Tribune : Pour lutter contre les changements climatiques, luttons contre les fuites de carbone (Politico /23.03.2021)

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(Traduit de l’anglais)
Politico – 23 mars 2021 - Opinion

L’UE a besoin d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui soit efficace, légitime et équitable.

Plus de cinq années après l’adoption de l’Accord de Paris, il est plus urgent que jamais de mener une action climatique au plan mondial.

Un certain nombre d’évolutions positives font espérer la possibilité d’apporter une réponse collective à cet enjeu mondial. L’UE s’est fixé comme objectif de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050, et plus de 130 pays, représentant environ 65 pour cent des émissions mondiales, ont élaboré ou envisagent des plans visant le même objectif. La décision prise par les États-Unis en début d’année d’adhérer à nouveau à l’Accord de Paris est une bonne nouvelle.

Pourtant, nous sommes toujours en-deçà des objectifs fixés par l’Accord de Paris et devons de manière urgente faire davantage.

Les dirigeants de l’UE ont déjà décidé de faire passer d’ici à 2030 l’objectif de réduction des émissions nettes à l’échelle européenne à au moins 55 pour cent par rapport aux niveaux de 1990. Il s’agit là d’une avancée encourageante dans la perspective des discussions de la COP26 sur le climat qui se tiendra cette année à Glasgow.

Ceci dit, si nous voulons atteindre nos objectifs communs, une difficulté nous guette : comment garantir que les politiques climatiques ambitieuses de l’UE ne reviennent pas à faire basculer les émissions vers d’autres pays qui n’ont pas encore atteint le même niveau d’engagement ?

Le risque connu sous le nom de « fuite de carbone » est de plus en plus fort au fur et à mesure que l’écart s’accroît entre les politiques climatiques, plus ou moins ambitieuses, des pays. C’est là un sujet de préoccupation, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, cela sape l’efficacité de nos politiques climatiques à l’échelle mondiale, parce que d’autres pays pollueront davantage afin de produire les biens de consommation dont nous avons besoin. Deuxièmement, cela risque de compromettre le soutien des populations à nos programmes ambitieux de lutte contre les changements climatiques.

Il incombe aux dirigeants de l’UE de prendre rapidement des mesures pour remédier à ce problème afin de préserver et de renforcer nos politiques climatiques dans leur ensemble.

C’est pourquoi nous avons besoin d’un projet de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières d’ici à 2023 qui soit efficace, légitime, et équitable. Efficace parce qu’il pourra mieux remédier aux fuites carbone que les instruments déjà existants ; légitime parce qu’il doit être en conformité totale avec les règles internationales fixées par l’Organisation mondiale du commerce et en cohérence avec le cadre établi par l’Accord de Paris ; et équitable, parce qu’il sera mis en œuvre de manière transparente et en concertation avec nos partenaires commerciaux, sans établir de discrimination entre producteurs nationaux et producteurs étrangers.

Pour ce faire, nous demandons à la Commission européenne de présenter d’ici à l’été une proposition de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui soit conforme aux règles de l’OMC, garantisse la non-discrimination et s’articule bien avec le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE, et qui pourrait constituer le pendant du marché européen du carbone.

Ce mécanisme doit également s’appuyer sur des références solides et équitables pour procéder aux calculs d’ajustement. Ceux-ci pourraient se fonder, dans un premier temps, sur une valeur par défaut en matière d’intensité carbone des produits importés. Cela permettrait aux importateurs au sein de l’UE de démontrer la faible intensité carbone de leurs produits, en fournissant ainsi une incitation à une plus grande efficacité climatique.

Cette proposition doit également prendre en compte les politiques climatiques et le niveau de développement des pays tiers en associant ces derniers à la conception et au suivi du mécanisme. Une approche graduelle devrait être adoptée, qui pourrait dans un premier temps viser un nombre limité de secteurs pilotes faisant face à un risque élevé de fuite carbone et auxquels le mécanisme pourrait facilement être appliqué au plan technique et administratif. Il devrait également pouvoir remédier aux fuites de carbone se produisant par le biais de marchés tiers pour les secteurs européens qui exportent.

L’UE s’est construite avec succès autour d’un engagement fort en faveur du multilatéralisme. Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE contribuera à consacrer cette valeur fondamentale. Nous serons heureux de pouvoir discuter avec les autres États membres et avec le Parlement européen de la proposition qui sera présentée par la Commission.

Il ne s’agit pas là d’un « protectionnisme vert », mais bien d’une opportunité pour améliorer la coopération et la concertation internationales en matière de changements climatiques.

Au bout du compte, l’objectif général d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE est de susciter une dynamique qui bénéficie à tous et de contribuer à la réalisation de notre ambition collective afin de répondre dans l’urgence à l’enjeu climatique qui nous concerne tous.

Gernot Blümel, ministre fédéral des finances de l’Autriche ;
Leonore Gewessler, ministre fédérale pour l’action climatique, l’énergie, la mobilité et la technologie de l’Autriche ;
Alexander Schallenberg, ministre fédéral des Affaires européennes et étrangères de l’Autriche ;
Tomáš Petříček, ministre des affaires étrangères de la République tchèque ;
Dan Jørgensen, ministre du climat, de l’énergie et des services publics du Danemark ;
Jeppe Kofod, ministre des affaires étrangères du Danemark ;
Nicolai Wammen, ministre des finances du Danemark ;
Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la France ;
Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance de la France ;
Barbara Pompili, ministre de la transition écologique de la France ;
Simonas Gentvilas, ministre de l’environnement de la Lituanie ;
Jean Asselborn, ministre des affaires étrangères du Luxembourg ;
Carole Dieschbourg, ministre de l’environnement, du climat et du développement durable du Luxembourg ;
Pierre Gramegna, ministre des finances du Luxembourg ;
Eduard Heger, ministre des finances de la Slovaquie ;
Nadia Calviño, ministre des affaires économiques et de la transformation numérique de l’Espagne ;
Teresa Ribera, ministre de la transition écologique de l’Espagne ;
Wopke Hoekstra, ministre des finances des Pays-Bas ;
Hans Vijlbrief, secrétaire d’État aux finances des Pays-Bas ;
Bas van’t Wout, ministre des affaires économiques et de la politique climatique des Pays-Bas.

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