Les travaux d’un physicien portugais pourraient expliquer deux des grands mystères de l’Univers

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13 juillet 2018

Les trous noirs, la matière noire et les impulsions radio rapides - trois phénomènes de l’Univers pour lesquels de nombreux physiciens ont débattu, et continuent à débattre. Si la physique des trous noirs est déjà mieux connue, la matière noire et les impulsions radio rapides demeurent deux grandes énigmes.

Plus de 26% de l’Univers serait composé de matière noire - connue depuis les années 1930 à cause des effets qu’elle provoque autour d’elle - et seulement 5% de l’univers serait composé de matière « normale » (le reste serait composé d’énergie noire, contrecarrant les effets de la gravité). Mais de quoi la matière noire est faite, cela personne ne le sait. Tout comme nous ne savons pas ce qui donne naissance aux impulsions radio rapides – ces énormes explosions lumineuses provenant de l’espace profond, détectées pour la première fois en 2007. Et si l’étude des trous noirs expliquait à la fois la nature de la matière noire et des impulsions radio rapides ? C’est la proposition de João Rosa, de l’Université d’Aveiro, dans un article de la revue Physical Review Letters.

João Rosa, 35 ans, est un chercheur en physique théorique Après un doctorat à l’Université d’Oxford et un postdoctorat à l’Université d’Édimbourg, il est retourné au Portugal en 2012 à l’Université d’Aveiro. Il étudie les trous noirs qui auraient surgi au début de l’Univers, une fraction de seconde après le Big Bang, il y a environ 13,8 milliards d’années.

Un trou noir se forme lorsque la matière s’effondre sur elle-même, créant un objet dense, que nous ne voyons pas directement et d’où la lumière, compte tenu de la gravité, ne parvient plus à s’échapper. Ainsi lorsqu’elles meurent, les étoiles super massives donnent lieu à des trous noirs. Pour cela elles doivent avoir une masse équivalant à plusieurs fois celle de notre Soleil pour se transformer en ces objets très denses. De plus, au centre des galaxies, comme notre Voie Lactée, on pense que l’énorme accumulation de matière a également conduit à des trous noirs gigantesques.

L’hypothèse de l’existence de trous noirs primordiaux, créés une fraction de seconde après le Big Bang, a été émise pour la première fois par le physicien britannique Stephen Hawking en 1971. Ces trous noirs se seraient formés dans des régions de l’espace aux densités extrêmement élevées, faisant suite à un effondrement de ces zones par action de gravité. Plus petits et "plus légers" que les trous résultant de la mort des étoiles, ils auraient survécu jusqu’à ce jour. "Ils sont hypothétiques, pour l’instant", explique João Rosa.

Lorsqu’ils tournent très rapidement, les trous noirs primordiaux pourraient créer autour d’eux un nuage de particules - les axions. L’existence de ces particules a été proposée à la fin des années 1970. Puis, en 1983, on a avancé que les axions pourraient être la matière noire que nous ne pouvions pas détecter, l’hypothèse de la présence de matière noire ayant été émise par le physicien Fritz Zwicky en 1933 déjà.

Selon João Rosa, les axions pourraient être la matière noire de l’Univers car ils n’émettent pas de lumière dans des conditions normales, précisant vouloir découvrir si les nuages [d’axions] émettaient un rayonnement électromagnétique, chose que personne n’avait encore considéré.

Si les axions émettaient un certain rayonnement électromagnétique - c’est-à-dire des photons, de la lumière - alors il serait possible d’attraper d’une façon quelconque ces particules hypothétiques. Et, en confirmant que les axions sont les constituants principaux de la mystérieuse matière noire, la nature de cette matière invisible serait alors révélée. Jusqu’à présent, les nuages d’axions formés autour de trous noirs instables étaient considérés comme incapable d’émettre des rayonnements électromagnétiques détectables, car la probabilité qu’un axion ne se transforme spontanément en photons est extrêmement faible.

Les résultats du portugais João Rosa et de l’américain Thomas Kephart, de l’Université Vanderbilt (USA), les deux auteurs de l’article paru dans la revue Physical Review Letters, indiquent précisément la possibilité de voir un axion se transformer en photon et devenir ainsi détectable.

Comme l’expliquent les chercheurs dans l’article, lorsque deux trous noirs entrent en collision, ils forment un nouveau trou noir qui se met à tourner très rapidement sur lui-même, le rendant instable, provoquant ainsi un dense nuage d’axions autour de lui. Ce nuage a la forme d’un beignet.

Dans ce nuage, certains axions se désintègrent, se transformant en deux photons, constituants du rayonnement électromagnétique. Chacun de ces photons stimule à son tour la désintégration d’un autre axion du nuage en deux autres photons, et ainsi de suite. Cet effet est similaire à ce qui se passe dans un laser et génère tellement de photons que le nuage d’axions devient aussi brillant qu’un milliard d’étoiles en un millième de seconde, selon le physicien. Le rayonnement émis a une longueur d’onde se situant dans la gamme radio du spectre électromagnétique, expliquant donc pourquoi nous observons ce phénomène comme étant une impulsion radio rapide.

C’est à partir de cette découverte théorique selon laquelle les axions pourraient se transformer en photons qu’un lien est ainsi apparu – par hasard – entre les impulsions radio rapides, et les grandes explosions de lumière venant de l’espace profond découvertes en 2007, avec le radiotélescope de Parkes en Australie.

