Des moustiques et des bactéries pour éradiquer la dengue

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Chine

Brève
Chine
2 décembre 2015

Depuis le mois de mars, quelques 600 000 moustiques mâles manipulés pour résister au virus de la dengue sont libérés chaque semaine sur la petite île de Shazai à Canton dans le cadre d’une expérimentation visant à éradiquer la maladie infectieuse. Elevés dans une « ferme », ces moustiques ont été inoculés avec une souche de la bactérie Wolbachia qui en sus d’induire une résistance à la dengue, peut aussi provoquer un phénomène d’incompatibilité cytoplasmique (IC) qui s’exprime par la mort précoce des embryons. Le projet, né d’une coopération entre l’université Sun Yat-sen de Canton et l’université américaine de l’Etat du Michigan, devrait faire chuter la population des moustiques insulaires de 90 % d’ici à la fin 2016.

En Chine, la dengue est essentiellement présente dans le sud du pays, dans les provinces de Hainan, du Fujian, du Guangdong et du Guangxi. En 2014, le Guangdong a d’ailleurs connu l’épidémie la plus sévère des vingt dernières années, avec plus de 43 000 cas recensés en l’espace de quelques mois (423 cas au 22 août, 42 358 au 31 octobre ). Contre cette infection virale, transmise en Asie par le moustique Aedes albopictus (aussi connu sous le nom de moustique-tigre), il n’existe pas de vaccin. Pour limiter la transmission du virus, la méthode de prévention la plus courante reste aujourd’hui le recours aux insecticides. Or cette voie est de moins en moins efficace, car les moustiques développent rapidement des résistances aux traitements. A cela s’ajoutent également les risques écotoxicologiques sur l’homme et l’environnement. Au sein de l’école de médecine de l’université Sun Yat-sen de Canton, une équipe de chercheurs du département de parasitologie travaille en collaboration avec l’université du Michigan depuis plusieurs années sur une méthode alternative, qui repose sur une infection par une souche de la bactérie Wolbachia.

Wolbachia est une bactérie intracellulaire qui infecte naturellement plus de 75 % des insectes et qui se transmet de la mère aux descendants. Responsable de différents symptômes, elle manipule notamment la reproduction des espèces en induisant l’incompatibilité cytoplasmique (IC). Ce phénomène qui se caractérise par la mort précoce des œufs issus d’un croisement entre un mâle infecté et une femelle non infectée, ou une femelle infectée par une souche Wolbachia incompatible. L’IC, en favorisant la reproduction des femelles infectées, permet la propagation rapide de la bactérie au sein de la population hôte.

L’espèce Aedes albopictus est naturellement doublement infectée par les souches Wolbachia wAlbA et wAlbB. Afin d’induire une IC chez cette espèce, les chercheurs ont créé une lignée de moustiques porteuse d’une troisième souche de Wolbachia en inoculant en laboratoire la souche wPip (prélevée chez le moustique Culex pipiens) à des embryons de moustiques cantonais. Au bout de plusieurs mois, ils ont obtenu une lignée stable d’Aedes albopictus (génétiquement semblable aux moustiques locaux), porteuse de wAlbA, wAlbB et wPip, et en cela incompatible avec les individus sauvages, porteurs des seules wAlbA, wAlbB. En théorie du moins, cette nouvelle lignée capable d’induire des IC, constitue un puissant outil pour réduire les populations de moustiques.

Et son intérêt ne s’arrête pas là. En effet, les parasitologues ont également découvert que les moustiques qu’ils venaient de créer présentaient une résistance à plusieurs pathogènes, dont le virus de la dengue. Dans la combinaison des propriétés induites par la triple infection par Wolbachia, les chercheurs ont vu la possibilité d’éradiquer la dengue en remplaçant les moustiques sauvages par des moustiques naturellement protégés contre le parasite. Pour tester leur hypothèse, ils ont conçu une stratégie en deux phases. Dans un premier temps, faire décroître la population d’Aedes albopictus sauvage en libérant dans le milieu suffisamment de moustiques mâles manipulés pour concurrencer les mâles sauvages et féconder les femelles autochtones. Du fait de l’IC, leur progéniture n’atteindra pas l’âge adulte. La seconde phase, qui consiste en la recolonisation du milieu par les moustiques protégés contre la dengue, intervient quand la population sauvage est réduite à 10 % du nombre initial. Elle se fait cette fois-ci par le biais de relargages de moustiques manipulés femelles, qui - quelle que soit l’origine du mâle rencontré - transmettront à leur descendance les trois souches de Wolbachia.

Le projet a été validé par le Ministère de l’agriculture chinois en 2013 et les chercheurs ont reçu l‘autorisation de mener un essai de terrain à Shazai, l’une des nombreuses petites îles du Delta de la rivière de Perles, au sud de Canton. Occupant une superficie de 3,3 km2, l’île est peuplée de 2 000 habitants. Après une campagne de communication et de sensibilisation, l’expérience a pu débuter au printemps. Avec le concours des habitants, les équipes de scientifique libèrent depuis quelques 600 000 moustiques mâles chaque semaine.

Ces derniers sont produits à grande échelle au sein d’un laboratoire de 3 000 m2 à Canton où travaillent une trentaine de personnes. En dehors d’une « usine » à moustiques transgéniques au Brésil , cet équipement n’a pas d’autre équivalent dans le monde. Sur les cinq millions de moustiques y naissant chaque semaine, une partie est acheminée vers Shazai, l’autre partie reste dans les locaux pour le maintien de la lignée. Afin de séparer les moustiques mâles et les moustiques femelles, les techniciens utilisent un outil mécanique qui repose sur la différence de taille entre les mâles et les femelles au stade pupe.

Selon le professeur Xiaoying Zheng, l’une des chercheuses du projet, la première phase devrait se poursuivre encore quelques mois. Si l’expérience s’avère concluante, les chercheurs espèrent pouvoir reproduire le projet sur un site plus grand. A plus long terme, la méthode pourrait être adaptée à d’autres vecteurs et à d’autres parasites, comme le plasmodium responsable de la malaria ou le virus de l’encéphalite japonaise.

Remarque

Le projet a notamment reçu un financement de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et du National Institutes of Health américain.

En savoir plus

http://www.nature.com/emi/journal/v4/n1/full/emi20153a.html
http://abonnes.lemonde.fr/ameriques/article/2015/05/05/au-bresil-des-moustiques-transgeniques-laches-dans-la-nature-contre-la-dengue_4627380_3222.html
http://johnwhock.com/products/laboratory-equipment/larval-pupal-separator/

Sources

http://zssom.sysu.edu.cn/eng/Item/506.aspx
http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0121126
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23755311

Rédacteur

Dora Courbon-Tavcar : dora.courbon-tavcar[a]diplomatie.gouv.fr