Conférence de presse de présentation de la « Villa Albertine » – Intervention de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères – Propos liminaire (Paris, 2 juillet 2021)

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« Mesdames et Messieurs,

La crise pandémique aura aussi été une crise de la culture, une crise de la mobilité et une crise des échanges culturels internationaux. C’est pourquoi la relance de notre diplomatie culturelle d’influence est aujourd’hui une priorité pour le Quai d’Orsay.

Dans le monde d’après, nous voulons que nos artistes, nos créateurs, nos intellectuels puissent retrouver leurs publics certes, mais aussi en toucher de nouveaux, sur tous les continents. Car nous savons qu’il y va - ni plus ni moins - de notre capacité à défendre, dans le temps long le dialogue culturel et le débat d’idées, et ce à quoi nous tenons le plus : des valeurs universelles, fondées sur une certaine idée de l’humain contre la dignité de l’homme, contre le relativisme qui égare ; un modèle d’ouverture et de liberté, contre toutes les formes de régression et contre les dérives autoritaires et le choix résolu de la coopération et de l’action collective face aux grands défis de notre temps contre le piège du repli et du chacun pour soi. C’est au cœur de notre politique d’influence. Et réussir à marquer les cœurs et les esprits dans un monde culturel globalisé c’est un attribut et un levier de la puissance au XXIe siècle.

Pour le meilleur et pour le pire, nos partenaires comme nos compétiteurs l’ont très bien compris. Mais, nous aussi. Et je tiens à rendre hommage en ce jour à l’un des pionniers de la diplomatie d’influence à la française : Jean Guéguinou, qui nous a quittés il y a peu et qui était le promoteur très militant de ce concept.

Depuis 2017, j’ai fait en sorte que notre réseau culturel et notre réseau de coopération conserve les moyens dont il a besoin pour jouer son rôle de pilier de notre politique étrangère, au service de notre souveraineté française et européenne et dans notre combat pour les biens communs. Mais, pour conserver nos positions et pour en conquérir de nouvelles, il fallait aussi repenser et actualiser nos objectifs, actualiser notre dispositif et actualiser nos méthodes.

Ce travail a débuté dans le « monde d’avant » et s’est poursuivi à travers le choc de la pandémie et à travers le choc de la campagne de haine, de déstabilisation et de manipulation de l’information dont notre pays a été la cible à l’automne dernier. Nous en avons tiré des pistes pour gagner encore en efficacité et en agilité.

Il s’agit, sans - bien sûr - faire nôtres les réflexes de propagande et les pratiques clientélistes dont certains de nos rivaux se sont fait une spécialité, il s’agit de définir une stratégie d’influence plus offensive, en prenant acte d’une brutalisation de la vie internationale à laquelle ne saurait échapper ce qu’on appelle encore parfois le « soft power ».

Il s’agit, tout en continuant à construire par la culture le nouveau partenariat que nous devons inventer avec le continent africain, de mieux déployer notre dispositif d’influence en direction d’autres zones désormais tout aussi cruciales sur le plan géopolitique, comme la Méditerranée, le Proche-Orient, l’Indopacifique bien sûr et les États-Unis dont nous allons parler un peu plus longuement dans un instant.

Et, tout en préservant la vitalité des lieux et des réseaux qui ont toujours fait notre force, il s’agit de nous doter des outils numériques dont nous avons urgemment besoin, comme est venu nous le rappeler le brusque coup d’arrêt porté par la crise du Covid-19 à nos activités « en présentiel ».

Cette relance stratégique, dont nous nous emploierons à donner de premières traductions très concrètes, nous voulons l’engager dès les prochains mois. Lors du Sommet du cinquantenaire de la Francophonie, en novembre, nous travaillerons avec nos partenaires à un « agenda Djerba » sur la langue française et l’éducation, la souveraineté numérique francophone et le dialogue entre langues et cultures francophones et arabophones.

Nous le ferons aussi à travers la mise en œuvre d’une nouvelle structure d’exportation de nos capacités muséales et patrimoniales, dans la lignée de la très grande réussite du Louvre Abu-Dhabi et de l’Agence France-Muséums. Il y a de très nombreux projets qui sont actuellement en cours d’examen, que ce soit en Grèce, en Bulgarie, en Inde, ou encore en Égypte.

