Renforcement de la supervision scientifique et des régulations éthiques

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Chine

Brève
Chine | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
1er juillet 2019

La Chine a décidé de renforcer la supervision de sa recherche scientifique et notamment des projets de recherche impliquant des essais cliniques ou le développement de biotechnologies appliquées ou développé à partir de l’humain.

Laboratoire d’une institution pratiquant des recherches biomédicales en Chine.Crédit : Andy Wong/AP/Shutterstock, Nature News

A la suite du scandale des bébés CRIPRCas9, de nouvelles régulations éthiques ont été présentées par le Comité de la Constitution et des Lois du Congrès National (CCLCN) au Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, le samedi 20 mai 2019. Une première proposition de ce projet de réglementation, rédigée en chinois uniquement, avait déjà été soumise au jugement du public entre le 26 février et le 27 mars 2019 sur le site de la Commission Nationale de la Santé.

La partie « éthique » de ces modifications, présentée sous la forme d’un paragraphe qui devra être ajouté au Projet National de loi civile, requiert désormais que toute recherche médicale ou scientifique considérée comme à haut risque (c’est-à-dire impliquant la modification de l’expression ou de la régulation du matériel génétique dans des cellules, des embryons ou autres matériels biologiques humains) soit soumise à des règles « strictes ». Le catalogue de classification de ces technologies à risque est en cours d’élaboration par le Conseil d’État.

Il est également précisé que ces recherches devront être soumises à l’approbation d’un comité éthique ainsi qu’à celle des autorités compétentes. Le comité d’examen académique et éthique mis en place par l’institution médicale concernée devra tenir compte de la nécessité, de la légitimité, de la sécurité et de la moralité éthique du projet de recherche en question. Les aptitudes, les qualifications et les antécédents des médecins ou chercheurs impliqués dans le projet seront également examinés. Les patients devront être pleinement informés de l’objectif des tests, des applications et des risques encourus avant de pouvoir donner leur consentement éclairé par écrit. Une fois l’approbation du comité obtenue, le dossier pourra être présenté devant les autorités gouvernementales qui procèderont à une deuxième vérification (consentement des sujets, protocoles expérimentaux, qualification du personnel…)

Les sanctions appliquées dans le cadre d’infractions commises sont également présentées : Les infractions les plus graves pourront entrainer une interdiction sur cinq ans voire définitive de contribuer à des recherches biomédicales. Dans le cas d’expérimentations menées dans un but lucratif, les contrevenants feront l’objet d’une amende pouvant atteindre 5 à 10 fois le montant des profits réalisés. De même, les instituts impliqués dans des transgressions pourront être condamnés à des amendes allant de 50 000 RMB à 100 000 RMB (soit entre 6 400 et 13 000 euros). Ces derniers pourront aussi être interdit de recherche sur une durée de 5 ans ou voir leur licence révoquée définitivement.

La Fondation des Sciences Naturelles en Chine, principal contributeur financier pour la recherche fondamentale avait déjà appelé les instituts récipiendaires de ses financements à améliorer leur supervision pour domaines tels que les technologies de l’information et la biotechnologie. Elle avait d’ailleurs annoncé qu’elle retirerait son soutien pour des durées allant de trois à cinq ans à quiconque ayant transgressé des valeurs éthiques ou omis de s’acquitter de ses obligations conformément aux lois.

En addition à ces nouvelles régulations éthiques, le Conseil d’état a publié 46 articles qui prendront effet le 1er Juillet 2019 afin de restreindre l’utilisation et la détention de matériel biologique d’origine chinoise et contenant du matériel génétique humain ce qui inclut les organes ou les cellules de même que des données obtenues à partir de ces sources. Les acteurs étrangers travaillant sur ce type de matériaux devront s’associer avec un partenaire chinois avec qui ils devront partager toutes les données et les brevets issus de ces recherches. De plus, le matériel biologique en question devra être enregistré auprès des administrations locales de la Science et la Technologie. Les organisations ne respectant pas ces régulations seront soumises à des amendes de plus de cinq millions de RMB (ce qui équivaut à plus de 630 000 euros).

