Après un manifeste des chercheurs appelant à la stabilité, la loi « Plus de Science, moins de Bureaucratie » est approuvée.

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Portugal | Politiques de recherche, technologiques et universitaires
13 juillet 2018

Moins de bureaucratie, un financement plus régulier et plus transparent et une politique contractuelle coordonnée qui valorise les chercheurs : ce sont les principales exigences présentées au gouvernement et à l’Assemblée de la République par des représentants de la communauté scientifique au Portugal dans un manifeste publié en ligne mardi 22 mai 2018. « La situation actuelle empêche les chercheurs de planifier leur activité, ce qui conduit certains à quitter le Portugal et réduit le potentiel de ceux qui restent, diminuant ainsi de manière irréversible notre compétitivité », peut-on lire dans le document qui comptait près de deux mille signatures le premier jour de sa parution. Le professeur d’université et Ministre de la Science, Technologie et Enseignement Supérieur, Manuel Heitor a fait part de son accord avec le manifeste et a donc souscrit à celui-ci.

Pour le ministre, ce « défi concerne tout le monde », avec un besoin en financement, en régularité ainsi que d’une responsabilité croissante de la part de tous les scientifiques, comme il le confiait au journal Publico, justifiant sa signature du manifeste. Il explique ainsi que tout comme les deux mille chercheurs signataires du manifeste, il n’est pas satisfait de l’état actuel de la recherche scientifique au Portugal. Il considère être arrivé dans un gouvernement à l’état précaire, confronté à beaucoup de bureaucratie, et souligne qu’il est primordial d’avoir une participation active des scientifiques à ces questions.

Ainsi, Manuel Heitor transforme ce qui pourrait être interprété comme une critique de la politique scientifique actuelle du gouvernement en une déclaration de soutien aux objectifs que lui-même préconise. Il se range ainsi du même côté que les chercheurs, les félicitant pour « leur activisme scientifique ». A ses yeux, aucune différence entre les ambitions du manifeste et les siennes – celles du gouvernement donc - ne sont à relever.

Il illustre ses propos en insistant sur la lutte contre la bureaucratie qui pose de nombreux obstacles aux scientifiques, soulignant l’embourbement de l’Etat dans un réseau de procédures lors de l’utilisation de fonds européens dont la science dépend. Le seul point plus sensible, admet-il, survient lorsque les scientifiques estiment fondamental qu’il y ait un « financement cohérent et transparent » avec au moins un concours annuel de projets pour tous les domaines scientifiques. Cela impliquerait une augmentation constante des dépenses publiques consacrées à la recherche scientifique, indique Manuel Heitor. Il rappelle effectivement que la régularité des concours dépend surtout de la disponibilité financière, qui elle, est irrégulière, et que pour avoir des concours chaque année, le budget doit constamment augmenter. La priorité du programme gouvernemental, selon lui, était jusqu’à présent principalement de privilégier la régularité dans l’emploi scientifique et les bourses de doctorat.

Egalement, de nombreux problèmes « bureaucratiques » rencontrés lors du concours de « Stimulation de l’Emploi Scientifique » avaient été dénoncés. Destiné aux doctorants de toute nationalité ou apatrides de tous domaines scientifiques souhaitant développer leur activité de recherche scientifique ou de développement technologique au Portugal, intégrée dans les unités de recherche et développement (R & D) financées par la Fondation pour la Science et la Technologie (FCT de son acronyme portugais), ce concours avait fermé la porte aux candidats, faute de documentation relative à la reconnaissance du grade de docteur au Portugal. Le Ministre a saisi l’occasion pour annoncer que la FCT a décidé le 21 mai d’admettre tous ces candidats. Enfin, sur la nécessité de revenir à un régime d’exception du Code des Marchés Publics pour les activités de recherche scientifique, qui existait entre 2009 et 2012, le ministre se dit "totalement d’accord".

Dans le manifeste, les chercheurs appellent à un « simplex » pour la science qui éliminerait les obstacles bureaucratiques et faciliterait les plateformes et les réglementations. António Costa Pinto, chercheur présidant le Conseil de l’Institut des Sciences Sociales de l’Université de Lisbonne et l’un des promoteurs du manifeste explique au journal Publico que, parfois, le simple processus d’achat d’un agent chimique ou de livres « bloque ou retarde la réalisation de ces projets, non seulement nationaux mais aussi internationaux ». Autant du côté des concours que celui des contrats, l’irrégularité n’est que « trop courante », argumente-t-il.

