Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne au Conseil de sécurité de l’ONU (28 mars 2018)

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Intervention de M. Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères lors du débat ouvert du Conseil de sécurité sur les opérations de maintien de la paix (28 mars 2018)

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union africaine,
Madame la directrice du Groupe de Recherche, d’Étude, de Formation Femme-Action,
Mesdames et Messieurs les Ministres, chers collègues,

Je souhaite tout d’abord vous remercier, Monsieur le Président ce débat. Vos contributions, Monsieur le Président, du Secrétaire général, du Président de la Commission de l’Union africaine et de, Mme Touré nous guident sur ce chemin de la réforme qui a été courageusement initiée.

Ils s’appellent Peter, néerlandais ou Aïchatou, nigérienne au sein de la Minusma, Ratih, indonésienne au sein de la FINUL au Liban, Luis, chilien en Haïti au sein de la MINUJUSTH, je tiens et la France tient à leur rendre un vibrant hommage. Ils sont de ces 100 000 militaires, policiers et civils qui risquent leurs vies chaque jour dans les opérations de maintien de la paix protégeant des dizaines de millions de personnes à travers le monde. Et leur casque bleu, ce casque bleu, incarne plus que tout et plus que jamais l’Organisation des Nations unies. Il est synonyme d’espoir comme en a témoigné personnellement le Ministre d’Etat [de la Côte d’Ivoire] Bakayoko.

Je tiens également à saluer la mémoire des quelques 3 700 casques bleus morts en opération dont 113 de mes compatriotes. Leur sacrifice au service de la paix ne sera jamais oublié. Et permettez-moi, Monsieur le Président, au moment où la nation française toute entière salue l’héroïsme du Colonel Beltrame, de l’associer à cet hommage rendu à ceux qui donnent leur vie pour que d’autres puissent vivre et survivre.

Vous comprendrez alors pourquoi la France est et restera engagée avec force, constance et conviction dans le travail sur l’amélioration des opérations de maintien de la paix. C’est parce que ces opérations sont indissociables des ambitions originelles des Nations unies, qu’il en va de notre crédibilité collective et que ce travail de réforme doit conforter l’efficience des opérations de maintien de la paix. Il s’agit bien sûr de contribuer au règlement politique des conflits, dans des contextes de plus en plus complexes, de protéger les civils victimes des conflits, de la violence et des violations massives des droits de l’Homme… Bref il s’agit de construire avec les membres des Nations unies un multilatéralisme d’action au service de la paix et de la sécurité.

Comme l’a souligné le Secrétaire général, dont je veux saluer la vision et la détermination, il s’agit d’une entreprise complexe, difficile mais indispensable. Elle est réussie lorsqu’on regarde l’exemple ivoirien, le Libéria, le Timor Leste. Mais elle est parfois confrontée effectivement à des défis politiques et sécuritaires d’un genre nouveau pour affronter des menaces asymétriques. Face à cela, nous devons réfléchir et surtout agir. Les opérations de maintien de la paix sont notre bien commun. C’est pourquoi nous souhaitons avec vous toutes et vous tous porter une nouvelle ambition.

Pour y parvenir, Monsieur le Président, nous devons tout d’abord réaffirmer un principe cardinal : le maintien de la paix est un outil au service d’un objectif politique de pacification. Les opérations de maintien de la paix doivent s’inscrire dans cet horizon politique. Très souvent les acteurs concernés, locaux, régionaux et multilatéraux conduisent ces processus politiques et les opérations de maintien de la paix doivent y contribuer activement, en pleine coordination avec eux. Coordination : un mot clé. Je crois qu’il doit s’appliquer également en relation entre les différentes entités qui sont présentes sur ces terrains que le nexus sécurité-développement ne soit pas qu’un concept pour alimenter les travaux de recherche mais soit véritablement efficace sur le terrain.

Pour assurer un succès des opérations de maintien de la paix, l’impératif est double : mieux prioriser et séquencer les mandats pour éviter ce que le Secrétaire général a appelé « le sapin de noël ». C’est particulièrement important pour les mandats multidimensionnels qui font le lien avec la consolidation de la paix. Les objectifs de court terme comme de long terme doivent pouvoir être bien appréhendés par toutes les composantes des missions comme par leurs partenaires extérieurs. Ces mandats doivent ensuite être convertis en concepts d’opérations et règles d’engagement appliqués par tous les Casques bleus dans le cadre des principes du maintien de la paix.

Cette ambition d’un maintien de la paix toujours plus efficient nécessite des opérations conduites dans des conditions optimales. La présidence néerlandaise nous a justement invités à aborder la question des critères du succès, de la mesure des progrès et de l’évaluation de la performance. Cela nous concerne tous : membres du Conseil de sécurité, Secrétariat général, contributeurs de forces, pays hôtes, organisations régionales.

Nous nous y attachons en tant que contributeur de troupes, 2ème contributeur européen et 2ème contributeur parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Il ne s’agit pas de décerner de bons ou mauvais points, il s’agit d’améliorer le niveau global du maintien de la paix. Le développement d’outils d’évaluation, d’analyse et d’action par le Secrétariat général doivent y aider. Et les revues stratégiques qui sont conduites par le Secrétariat s’inscrivent aussi dans ce mouvement. Les pays contributeurs de troupes et de police doivent également participer pleinement à cet effort. Et une meilleure performance sera atteinte dès lors qu’il y aura aussi un respect pointilleux des lignes de conduite et des conditions d’exercice de la mission. Cela permettrait de réduire le nombre de Casques bleus tués ou blessés en opérations, toujours trop nombreux.

