Rencontre avec Eva Beaujouan, chercheuse spécialiste de la maternité tardive en Europe

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Autriche | Sciences Humaines et sociales
21 juillet 2020

Eva Beaujouan, démographe française au centre Wittgenstein a partagé avec l’équipe de l’Institut français d’Autriche les résultats de ses travaux de recherche sur la maternité tardive et le report des naissances dans les pays à faible natalité. Ses travaux offrent une perspective passionnante et engagée sur l’évolution de la famille en France et en Autriche.

Eva Beaujouan, démographe française au Wittgenstein Center

Chercheuse française, Eva Beaujouan a rédigé son doctorat à l’Ined (Institut National d’Études Démographiques) avec comme sujet d’étude la remise en couple et la fécondité à la suite de la rupture d’une union. Après plusieurs années en tant que chercheuse associée à l’Université de Southampton, elle rejoint le Centre Wittgenstein et l’Académie autrichienne des sciences à Vienne en 2012.

Depuis début 2019, elle coordonne le projet « Later fertility in Europe », qui est financé par le Fonds autrichien pour la science (Der Wissenschaftsfonds - FWF). Ses travaux portent plus généralement sur les changements de la famille et portent un éclairage sur les inégalités hommes-femmes dans le contexte familial.

La maternité tardive de plus en plus fréquente en Europe

Dans les pays à fécondité basse, le nombre d’enfants par femme a fortement baissé depuis le 18ème siècle et la fécondité est en dessous de 2 enfants par femme depuis les années 1980. La baisse initiale s’expliquait par la diminution du nombre de familles nombreuses (soit 3 enfants et plus), et la baisse plus récente s’explique également par l’augmentation de la proportion de personnes sans enfant.

Un second changement démographique est que les femmes ont des enfants de plus en plus tard. Si en 1984, 1,4% des femmes en France et 1,3% en Autriche donnaient naissance après 40 ans (qu’il s’agisse d’une première naissance ou non), elles sont respectivement 4,0% et 3,9% en 2016. L’augmentation la plus impressionnante concerne les premières naissances tardives. Elles concernent 2,3% des femmes en moyennes en Europe en 2016, avec des chiffres plus de deux fois plus élevés dans certains pays comme l’Espagne (5%) ou l’Italie (5,3%).

Le report des naissances est motivé par les prérequis fixés par la société comme préalables à la formation d’une famille : avoir terminé ses études, être inséré professionnellement, ou être en couple par exemple. De tels prérequis varient selon l’origine sociale.

Une publication de recherche d’Eva Beaujouan note que :

« La parentalité tardive semble vouée à se poursuivre favorisée par les changements socioéconomiques et culturels. En particulier, les femmes qui retardent leurs maternités engrangent plus d’années d’études et d’expérience professionnelle que celles qui ont leurs enfants plus tôt dans la vie ; leur carrière professionnelle progresse plus régulièrement et leur perte de salaire liée à la maternité est moindre. » (Beaujouan et Sobotka, 2019).

Congés de parentalités ou modes de gardes : une comparaison entre France et Autriche

Ces travaux permettent de dresser une comparaison entre la France et l’Autriche, puisque, si les chiffres des maternités tardives sont comparables, les réponses publiques diffèrent. En Autriche, la possibilité est offerte aux femmes et aux couples de disposer d’un congé parental long, et de fait, peu de femmes travaillent dans l’année après la naissance de leur enfant. Or en France, l’accent est mis sur les modalités de garde d’enfants (y compris en bas âge) et il en résulte que les femmes, en moyennes, retournent travailler 3 à 4 mois après la naissance de leur enfant.

L’existence de modalités de garde est, selon Eva Beaujouan, le facteur le plus impactant pour concilier maternité et vie professionnelle des femmes. En Italie par exemple, l’âge moyen du premier enfant dans le couple est 31 ans et le pourcentage de femmes qui ont des enfants après 40 ans est parmi les plus élevés en Europe, notamment en raison de l’absence de solution de garde publique.

Un engagement pour les femmes

Comme le note Eva Beaujouan, la maternité tardive peut constituer un problème de société, dans la mesure, où, au-delà des risques médicaux associés à une maternités à un âge élevé, le risque est que certaines femmes qui le souhaiteraient ne réussissent pas à avoir des enfants.

« C’est un phénomène de société, car les maternités tardives ne sont pas volontaires : on a tendance à dire que les femmes se mettent elles-mêmes dans cette situation, or elles se retrouvent le plus souvent de fait dans cette situation. »

Dans ce débat de société complexe, Eva Beaujouan souhaite « donner une image la plus complète pour que les gens soient le mieux informés possibles ». Ses travaux recommandent quelques mesures aux décideurs. Il s’agit, par des politiques qui s’adressent à tous les groupes sociaux et qui sont flexibles selon les aspirations de chaque personne, de « créer les conditions les meilleures pour que les femmes puissent avoir des enfants tout en restant satisfaites dans leur aspiration au bien-être. »

Pour en savoir plus sur les maternités tardives dans les pays du Nord : https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/28820/562.web.fr.pdf (en français)

Sources :

Rédactrice : Marie Belland, marie.belland[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/