à la mise en œuvre de solutions politiques concrètes.

Quant à la poursuite du programme nucléaire iranien, elle exige de nous la plus grande fermeté. L’Iran ne peut croire que le temps joue en sa faveur, car les risques d’une crise majeure augmentent à mesure que son programme nucléaire devient plus dangereux.

Les positions américaines d’hier ne peuvent justifier que l’Iran continue de violer les engagements qu’il a pris au titre du JCPoA.

La France prendra toutes les initiatives utiles au dialogue. Mais le seul chemin possible demeure celui d’un accord permettant d’établir que l’Iran respecte à nouveau ses obligations. Il est donc indispensable que la négociation reprenne très rapidement.

Les violations du droit international humanitaire constituent, enfin, également une grave menace pour la paix et la sécurité internationales.

En particulier lorsque des personnels humanitaires et médicaux sont pris pour cibles, alors même qu’ils portent secours aux populations. Nous devons donc nous donner les moyens de mieux prévenir ces crimes et de punir ceux qui s’en rendent coupables - en Syrie, au Yémen, au Niger, en RCA, en Éthiopie ou ailleurs.

Notre responsabilité - Mesdames et Messieurs -, c’est aussi de construire des réponses pragmatiques et solidaires aux grands défis globaux qui engagent notre avenir commun.

À commencer par le défi du Covid-19, qui n’est pas derrière nous.

Soyons très clairs : la santé des uns dépend de la santé de tous. Nous devons donc poursuivre les efforts qui, grâce à l’initiative ACT-A ont déjà permis à 141 pays de recevoir 255 millions de doses de vaccin. Il n’est pas possible que nous laissions se creuser encore la fracture vaccinale qui existe aujourd’hui entre le Nord et le Sud.

Parce que le sens et la crédibilité mêmes du multilatéralisme sont en jeu dans cette épreuve.

Et parce que nous savons que l’immunité sera globale ou ne sera pas.

Il est donc urgent d’obtenir une accélération des livraisons, de nous assurer que chaque vaccin livré soit bien administré et de renforcer nos capacités de production sur tous les continents.

La France continuera d’y travailler en étroite concertation avec ses partenaires, notamment ceux du continent africain.

Notre engagement de donner 60 millions de doses sera tenu d’ici la fin de l’année.

Et nous sommes fiers de contribuer à financer un projet de transfert de technologie en Afrique du sud qui devra permettre de développer sur le continent des capacités autonomes de production de vaccins à ARN messager.

La solidarité internationale doit aussi prévaloir face à l’autre défi de la crise pandémique : le défi de la relance économique.

L’initiative de suspension de la dette que nous avons prise au G20, puis l’établissement d’un cadre commun pour son traitement ont d’ores et déjà permis d’apporter une réponse à l’urgence. Mais il faut aller plus loin, en construisant, avec l’Afrique, le nouveau pacte que le Président Macron a appelé de ses vœux au Sommet sur le financement des économies africaines en mai dernier.

Le G20 doit s’engager pour que l’allocation des droits de tirage spéciaux que nous avons décidée au FMI soit rapidement complétée par la réallocation d’une partie d’entre eux aux pays qui en ont le plus besoin.

La France est prête à transférer 20% de son allocation de DTS vers les économies africaines, afin de renforcer la résilience des sociétés et d’accompagner la transition vers un modèle de développement soutenable et conforme à nos objectifs pour le climat et l’environnement.

L’urgence environnementale doit, en effet, être au cœur de chacun de nos choix d’avenir.

Sans fatalisme, car les experts du GIEC nous disent que, si nous baissons rapidement le niveau de nos émissions, nous pouvons encore contenir le réchauffement à 2 voire même 1,5 degrés Celsius. Il est urgent d’agir mais il n’est pas trop tard !

Mais, le faire aussi, sans demi-mesures, car - comme l’a dit avec force le Secrétaire général - nous courons aujourd’hui à la catastrophe, en raison d’engagements insuffisants qui nous mèneraient à un réchauffement climatique de 2,7 degrés dont nous finirions tous, sans exception, par payer le prix fort.

La COP26 qui s’ouvrira le 1er novembre prochain sera donc un moment de vérité.

Chacun d’entre nous doit, en responsabilité, y apporter une contribution à la mesure des enjeux. À savoir des milliers de vies humaines, la stabilité internationale, l’avenir des nouvelles générations. Avant qu’il ne soit trop tard, nous devons nous retrouver autour de l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Là encore, la France sera solidaire : elle apportera six milliards d’euros par an et consacrera plus d’un tiers de ses financements à l’adaptation climatique.