Nous le ferons tout au long de la présidence française du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er janvier 2022, que nous mettrons à profit pour agir, avec nos partenaires européens, en particulier en faveur du patrimoine en danger, dans le cadre de l’initiative ALIPH, et d’une Europe de la culture en partenariat total avec Roselyne Bachelot, ministre de la culture qui va elle-même initier beaucoup de projets pendant cette présidence française.

Et, bien sûr, nous le ferons avec la refonte de notre dispositif aux États-Unis et avec la mise en œuvre d’une nouvelle institution culturelle, la « Villa Albertine », qui sera lancée cet automne sur l’ensemble du territoire américain.

Si nous avons souhaité vous réunir pour la présenter en détails aujourd’hui, c’est que nous sommes fiers de ce pari audacieux, qui vise à la fois à peser sur la manière dont notre culture est perçue aux États-Unis mais aussi à apporter aux acteurs culturels français le soutien qu’ils attendent de nous pour explorer les réalités américaines.

La « Villa Albertine », c’est d’abord le pari de porter le nouvel élan transatlantique jusque dans le domaine de la culture et des idées. Pour nous, c’est d’autant plus important que l’Amérique et la France, au fil de la dernière décennie, ont connu de profonds changements, et que des malentendus ont pu s’installer. Y compris là où nous devrions, au contraire, trouver matière à continuer à penser ensemble, notamment sur les questions qui ont trait à la reconnaissance de la diversité et à l’égalité au sein de nos sociétés.

Et plutôt que de laisser se sédimenter des lignes de clivage qui n’ont pas lieu d’être - car, loin des polémiques hâtives, force est de constater que la vie intellectuelle française et la vie intellectuelle américaine se nourrissent l’une et l’autre depuis cinquante ans -, nous devons soutenir et accompagner celles et ceux qui sont en mesure de faire avancer ces débats. Travailler au contact de trois administrations américaines successives m’aura convaincu qu’en dépit de l’amitié historique qui nous unit, il est des moments et il est des questions où notre capacité à nous comprendre ne va plus tout à fait de soi. Mais cela ne signifie pas que nous n’avons plus rien à nous dire, bien au contraire ! Comme l’écrivait Proust il y a un siècle : « on désire être compris parce qu’on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu’on aime. »

Voilà le message que nous voulons envoyer à nos amis les États-Unis et c’était, vous vous en souvenez peut-être, ce message de Proust destiné à une certaine Albertine.

Une certaine Albertine qui, depuis 2014, donne son nom à la plus française des librairies new-yorkaises, puisqu’elle est nichée au sein même de l’édifice qui abrite les Services culturels de notre ambassade.

Et une certaine Albertine qui s’apprête, aujourd’hui, à partir à la conquête de l’ensemble du territoire américain.

Il est clair que dans le champ artistique aussi, nous ne pouvons nous contenter de vivre sur nos acquis. De plus en plus, le public américain se tourne vers d’autres horizons. C’est un fait. Pour conserver sa curiosité, pour conserver son attention, nous devons lui montrer que la scène culturelle française n’a rien perdu de sa vitalité et qu’elle porte les échos du monde francophone tout entier.

Alors avec ce très beau projet, nous faisons le pari de réinventer la grande tradition des villas, qui est l’un des emblèmes du rayonnement culturel de la France à l’étranger. Comme l’Italie au moment de la fondation de l’Académie de France à Rome il y a près de quatre siècles, les États-Unis représentent aujourd’hui un carrefour international de la création et de la pensée, où nous avons beaucoup à apprendre et qui peut constituer, pour les acteurs de la culture française, une formidable caisse de résonance.

Et pourtant, il aurait été illusoire de vouloir y transposer le modèle qui a fait la renommée et la fécondité de la Villa Médicis et que nous avons ensuite décliné avec succès à Madrid, avec la Casa de Velázquez, et plus récemment à Kyoto, avec la Villa Kujoyama. Mais c’était illusoire de vouloir transposer ce modèle car le paysage culturel américain, dans sa pluralité, dans son foisonnement, dessine une géographie hors-normes, à l’échelle de ce pays-continent dont aucune ville, pas même New York, ne saurait résumer, à elle seule, et la créativité et l’effervescence.

Nous nous sommes donc demandé comment y projeter l’ADN de nos programmes de résidence d’artistes, d’écrivains et de penseurs, qui est d’orchestrer la rencontre d’un regard français et d’un tout autre référentiel culturel, et même parfois civilisationnel.