Depuis lors, il y a eu plus de 30 de ces rafales très brillantes d’ondes radio, qui ne durent que quelques millisecondes. On pense qu’elles proviennent de galaxies très lointaines. Dans une seule des explosions - désignée FRB121102 – il était possible d’identifier la galaxie de provenance, située à environ 3 milliards d’années-lumière de la Terre. Mais au sein de ces galaxies lointaines, ce qui causait ces explosions restait un mystère. Selon João Rosa, malgré les nombreuses théories proposées pour les expliquer, leur origine est restée inconnue. « Nous avons constaté que ces impulsions peuvent être dues à d’énormes explosions électromagnétiques autour de petits trous noirs qui se sont formés dans l’Univers », déclarait-il au journal Publico.

Selon le modèle proposé par les deux chercheurs, ces impulsions auraient principalement lieu dans les centres de galaxies plus denses : « Une densité plus élevée rend plus probable les collisions entre trous noirs primordiaux qui donnent ainsi lieu à des impulsions. »

A ces énormes explosions électromagnétiques situées autour des trous noirs les deux physiciens ont donné le nom de « BLAST » ( « explosion » en anglais), un acronyme pour Laser à trou noir alimenté par les instabilités d’Axion Super radianTes (Black Hole Laser powered by Axion SuperradianT instabilities), en raison de la similitude de ce nouveau phénomène avec le laser, et pour leur nature explosive.

Pour ces chercheurs, qui ont étudié la physique des trous noirs et de la matière noire, il a été surprenant de constater que ce phénomène offre aussi une nouvelle explication aux impulsions radio rapides. Ainsi, si cette explication est confirmée, deux des plus grands mystères de l’Univers – ce dont la matière noire est faite, et ce qui génère des impulsions radio rapides - peuvent être résolus. La réponse peut être la même pour les deux questions - les axions et les trous noirs primordiaux. Si cette théorie se vérifie, elle mettrait fin à un mystère de 85 ans pour la matière noire, et d’une décennie pour les impulsions radio rapides.

Pour résumer : des trous noirs primordiaux en grande rotation génèreraient des nuages d’axions et ce serait dans ces nuages que se produiraient à leur tour les impulsions rapides de la radio. Rien ne sort des trous noirs ; c’est dans le nuage d’axions produit par les trous noirs, qui les entoure, que naîtrait ce rayonnement.
Les trous noirs primordiaux eux-mêmes, si leur existence est confirmée (un mystère de 47 ans), contribueraient également à la matière noire qui existe et que nous ne voyons pas. « Si ces trous noirs ont été produits en un nombre suffisamment élevé dans l’Univers primordial, ils pourraient aussi justifier une partie significative de la matière noire, sans pour autant en expliquer la totalité.

Désormais, la découverte du phénomène BLAST ouvre la possibilité d’approfondir la nature même de la matière noire. La détection de ces nuages d’axions, à travers les impulsions radio rapides qu’ils émettent, favorise une toute nouvelle manière d’étudier les propriétés de la matière noire, car comme son nom l’indique, elle n’émet pas de radiation dans des conditions normales.

Si les axions sont les particules qui composent la matière noire, ils ne se trouvent pas seulement autour des trous noirs, mais aussi dans l’Univers et dans toutes les galaxies.

Stephen Hawking donnant une conférence sur l'origine de l'Univers en 2007

L’un des télescopes capables de détecter ce rayonnement faible est le futur radiotélescope intercontinental Square Kilometre Array (SKA), qui aura des antennes distribuées en Australie, en Afrique du Sud et d’autres pays d’Afrique. Le Portugal rejoint d’ailleurs le projet en tant que membre fondateur.

Étant une particule hypothétique, la masse de l’axion n’est pas réellement connue. Mais cette valeur est importante pour expliquer les propriétés des énormes explosions électromagnétiques autour des trous noirs. Il est également important d’évaluer la part de la matière noire qui peut être composée d’axions. Théoriquement, pour expliquer la matière noire de l’Univers, il était déjà indiqué quelle serait la valeur de la masse de l’axion. Il s’avère que dans le modèle proposé par les deux physiciens, l’utilisation de cette même valeur fonctionne pour expliquer les impulsions radio rapides.

Le moment « eurêka » des chercheurs correspond au moment où ils se sont rendus compte que la valeur hypothétique de la masse des axions pour laquelle ils constitueraient l’ensemble de la matière noire de l’univers correspond à la valeur qui explique non seulement la longueur d’onde mais aussi la luminosité et la durée d’impulsion rapide radio.

Ainsi, l’ensemble des coïncidences relevées par les chercheurs les confortent dans leur théorie. Celle-ci a notamment déjà permis à l’équipe de « faire une prédiction concrète » de la valeur de la masse de l’axion, qui pourra être testée en laboratoire dans les prochaines années : elle devrait être environ 50 000 millions de fois inférieure à la masse de l’électron.

Pour Physical Review Letters cet article mérite une place de premier plan.
C’est maintenant au tour de la physique expérimentale et d’observation de prendre le relais, afin de confirmer ces propositions théoriques avec d’une part la détection des axions en laboratoire et d’autre part de la détection des trous noirs primordiaux dans le cosmos, en utilisant l’effet de distorsion de la lumière des étoiles derrière ces objets sombres pour traquer leur présence.

Source :

Rédacteur : Amaury HOCQUET, Chargé de coopération scientifique à l’Institut Français du Portugal amaury.hocquet[at]ifp-lisboa.com