Blockchain et la technologie « des registres distribués » : le prochain chantier numérique du Royaume-Uni ?

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Royaume-Uni | Politiques de recherche, technologiques et universitaires
2 février 2016

Le Chief Scientific Advisor Sir Mark Walport vient de publier un rapport invitant le gouvernement britannique à pleinement embrasser les nombreuses potentialités offertes par la technologie « des registres distribués » (Distributed Ledger Technology), dont l’exemple le plus connu est la blockchain, à l’origine de la fameuse cryptomonnaie Bitcoin apparue en 2008.

1. La blockchain, une technologie en plein essor

Depuis plusieurs mois, la technologie blockchain fait de plus en plus parler d’elle au Royaume-Uni. Créée en 2008 par le mystérieux Satoshi Nakamoto (pseudonyme utilisé par le créateur qui n’a jusqu’à présent jamais été identifié avec certitude) afin de supporter une nouvelle monnaie alternative, le Bitcoin, les nombreuses applications potentielles de la blockchain pour des usages très variés alimentent aujourd’hui de vives discussions.

Car en effet, cette technologie présente des fonctionnalités séduisantes : elle permet d’enregistrer des transactions ou des données dans des « registres » virtuels (ledger en anglais) non pas centralisés, mais simultanément enregistrés et mis à jour sur un réseau d’ordinateurs. Chaque transaction (représentée par un « bloc ») est liée à la suivante par un code et s’ajoute ainsi à la « chaîne de blocs » (le fameux « registre ») après avoir été vérifiée par les membres du réseau. Toute mise à jour des données se répercute alors sur l’ensemble du réseau de sorte que chaque utilisateur possède en permanence la dernière version de ces « registres », sans l’intervention d’une autorité centrale (par exemple, d’une banque dans le cas du Bitcoin).

Principalement utilisée aujourd’hui dans l’univers des cryptomonnaies afin de développer des alternatives aux devises d’Etat, et suscitant de fait un intérêt poussé dans l’univers de la fintech, cette technologie commence également à être testée dans d’autres environnements où se posent des questions similaires de stockage de données ou de traçabilité des transactions, comme par exemple la gestion de contrats (on parle alors de smart contracts).

L’intérêt de la blockchain dans la sphère publique est également de plus en plus discuté, suite à plusieurs expérimentations comme au Honduras qui déploie cette technologie pour son cadastre, ou encore en Estonie [1] , qui a mis en place un système de gestion des données personnelles des citoyens dénommé Keyless Signature Infrastructure sur un outil de type blockchain.

Au Royaume-Uni, celle-ci fait partie des grandes tendances technologiques 2016 identifiées par le Digital Catapult ou encore la charity Nesta.

2. Intérêt de la blockchain : résilience, transparence, efficacité

Alors que le gouvernement britannique a entamé un important chantier de modernisation de ses services dans laquelle le numérique tient une place de premier plan (une nouvelle stratégie numérique a d’ailleurs été annoncée), la parution du rapport « Distributed Ledger Technology : beyond blockchain » du Chief Scientific Advisor Sir Mark Walport constitue une contribution importante à ces discussions.

Bien qu’encore essentiellement expérimentale, la nature profondément décentralisée de la blockchain est porteuse de nombreux espoirs pour le développement et la commercialisation de nouvelles offres de services. Les deux ministres ayant préfacé le rapport, Matt Hancock (ministre du Cabinet Office) et Ed Vaizey (secrétaire d’état en charge de la culture et de l’économie numérique) ont ainsi clairement établi un rapprochement avec l’Open Data en termes de potentiel disruptif pour les entreprises et les services publics.

Sir Mark Walport souligne les avantages de la blockchain en matière de transparence (n’importe quel usager a accès aux données), sécurité (un tel réseau est de fait beaucoup plus difficile à pirater puisque toute donnée validée est impossible à modifier) mais aussi d’amélioration des services proposés aux citoyens qui pourraient être davantage personnalisés et efficaces. La réduction des coûts que pourrait permettre cette technologie est également soulignée.

Ce rapport présente ainsi une série de huit recommandations pour apporter un soutien politique réel à l’exploitation économique de la blockchain, mais aussi accompagner son adoption au sein même des services du gouvernement.

