« Réinventons le commerce » - Tribune conjointe de Franck Riester et Sigrid Kaag, ministre néerlandaise pour le Commerce extérieur et la Coopération au développement (8 février 2021)

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Lorsque les États-Unis ont déclaré leur indépendance, la France et les Pays-Bas ont été les premiers à reconnaître officiellement l’existence du pays. Depuis lors, notre attachement à la relation privilégiée qui nous lie aux États-Unis n’a fait que se renforcer. Cette relation entre l’Europe et les États-Unis n’a pas seulement résisté au passage du temps, mais elle a prospéré jusqu’à devenir l’une des plus solides, des plus profondes et des plus riches qui existent aujourd’hui entre les régions du monde. Ensemble, nous représentons un tiers du commerce mondial et nous échangeons tous les ans plus de 600 milliards d’euros de biens et de services.

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la vulnérabilité à laquelle peuvent être exposées nos chaînes logistiques en période de crise lorsqu’elles sont trop dépendantes d’un seul fournisseur. Il est donc nécessaire de les diversifier et d’affirmer notre autonomie stratégique, et cette prise de conscience ouvrira la voie à une relation transatlantique plus forte et plus résiliente ainsi qu’à une action commune plus efficace visant à relever les défis mondiaux.

Aujourd’hui, notre relation commerciale doit entrer dans une nouvelle ère. Nous devons à présent régler les différends commerciaux nuisant à la confiance mutuelle qui existe entre nous depuis si longtemps et mettre fin aux mesures entravant les échanges bilatéraux. Il est temps pour nous de travailler main dans la main pour faire face aux immenses difficultés qui nous attendent.

Le premier objectif de notre action commune doit être de rendre sa grandeur à notre planète et de promouvoir un commerce international plus écologique.

Quelques heures après être entré en fonctions, le Président Biden a signé un décret afin de réintégrer les États-Unis dans l’Accord de Paris. Cette volonté de la nouvelle Administration de tenir compte des problématiques environnementales et sociales dans la politique commerciale américaine représente une occasion sans précédent pour les États-Unis comme pour l’Europe. À nous de la saisir et de tirer profit de cet élan ravivé pour renforcer la coordination internationale en matière de développement durable. Montrer l’exemple pour atteindre les objectifs ultimes de l’Accord de Paris relève de notre responsabilité.

Toutefois, nos efforts ne rimeraient à rien s’ils entraînaient un transfert des émissions de carbone vers des régions du monde moins ambitieuses en la matière : si les mesures prises dans nos pays en faveur du climat impliquent de délocaliser notre production dans des pays qui ont des normes moins rigoureuses, et y causent donc une hausse des émissions de gaz à effet de serre, elles seront complètement galvaudées et deviendront inacceptables tant socialement que politiquement. L’Union européenne et les États-Unis doivent donc coopérer en ce qui concerne la tarification du carbone et la prévention des fuites de carbone, en particulier dans la perspective de la future proposition européenne portant sur un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ensemble, nous devons faire en sorte que ces mesures soient adoptées en toute transparence parmi les partenaires commerciaux et dans le plein respect des règles de l’OMC.

Comme la France et les Pays-Bas, pays de traditions commerciales différentes, l’ont fait ces derniers mois, l’Union européenne et les États-Unis doivent œuvrer de concert pour élaborer des politiques commerciales destinées à permettre l’émergence de normes environnementales plus rigoureuses. Nous devons tirer parti de la marge de manœuvre offerte par l’OMC de façon plus affirmée, par exemple pour lutter contre la pollution plastique et la déforestation et pour promouvoir une économie circulaire. Nous devons veiller à ce que les problématiques sociales soient pleinement et intégralement prises en compte dans notre approche du commerce international, car c’est ce que nos sociétés attendent de nous des deux côtés de l’Atlantique. La mondialisation doit être équitable et permettre de meilleures conditions de vie et de travail partout dans le monde. Soyons aussi exigeants envers nos partenaires commerciaux que nous le sommes envers nous-mêmes.

Ensuite, nous devons harmoniser des conditions de concurrence de moins en moins équitables.

Le commerce international est gangrené par des pratiques de distorsion telles que l’inégalité d’accès au marché, les subventions violant les règles de l’OMC et les transferts de technologie forcés. La distorsion du commerce telle qu’elle est pratiquée à grande échelle depuis longtemps par des pays comme la Chine sape la confiance de la population dans les avantages des économies ouvertes et nuit aux intérêts économiques européens et américains.

Il est absolument essentiel que l’Union européenne et les États-Unis agissent de façon coordonnée afin d’aborder les sujets liés à l’égalité des conditions de concurrence, comme notre stratégie face à la Chine. Nos industries à forte intensité technologique méritent à cet égard une attention particulière, en lien étroit avec le Conseil pour le commerce et la technologie récemment proposé aux États-Unis par la Commission européenne. Nous devons agir, et le plus tôt sera le mieux.

Enfin, nous devons donner ensemble un nouveau souffle au multilatéralisme commercial.

L’OMC, qui est au cœur du système commercial international, est censée jouer un rôle déterminant pour rendre le commerce plus équilibré et plus durable tout en préservant des échanges ouverts et fondés sur des règles. Force est toutefois de constater que ses règles manquent cruellement de modernité. Il est temps de réveiller cette organisation et de la réorganiser, en particulier pour lutter contre l’inégalité des conditions de concurrence grâce à une transparence accrue et à l’imposition de contraintes plus strictes sur les subventions industrielles, les transferts de technologie et le rôle des entreprises publiques.

L’Union européenne et les États-Unis doivent également trouver un moyen de surmonter les problèmes que connaît actuellement le mécanisme de règlement des différends, en répondant aux préoccupations anciennes des Américains tout en élaborant des solutions tournées vers l’avenir afin de permettre à nouveau le règlement des différends commerciaux. Il est également nécessaire de réexaminer les exceptions applicables aux pays en développement, car s’il importe de pouvoir accorder un traitement spécial, celui-ci doit être strictement réservé aux pays qui sont véritablement en développement.

Ensemble, l’Union européenne et les États-Unis peuvent ouvrir la voie à une mondialisation plus écologique, plus équitable et plus durable. Unissons nos forces et écrivons un nouveau chapitre d’une relation commerciale qui a déjà tant apporté aux citoyens des deux côtés de l’Atlantique et au monde entier.