Neurosciences : Hong Kong et la cartographie du cerveau

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6 juin 2017

Une équipe de chercheurs du Department of Electrical and Electronic Engineering de l’Université de Hong Kong (HKU) a récemment publié les résultats de ses travaux qui viennent éclairer la question mal connue des réseaux neuronaux et de leur connectivité sur de longues distances. En associant des techniques de stimulation et d’imagerie du cerveau de manière innovante, le laboratoire d’imagerie biomédicale et de traitement du signal dirigé par le professeur Ed Wu a décrit de façon précise la dynamique de propagation de l’activité neuronale entre une région profonde du cerveau et des régions superficielles distantes. Les scientifiques ont également étudié le rôle fonctionnel de cette dynamique. Ils ont publié leurs travaux au long cours dans la prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (États Unis). Une occasion de rappeler également que, malgré un nombre relativement faible de chercheurs spécialisés en neurosciences, Hong Kong occupe tout de même une place importante dans la discipline et est étroitement impliqué dans le China Brain Project, le mégaprojet chinois dans la course pour la cartographie du cerveau initiée par le BRAIN initiative américain et le Human Brain Project européen en 2013.

Disséquer les circuits neuronaux du cerveau

Le laboratoire d’imagerie biomédicale et de traitement du signal (Laboratory of Biomedical Imaging and Signal Processing, The University of Hong Kong) du professeur Wu est déjà connu pour être un pionnier dans la recherche basée sur la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), une technique utilisée pour étudier in vivo les changements de l’activité du cerveau lors de la réalisation de tâches cognitives ou motrices.
Pour étudier en détail la dynamique de la propagation de l’activité cérébrale au sein du cerveau, le laboratoire a ajouté à sa spécialité une autre technique de pointe en neurosciences, l’optogénétique. Cette dernière permet, grâce à des manipulations génétiques, de contrôler en temps réel l’activité de populations neuronales spécifiques dans de nombreux modèles animaux. C’est une technique de stimulation des neurones par la lumière qui apporte une précision spatiale bien supérieure aux méthodes expérimentales « standards » utilisées en neurosciences fondamentales, et qui offre la possibilité d’obtenir une meilleure dissection des circuits neuronaux en ciblant précisément les voies à activer ou inhiber. L’optogénétique est principalement utilisée pour l’étude des connexions entre neurones sur des courtes distances à l’échelle du cerveau. Le professeur Wu et son équipe ont voulu l’appliquer à l’étude de circuits neuronaux sur de plus longues distances, en particulier en s’intéressant aux relations entre deux structures cérébrales : le thalamus, situé en profondeur, et les aires corticales, situées en périphérie. Ces deux structures sont fortement interconnectées et ensemble elles sont impliquées dans des fonctions essentielles comme l’élaboration des perceptions sensorielles, la mémoire, la motricité ou encore les rythmes veille-sommeil.

Le professeur Wu et son équipe à l’occasion de la publication de leur étude (crédits : HKU)

En prenant le rat comme modèle animal, les scientifiques de HKU montrent que les connexions fonctionnelles entre le thalamus et le cortex sont plus étendues que celles que les recherches avaient pu définir jusque-là. Par exemple, en stimulant une partie du thalamus connectée au cortex somato-sensoriel (qui traite l’information sensorielle détectée à la surface du corps comme la pression, la chaleur ou la douleur), ils ont enregistré une activation des cortex visuel et auditifs, des régions qui ne sont pas ou très peu connectées à cette partie du thalamus. Ils démontrent ainsi que le thalamus n’est pas un simple relai passif de l’information comme on le pensait. Cette structure cérébrale pourrait aussi être un initiateur d’interactions neuronales entre différentes régions du cerveau. L’équipe du professeur Wu postule que ces résultats vont inspirer d’autres recherches visant à identifier d’autres circuits cérébraux complexes, dans l’optique d’affiner les cartes de connectivité du cerveau. Cela permettrait d’explorer de nouvelles voies de traitements pour des maladies neurologiques encore mal comprises comme l’autisme, l’épilepsie ou la maladie d’Alzheimer.

La course des mégaprojets de cartographie du cerveau

L’un des défis actuels dans le champ des neurosciences est donc de parvenir à une meilleure compréhension des interactions entre les différentes zones du cerveau à l’échelle de l’organe entier. L’objectif est de pouvoir, sur l’ensemble du cerveau, associer des activités neuronales et leurs caractéristiques spatiotemporelles à des fonctions et des comportements. Idéalement, une connaissance aussi précise du fonctionnement du cerveau permettrait de franchir une étape immense dans la compréhension et le traitement des maladies mentales. Plusieurs « mégaprojets » construits autour de cet objectif ont vu le jour depuis la création du BRAIN Initiative américain et du Human Brain Project européen en 2013. La cartographie du cerveau humain, dont la faisabilité fait toujours l’objet de controverses, est désormais devenue le nouvel objectif d’une grande compétition mondiale. Fin 2016, la Chine a également lancé son propre projet sur 15 ans, le China Brain Project. La Chine participe fortement à l’accélération de la recherche en neurosciences à l’œuvre ces dernières années et elle est devenue le deuxième pays le plus productif derrière les Etats-Unis (la Chine n’était qu’en 11ème position en 2006).

La place de Hong Kong

Malgré des forces vives relativement modestes en nombre dans le domaine des neurosciences, Hong Kong est étroitement connecté aux efforts chinois. Nancy Ip, directrice du SKL (les State Key Laboratories sont des laboratoires financés et administrés par le gouvernement de la République populaire de Chine) « Molecular Neuroscience » à HKUST (The Hong Kong University of Science and Technology), est en effet l’une des co-fondatrices du China Brain Project. Le 4 mai 2017, dans le cadre des Distinguished Lectures de l’institut d’études avancées de HKUST, Nancy Ip a d’ailleurs invité Mu-Ming Poo, le directeur de l’Institut de Neuroscience de l’Académie chinoise des sciences et l’autre principal coordonnateur du China Brain Project, à venir décrire le projet qui doit rassembler 6 000 chercheurs issus de différentes disciplines.

Le professeur Nancy IP (crédits : HKUST)

Mu-Ming Poo a rappelé qu’à la différence des projets américains ou européens, le projet chinois donne une place plus importante à l’étude des maladies mentales via le développement de nouvelles technologies pour observer l’activité des circuits cérébraux. Avec l’allongement de la durée de vie en Chine, la pression exercée par les troubles neurologiques en regard de la taille de la population est en effet régulièrement mise en avant. Mu-Ming Poo a également souligné que la Chine possède un avantage, celui de pouvoir travailler sur des primates (macaques) comme modèle animal. Les résultats des recherches conduites sur ce modèle peuvent se traduire plus rapidement en applications thérapeutiques pour l’homme.

Sources :

Rédacteur : Gabriel BENET, Chargé de mission scientifique – Hong Kong