Ce combat pour le climat doit aller de pair avec le combat pour la biodiversité. À Marseille, lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui s’est tenu début septembre, nous avons pris des engagements forts, qu’il nous faut maintenant mettre en œuvre, en particulier, concrétiser le projet emblématique de la Grande muraille verte au Sahel.

Nous devons aussi mettre en œuvre la finance climat au service de la biodiversité, tant les liens entre les deux sujets sont désormais avérés.

Dans cette période de redémarrage de l’économie mondiale, nous devons, enfin, veiller à ce que nos pratiques commerciales soient bien compatibles avec notre volonté de solidarité internationale et nos objectifs climatiques et environnementaux.

En nous donnant de nouveaux leviers conformes au droit de l’OMC, comme le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières que nous voulons mettre en place en Europe pour lutter contre les fuites de carbone, de la même manière que nous voulons lutter contre la déforestation importée et contre les violations des droits sociaux tout au long de nos chaînes de valeur.

Et puis en travaillant, dans le même temps, au "verdissement" concret du cadre commercial multilatéral, dès la ministérielle OMC de cette année, à commencer par un accord ambitieux pour réguler les subventions à la pêche. Il y va du futur de nos océans.

Nous avons enfin une responsabilité à l’égard des principes mêmes du multilatéralisme, dont nous sommes les dépositaires.

La responsabilité, d’abord, de préserver notre capacité à agir au nom de ces principes et promouvoir un ordre international réellement multilatéral.

À cet égard, Monsieur le Secrétaire général, je tiens à saluer votre action et vos efforts pour insuffler une nouvelle dynamique au système des Nations unies. Nous serons à vos côtés tout au long de votre second mandat.

Tout en soutenant nos institutions collectives, y compris dans leurs efforts de réforme, nous devons aussi continuer à développer un multilatéralisme de projets.

Celui de l’Alliance pour le multilatéralisme, que nous avons lancée il y a deux ans avec mon collègue allemand et qui a su jouer tout son rôle dès le début de la crise pandémique.

Ou encore celui l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit, qui réalise un travail remarquable en Irak, en Syrie, au Mali et aussi en Afghanistan, en lien avec l’UNESCO.

Nous avons la responsabilité, aussi, de défendre ces principes là où ils vacillent.

En Afghanistan, où les acquis des vingt dernières années ne peuvent s’effacer. Tout particulièrement en ce qui concerne l’accès à l’éducation et les droits des femmes et des filles.

Et partout où la portée universelle des droits humains est remise en cause.

Car l’universalité de ces droits est la première traduction politique et juridique de l’unité du genre humain, sans laquelle cette organisation, notre organisation, serait dépourvue de fondement. Il s’agit également - je le rappelle - d’un engagement que les États membres des Nations unies ont librement consenti à signer et à respecter.

Ces principes qui nous rassemblent, nous avons enfin la responsabilité de les faire vivre au présent, en les portant jusque dans l’espace numérique.

Nous y voyons prospérer des comportements de plus en plus irresponsables, sans parvenir, malheureusement, à apporter une réponse normative internationale à même de réguler ces dérives et d’y faire respecter les droits et les libertés de tous.

La mise en place d’un impôt universel minimal de 15% pour les entreprises multinationales y contribuera. Nous appelons donc tous les États à se rallier à cette mesure essentielle.

La France et ses partenaires européens entendent même se doter d’une véritable législation sur les marchés numériques. Nous encourageons nos partenaires internationaux à nous suivre sur cette voie, et nous les invitons à œuvrer avec nous à l’instauration d’un nouvel ordre public numérique, dans le sillage de l’Appel de Paris ou de l’Appel de Christchurch qui, depuis 2019, nous permet désormais d’agir de manière décisive pour obtenir le retrait de contenus terroristes sur internet.

Responsabilité collective dans le maintien la paix et de la sécurité internationales ; responsabilité partagée face aux grands défis d’aujourd’hui ; responsabilité de chacun d’entre nous à l’égard de cela même qui nous rassemble : voilà, pour la France, ce qu’appelle, le moment de bascule historique que nous sommes en train de vivre. Nous devons tous être au rendez-vous.

Alors que notre pays s’apprête à exercer la présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, vous pouvez - Mesdames et Messieurs - compter sur notre détermination à assumer pleinement notre part de cette triple responsabilité.

En nous engageant dans tous les combats de la sécurité, de la solidarité et de l’égalité.

Pour rebâtir, avec vous, notre monde commun.

Je vous remercie.