De nombreux chercheurs ont déclaré que ces régulations étaient depuis longtemps attendues par la communauté scientifique et qu’ils restaient curieux quant aux futurs détails et aux effets sur leurs recherches. Certains dont Huang Yu, vice-directeur du département de génétique médicale de l’Université de Pékin a révélé qu’il était préalablement compliqué de condamner les contrevenants à l’éthique en raison d’une absence de règles juridiques claires. D’autres suggèrent que la régulation actuellement proposée est encore trop indulgente : « L’administration de ce pays et les lois criminelles devraient être également conscientes de ce type de pratiques afin de pouvoir prévenir les violations de manière plus efficace » a exposé LIU Changqiu, expert dans de la législation de la Santé et chercheur à l’Académie des Sciences Sociales de Shanghai.

D’après les experts en bioéthique, le retard chinois dans ce domaine est bien plus complexe. Ruipeng Lei, Xiaomei Zhai, Wei Zhu et Renzong Qiu, experts en bioéthiques au sein de différents instituts chinois soulignent l’encouragement vif des autorités dans la mise en valeur des « découvertes de rupture » ce qui a conduit à une pratique de la science rongée par le désir d’un succès total et rapide (Jígōngjìnlì -急功近利) et qui manque parfois d’une solide base en recherche fondamentale. D’après eux, les six méthodes présentées et proposées dans leur article de Nature sont nécessaires à la réduction des risques de violation des codes éthiques ayant pu ou qui pourraient encore se produire en Chine :

  • Réglementer : Etablir une régulation claire et des codes de conduite régissant l’utilisation de technologies pouvant potentiellement conduire à des abus et qui seraient élaborés par des associations professionnelles de spécialistes de l’éthique.
  • Enregistrer : Créer un registre national regroupant les essais cliniques afin de favoriser la transparence et mettre en place un système de certification national en sélectionnant seulement des personnes qualifiées pour siéger dans les comités d’examen éthique.
  • Superviser : Vérifier les approbations éthiques détenues dans le cadre d’essais cliniques par les centres de recherche pratiquant l’édition génétique et les cliniques FIV. Organiser des formations à la bioéthique pour le personnel de ces institutions afin de les sensibiliser aux risques d’expérimentations inconscientes.
  • Informer : Diffuser les réglementations concernant les technologies sensibles émergentes afin d’informer à la fois les chercheurs et les participants potentiels à ces essais.
  • Eduquer : Renforcer l’éducation et la formation en bioéthique (éthique clinique et biologique) et en professionnalisme scientifique au sein des universités et des instituts de recherche.
  • Mettre fin à la discrimination : Lutter contre les préjugés portés à l’encontre des personnes handicapées qui perdure encore chez une faible proportion de spécialistes chinois.
    LEI Ruipeng et ses collègues soulignent également que l’émergence de la bioéthique en Occident, a coïncidé avec une époque où la morale de cette dernière était largement mise à mal. Selon eux, le scandale des bébés CRISPR pourrait servir de catalyseur à l’établissement du code éthique chinois.
    Beaucoup s’accordent à dire que la Chine a fait le premier pas et qu’il est certain que ce nouveau cadre légal permettra de prévenir de futurs manquements aux valeurs morales et éthiques. Néanmoins, la définition de ces valeurs dépend essentiellement de celles inculquées pendant notre formation scientifique ou morale, aussi comme l’ont souligné le Pr. LEI et un grand nombre de ses pairs, il sera essentiel de renforcer également le système d’éducation et de formation scientifique chinois.

Sources :
http://www.ecns.cn/news/2019-04-22/detail-ifzhpeef7885101.shtml
https://www.nature.com/articles/d41586-019-01408-y
https://news.cgtn.com/news/3d3d774e7867544f32457a6333566d54/index.html
https://www.nature.com/articles/d41586-019-01580-1
http://www.chinadaily.com.cn/a/201904/22/WS5cbcf874a3104842260b7649.html ;
https://www.the-scientist.com/news-opinion/china-clamps-down-on-foreign-use-of-chinese-genetic-material-and-data-66016
https://www.scmp.com/news/china/science/article/3014263/china-tightens-rules-genetic-research-after-rogue-scientist-he
http://www.globaltimes.cn/content/1153873.shtml
https://www.nature.com/articles/d41586-019-01868-2

Rédaction : Sarah Maesen, adjointe à l’attaché pour la science et la technologie au consulat de Shanghai, sarah.maesen[at]diplomatie.gouv.fr