Notre réponse, à ce défi passionnant, c’est de concevoir cette villa d’un genre nouveau, non pas comme un seul lieu dans une seule ville, mais comme la possibilité d’une escale partout où il faut être.

C’est-à-dire, peut-être, à Chicago, si l’on est architecte. Peut-être à Los Angeles, si l’on est scénariste. Bien sûr à la Nouvelle-Orléans, si l’on est musicien ou musicienne de jazz, comme nous le confirmera sans doute Sélène Saint-Aimé. Ou même dans un train, quelque part entre Denver et Salt Lake City, quand on veut comme vous, cher Quentin Zuttion, tenter un portrait collectif, en bande-dessinée, de la jeunesse américaine.

Notre réponse donc, c’est de déconfiner - le mot d’actualité - le concept même de résidence, pour en faire le point de départ d’une exploration et même d’une immersion dans un territoire, en nous inspirant des expérimentations du programme « la Fabrique des résidences » de l’Institut français de Paris, comme la Villa Salammbô, à Tunis, ou la Villa Ndar, à Saint-Louis du Sénégal, et de la Villa San Francisco, que nous avons lancée il y a un an en Californie.

Notre réponse, c’est aussi d’offrir du sur-mesure à nos résidents. Car nous savons qu’ils n’ont pas tous les mêmes envies, tous les mêmes besoins. Et nous pensons que ce n’est pas à eux, aujourd’hui, de s’adapter à la Villa, mais à la Villa de s’adapter à eux.

Gaëtan Bruel, qui est notre conseiller culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis et le directeur de la « Villa Albertine », va nous dire dans un instant comment ces innovations vont se concrétiser dans la pratique, au profit de quelque soixante résidents que nous accueillerons chaque année, et vous parlera des actions et programmes d’accompagnement professionnel qui verront également le jour.

Puis, en mettant les créateurs et les penseurs au cœur d’un dialogue renouvelé avec le public américain, nous faisons le pari d’un nouvel humanisme, à la rencontre des questionnements qui agitent l’Europe et des grandes mutations qui partent des États-Unis, par exemple, dans le domaine numérique ou même dans le renouveau de l’exploration spatiale.

Bref, c’est l’influence au service de nos biens communs, à un moment où la crise pandémique et l’urgence environnementale nous obligent à repenser notre rapport au monde dans sa globalité et à porter un regard différent sur nos habitudes.

Vous vous dites peut-être que cette Villa, qui cultivera le don d’ubiquité et comptera autant de portes sur la réalité américaine que nos résidents voudront en ouvrir, cette Villa ne ressemble, décidément, à aucune autre. C’est, en effet, la première grande Villa française du XXIe siècle, un premier laboratoire du renouveau de notre dispositif d’influence à l’étranger. Comme la Villa Médicis en son temps, la Casa de Velázquez et la Villa Kujoyama auparavant, elle marque un changement d’époque, dont elle s’efforce de tirer toutes les conséquences.

Je tiens à remercier nos partenaires fondateurs d’avoir cru dans cette idée audacieuse. Je voudrais remercier l’opérateur de l’action culturelle extérieure de la France, l’Institut français de Paris, dont je salue la nouvelle présidente, Eva Nguyen Binh. Je voudrais remercier les équipes du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, à la fois les équipes de l’administration centrale, les équipes de notre réseau culturel aux États-Unis, 80 agents sur place, qui, grâce à leur connaissance intime des scènes artistiques et intellectuelles américaines, ont pu infuser ce projet. Je voudrais remercier Roselyne Bachelot, le ministère de la culture, pour le soutien permanent qui nous a été apporté.

Évidemment, avant de lui passer la parole dans un instant, remercier Gaëtan Bruel, qui a porté ce projet depuis l’origine avec beaucoup de détermination, et j’en suis maintenant convaincu, avec beaucoup d’efficacité. Merci de votre attention, je donne maintenant la parole à Gaëtan qui va vous expliquer la « Villa Albertine » dans toutes ses déclinaisons. »

Toutes les informations sur la Villa Albertine : www.villa-albertine.org

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Image Diaporama - Villa Albertine Los Angeles

Villa Albertine Los Angeles

© MEAE

Image Diaporama - Villa Albertine New York

Villa Albertine New York

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Villa Albertine San Francisco

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