Les rapports Brahimi, HIPPO et Cruz ont émis des recommandations pertinentes et opérationnelles pour améliorer la performance globale du maintien de la paix.
Le temps de l’action est venu. Cette journée est un moment important dans le processus qui a été initié par le Secrétaire général.

Pour nous, l’amélioration de la performance passe par trois composante clés.

Tout d’abord, la formation. Avant et pendant le déploiement naturellement, avec des formations opérationnelles militaires de base mais également sur le plan linguistique. Parce que sans interaction avec les populations locales, ces forces ne peuvent être pleinement efficaces. Cette réalité était au cœur des enjeux de la conférence ministérielle organisée à Paris fin 2016 sur le maintien de la paix en environnement francophone. Nous sommes très attachés, la France, à y contribuer : nous formons près de 30 000 soldats africains francophones par an, qui fournissent eux-mêmes de forts contingents pour les opérations de maintien de la paix.

Nous souhaitons développer davantage encore notre coopération avec les forces contributrices, avec le Secrétariat des Nations unies. Nous allons accroître notre engagement à l’enseignement du français dans les académies militaires et de police, en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Nous souhaitons également apporter notre pierre à l’édifice en contribuant à la plus large diffusion des concepts doctrinaux rédigés par le
Secrétariat et aider à renforcer la participation aux opérations de maintien de la paix par l’acquisition de compétences opérationnelles nécessaires. Cela permettra d’accompagner efficacement les étapes menant aux certifications de pré-déploiement.

La deuxième clef de la performance est une meilleure génération de forces, avec la nécessité d’augmenter la mobilité, la capacité de projection, d’augmenter également la présence des femmes au sein des opérations.

Le troisième point clé c’est que ces opérations de maintien de la paix puissent disposer des ressources nécessaires pour la mise en œuvre de toutes les composantes de leur mandat, et utiliser de la meilleure façon possible ces ressources. En tant que cinquième contributeur financier au budget du maintien de la paix, la France y contribue pleinement.

La France consulte les pays contributeurs de troupes en amont des renouvellements de mandat dont la France a la charge. Et nous nous engageons à le faire encore plus régulièrement, tout au long de l’année.

Sachez aussi que l’exemplarité des agents du maintien de la paix est pour nous cruciale. Nous soutenons pleinement la politique de « tolérance zéro » du Secrétaire général concernant les abus sexuels. La prévention et la répression des violences sexuelles sont essentielles. Toute violation du droit doit être sanctionnée avec fermeté. Cette tolérance zéro doit s’étendre à tous les comportements qui pourraient nuire au bon déroulement des missions.

Enfin, notre ambition pour le maintien de la paix doit pleinement se refléter dans les relations des Nations unies avec les organisations régionales. Elles jouent un rôle croissant dans la promotion de la paix et la sécurité. La Charte des Nations unies avait été clairvoyante avec son Chapitre VIII.

L’Union européenne joue un rôle indispensable. C’est aussi le cas, évidemment, de l’Union africaine et des organisations sous régionales du continent. Leurs opérations peuvent jouer un rôle parfaitement complémentaire à celles des Nations unies. Cela a été parfaitement dit tant par le Secrétaire général que par le Président de la Commission de l’Union africaine. On le voit aussi avec la force conjointe du G5 Sahel, dont la pleine opérationnalisation doit faciliter la mise en œuvre du mandat de la MINUSMA. La France salue et soutient pleinement ces opérations qui doivent pouvoir disposer de systèmes de planification et de redevabilité établis, ainsi que de mécanismes de financement prévisibles et durables. Nous y contribuerons naturellement. Le moment venu, et comme l’a indiqué le Président de la République à Ouagadougou en novembre dernier, la France soutiendra au Conseil de sécurité l’initiative de l’Union africaine en vue d’assurer un financement autonome et prévisible des opérations africaines de paix.

Monsieur le Président,

Je terminerai en rappelant que cette année 2018 marque le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Ce rendez-vous nous appelle à une responsabilité collective de ne pas laisser l’histoire se répéter encore et encore. C’est pourquoi la France est pleinement engagée pour que le multilatéralisme, et en particulier les Nations unies, puissent répondre aux défis d’aujourd’hui. Le maintien de la paix est l’incarnation de cette ambition. Il sera au cœur du Forum de Paris sur la Paix le 11 novembre prochain. Ce Forum inscrira pleinement son action en appui des efforts des Nations unies pour faire reculer la guerre, première édition d’un rendez-vous annuel qui associera les Etats, les organisations internationales et la société civile pour faire avancer la gouvernance mondiale, pour qu’elle soit toujours plus efficace, adaptée, pour répondre aux défis mondiaux contemporains.

Nous qui sommes aujourd’hui confortablement assis ici, nous le devons aux populations otages de conflits, nous le devons à nos peuples qui demandent de l’action et non de la résignation, nous le devons à Aïchatou, à Peter, à Ratih, à Luis qui, au moment où je parle, incarnent l’ONU et l’espoir sur le terrain. Je vous remercie.