3. Engagement politique, R&D et définition de standards au cœur des recommandations

De la définition d’une vision politique à la mise en place de projets-tests

Ce rapport est une invitation très volontaire à l’adresse du gouvernement pour s’engager résolument et sans plus attendre sur la voie de la technologie blockchain. Agitant le drapeau de la concurrence internationale et du risque pour le Royaume-Uni de se retrouver rapidement dépassé sur un secteur prometteur, le Chief Scientific Adviser incite la sphère politique à proposer une stratégie concrète de développement de ces technologies sous la double tutelle du Government Digital Service et de la DCMS (Department for Culture, Media & Sport) Digital Economy Unit.

Il propose également un panel d’initiatives incluant notamment le soutien au lancement de démonstrateurs urbains pour explorer l’application locale de cette technologie, ainsi que l’expérimentation au sein même des services publics centraux sur des projets pilote. Des études de cas imaginant un usage concret de la blockchain viennent illustrer le propos sur des secteurs emblématiques tels que la gestion des prestations sociales, la lutte contre les fraudes fiscales, ou encore la protection d’infrastructures critiques contre les cyberattaques.

La R&D et le rôle central accordé à l’Alan Turing Institute

La technologie des « registres partagés » est, on l’a vu, très récente et fait encore l’objet de nombreuses recherches pour permettre l’émergence de produits répondant à toutes les conditions de performance et de sécurité attendues. Le rapport insiste ainsi sur l’importance à accorder au développement d’une politique R&D cohérente et encourageant la coordination entre recherche publique et privée, afin d’améliorer l’efficacité des travaux entrepris.

A cet égard, l’Alan Turing Institute, toute nouvelle structure de recherche lancée en novembre dernier sur le secteur porteur des data sciences, est invité à assumer ce rôle pivot pour le développement de la blockchain, en collaboration avec une série d’acteurs institutionnels et associatifs identifiés comme incontournables sur ces thématiques : les Digital et Future Cities Catapult, l’Open Data Institute, ou encore le Think Tank Whitechapel, qui se spécialise sur la fintech.

Le développement indispensable de nouveaux standards et protocoles

Pour finir, le rapport insiste à plusieurs reprises sur la définition de nouveaux protocoles et standards pour la mise en œuvre de fonctionnalités essentielles telles que l’identification des usagers, le respect de la confidentialité des données personnelles susceptibles d’être échangées, ou encore la sécurité générale du système, puisque comme il est souligné, sa principale fragilité réside dans l’étape d’authentification des usagers au moment de la soumission de nouvelles données. Là encore, le monde académique, et au premier rang l’Alan Turing Institute, est sollicité pour apporter sa contribution sur ces questions.

4. Des réactions mesurées parmi les acteurs britanniques du numérique

La sortie de ce rapport a suscité un intérêt certain parmi les grandes organisations britanniques évoluant sur le secteur du numérique.

L’Open Data Institute et le Digital Catapult, tous deux cités comme partenaires incontournables dans le rapport, ont ainsi publié une réponse conjointe positive. S’ils approuvent sans réserve la thèse générale du potentiel économique majeur à retirer de la technologie blockchain et la nécessité pour le Royaume-Uni de soutenir son développement, ils soulignent néanmoins également les importants défis qui doivent être relevés, que ce soit le développement d’un modèle économique viable, l’accompagnement pédagogique des citoyens pour leur permettre de pleinement s’approprier cette technologie, ou encore le respect des normes juridiques telle que le droit à l’oubli européen, pouvant requérir la suppression totale de données – impossible au sein d’une architecture distribuée telle que la blockchain.

Par ailleurs, dans une déclaration séparée, l’ODI interroge davantage le déploiement de cette technologie au sein des services publics, et alerte sur le risque de céder à un effet de mode qui pourrait conduire à une adoption aveugle et potentiellement dommageable. Il insiste ainsi sur la nécessité de correctement évaluer les domaines d’applications où la blockchain est susceptible d’apporter une réelle plus-value sans créer de risques nés de l’important bouleversement organisationnel induit (Like most technologies, blockchains could cause significant damage if used indiscriminately).

Sources :

Rédacteur : Eva Legras, eva.legras[at]ambascience.co.uk

[1L’Estonie fait partie du groupe D5 (« The Digital 5 »), un réseau lancé en 2014 de cinq pays leaders dans le développement du numérique : Royaume-Uni, Estonie, Israël, Nouvelle-Zélande et Corée du Sud.