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Ministre de la Science, Manuel Heitor
Allberto Frias

Les scientifiques demandent également une politique de recrutement régulière et coordonnée, basée sur le mérite, et respectant les chercheurs et institutions. Ce recrutement régulier est nécessaire pour valoriser les meilleurs scientifiques locaux et attirer les meilleurs chercheurs de l’étranger, y compris les portugais vivant hors du pays.

Le directeur du Centre des Sciences de la Mer de l’Université d’Algarve, Adelino Canário, déplore le futur incertain entourant le monde scientifique portugais. Partant du constat qu’il existe un consensus national sur l’importance de la science pour le développement économique, qui touche autant la droite que la gauche politique, il est nécessaire de comprendre que chaque complication est désavantageuse pour le pays en termes de compétition. Pour lui, il n’est pas vraiment question de plus de financement (bien que celui-ci soit le bienvenu) mais plutôt d’organisation.

Mónica Bettencourt Dias, directrice de l’Institut des Sciences Gulbenkian (IGC) à Oeiras, insiste également sur ce point. Il ne s’agit pas d’avoir plus de financement, mais un meilleur financement. « En ce moment, la prévisibilité et la régularité du financement et la débureaucratisation de la science n’ont aucunement été respectés et, par conséquent, nous sommes témoins d’une régression. Pour beaucoup, faire de la science au Portugal n’en vaut pas ou plus la peine. »

Raquel Seruca, de l’Institut de Recherche et d’Innovation en Santé (I3S de son acronyme portugais) de l’Université de Porto, estime que le manifeste est une « tentative » de résoudre les problèmes dans le domaine de la recherche scientifique. Selon elle, les récents concours déroutants et chronophages de la FCT constituent la goutte de trop. Selon elle, la plate-forme FCT n’était déjà pas très facile d’utilisation et depuis peu il semblerait que la complexité des démarches ait augmenté. Pour les chercheurs signataires, il est presque nécessaire de se spécialiser dans la partie bureaucratique voire d’engager une personne dans l’équipe pour se dédier à ces tâches. Néanmoins, Raquel Seruca applaudit les efforts du ministre qui a obtenu « une enveloppe financière plus importante que d’habitude ». Et si Adelino Canaries et Mónica Bettencourt Dias ont une certaine difficulté à expliquer les raisons qui ont pu amener le ministre ainsi que le président de la FCT, Paulo Ferrão, à signer ce document, Raquel Seruca quant à elle s’en félicite.

Le manifeste est accessible en ligne et peut être souscrit par n’importe quel citoyen. Parmi les signataires de différents domaines scientifiques et différentes régions du pays, figurent des noms tels que Pedro Magalhães (Institut des Sciences Sociales – ICS de son acronyme portugais), Elvira Fortunato (Vice-rectrice de l’Université Nouvelle de Lisbonne), Marta Moita (Fondation Champalimaud), Sobrinho Simões (directeur de l’Institut de Pathologie et Immunologie Moléculaire de l’Université de Porto - IPATIMUP), Claudio Sunkel (Directeur de l’Institut de Biologie Moléculaire et Cellulaire de l’Université de Porto), Marina Costa Lobo (ICS), Orfeu Bertolami (Département de Physique et d’Astronomie de la Faculté des sciences de l’Université de Porto) ou Margarida Amaral (Coordinatrice du centre de recherche BioISI). Dans le dernier paragraphe du document de six pages, les chercheurs exhortent le gouvernement et l’Assemblée de la République à « élaborer d’urgence un cours à moyen et à long terme pour la science au Portugal ».

Un mois plus tard, ce manifeste a eu un impact notoire, puisque la loi « Plus de Science, moins de Bureaucratie » est approuvée le 28 juin, dont les mesures principales de simplification sont :

  • L’application du code des marchés publics lors de l’achat de matériel et de services par les centres de recherche
  • La simplification des procédures de candidatures, de contrats de projets et programmes de recherche et de développement, de bourses d’études et d’emplois scientifiques
  • Fluidité des paiements des fonds structurels européens destinés au soutien des projets de R & D jusqu’à 240 000 euros
  • Prévisibilité et la périodicité des bourses d’études, de l’emploi scientifique et des concours de soutien aux projets.

L’exemption du Code des marchés publics dans les achats des centres de R & D est accordée jusqu’à 221.000 euros fixés par la directive européenne. Cela signifie que jusqu’à cette valeur les achats peuvent être effectués directement, sans nécessité pour les centres de recherche d’ouvrir un concours public. L’exemption est sans plafond pour l’achat de gros équipements, où il n’existe souvent qu’un seul fournisseur européen.

Source :

Rédacteur : Amaury HOCQUET, Chargé de coopération scientifique à l’Institut Français du Portugal amaury.hocquet[at]ifp-lisboa.com