Travaux de groupe chez les fourmis

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Israël | Sciences Humaines et sociales | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
4 septembre 2015

Comment les fourmis arrivent-elles à transporter des objets dépassant largement leur capacité individuelle ? Voilà une question qui peut sembler au premier abord simplissime. Et portant, les travaux de chercheurs israéliens de l’institut Weizmann ont montré que la réponse était loin d’être triviale, révélant un modèle critique de coopération entre individus à la frontière entre individualisme et suivisme.

Un modèle d’organisation collective fascinant

Les fourmis sont un exemple d’organisation fascinant les plus jeunes comme les scientifiques renommés. Derrière l’imaginaire de chacun, formé au travers des expériences de nos jeunes années et nos lectures (dont la célèbre trilogie de Bernard Werber), la communauté scientifique a, au fil des années, construit une théorie permettant d’expliquer comment la masse d’individus constituant une fourmilière arrive à s’organiser aussi efficacement. Une célèbre avancée scientifique des années 80 fut de comprendre que l’intelligence collective dérive de règles individuelles simples. Ainsi, l’optimisation des chemins permettant de rallier une source de nourriture ne vient pas d’une forme de dirigisme de la reine, mais découle de l’exploration des différentes pistes par les fourmis, celles-ci déposant alors des phéromones sur chaque chemin menant à une source de nourriture. La trace olfactive est ensuite renforcée lorsque d’autres fourmis adoptent la même piste, permettant ainsi à la colonie de converger vers un chemin optimal. Ce célèbre mode de fonctionnement a donné lieu à un important algorithme d’optimisation en informatique, ainsi appelé algorithme des fourmis, permettant de trouver le plus court chemin entre deux nœuds dans un graphe.

Le transport de groupe

Si ces recherches ont permis de comprendre comment une fourmilière dans son ensemble s’organise, les chercheurs n’ont étudié que plus récemment les interactions à l’intérieur d’un plus petit groupe de fourmis. Le groupe du professeur Nir Gov de l’institut Weizmann s’est ainsi plus particulièrement intéressé à la manière dont les fourmis s’organisent pour transporter des masses dépassant leur capacité individuelle. La coordination d’un petit groupe d’individus, de l’ordre de dix à vingt fourmis, est une tâche clairement complexe, notre expérience d’humains pouvant en témoigner. En partenariat avec les docteurs Ehud Fonio et Ofer Feinerman et les étudiants Aviram Gelblum et Itai Pinkoviezky, ils ont pu démontrer dans un article accepté dans la prestigieuse revue Nature que ce mode de fonctionnement suit un modèle bien précis où les fourmis collaborent tout en laissant une marge de décision à chacune d’entre elles.

Entre individualité et conformité

Dans le cas d’un transport effectué par un groupe de fourmis, l’élément crucial est de trouver le compromis optimal entre collaboration et flexibilité : s’il y a trop de suivisme, le groupe n’est pas capable de s’adapter à une modification de l’environnement et de changer ainsi sa trajectoire, se retrouvant alors bloquer dans un « cul de sac ». À l’inverse, un excès d’individualisme produit un groupe où chacun, au sens propre, tire dans sa direction et donc annule les efforts du voisin. Les chercheurs de l’institut Weizmann ont proposé un modèle collaboratif, validé par l’expérimentation, permettant de naturellement trouver un optimum organisationnel. L’idée fondamentale est que le groupe de fourmis participant au transport doit se renouveler continuellement, en partant du principe que les individus nouvellement arrivés ont une meilleure connaissance de l’environnement proche, et donc de la trajectoire optimale à adopter. Lorsque ces derniers joignent la tâche collective, ils exercent une force plus importante que leurs congénères, pouvant ainsi inciter à un changement de trajectoire. Ce comportement spécifique tend ensuite à disparaitre après une courte période de temps, la fourmi considérant de façon informelle que l’information dont elle dispose sur son environnement n’est plus aussi précise. Elle rejoint alors le rang des « suiveuses » dans le groupe, se contentant de tirer dans la direction indiquée par des fourmis arrivées plus récemment. Les chercheurs ont montré que cette forme d’organisation correspond à un point critique entre suivisme et individualisme, aboutissant certes à des trajectoires qui ne sont pas forcément optimales, mais laissant une marge d’adaptation au groupe dans son ensemble pour toujours trouver une solution menant à destination. Si cette découverte s’avère passionnante en tant que telle, on peut également s’attendre à ce que ce modèle soit repris avec succès dans d’autres disciplines scientifiques. Pourquoi pas pour demain des mini-robots travaillant en collaboration tels des fourmis !

Sources :
[1] http://wis-wander.weizmann.ac.il/ants-in-the-lead
[2] http://www.nature.com/ncomms/2015/150728/ncomms8729/full/ncomms8729.html

Auteur : Paul Balança, VIA en Israël (Technion)
Angélique Toulon chargée de mission scientifique et universitaire