COVID 19 - Entretien de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec Europe 1 ( Paris, 27 mars 2020)

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Q - Bonjour, Jean-Yves Le Drian

R - Bonjour.

Q - Merci d’être avec nous, à distance, ce matin, sur Europe 1. Il y a environ une semaine, 130 000 Français étaient bloqués à l’étranger à cause de l’épidémie. Ce sont des Français de passage, partis en voyage en dehors de l’Union européenne. A l’heure actuelle, Monsieur le Ministre, combien d’entre eux, précisément, ont pu rejoindre la France ?

R - Nous avons fait une action collective considérable et mis en place avec le secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, et Air France et Transavia un dispositif global pour identifier les lieux où se trouvaient les Français, voyageurs, touristes, qui voulaient rentrer en France et mettre en place un dispositif de retour le plus performant possible, malgré les grandes difficultés puisque cela se passe dans 140 pays dans le monde. Et dans chaque situation, nous avons des cas particuliers. Et aujourd’hui, depuis dix jours d’efforts, je considère qu’il reste encore 30 000 de nos compatriotes à acheminer vers la France. C’est un travail que nous menons, nuit et jour, dans des situations parfois très compliquées parce que les mises en oeuvre ont été brutales, à la fois de fermeture des aéroports, de fermeture des espaces aériens, de fermeture des transports intérieurs de certains pays qui se confinaient, avec des arrêts brutaux et souvent sans prévenir. Et il a fallu identifier les situations des Français dans ces différentes circonstances, ce qui n’est pas simple. Je pense en particulier aux Français, à nos compatriotes qui sont au Pérou, certains dans la Cordillère des Andes, que nous allons réussir à ramener, même s’il faudra passer par l’aéroport militaire. Je le leur dis, parce qu’aucun cas ne sera sous-estimé et nous voulons que tout le monde puisse revenir, d’une manière ou d’une autre, je sais que c’est parfois un peu angoissant.

Q - Dans quel délai, Monsieur le Ministre ? 100 000 de nos compatriotes sont déjà rentrés, il en reste 30 000. Pour ceux qui sont encore bloqués, dont les familles vous écoutent ce matin, quel délai de retour ils peuvent espérer ?

R - On a rapatrié 100 000 de nos compatriotes dans un délai très court, avec des expériences particulièrement fortes, je pense en particulier au Maroc, où brutalement, le 13 mars, les autorités marocaines ont annoncé la fermeture des frontières. Il y avait 20 000 de nos ressortissants qui étaient dans les différentes villes marocaines. On a pu les ramener en France dans un délai extrêmement court, même si eux-mêmes trouvaient que c’était long. Il en reste aujourd’hui 30 000, dans des situations les plus compliquées, mais toute situation est prise en compte et j’espère que dans quatre, cinq jours, on pourra voir la fin de cette grande aventure du repli en France. Je dis aux familles que je comprends leur angoisse, leur inquiétude. Tout le monde trouve que c’est long. Mais regardez, il y a 140 pays avec des situations totalement différentes, dans les différents pays, avec des situations particulièrement difficiles. Je pense aussi aux Philippines, où il y a des jeunes Français sur plusieurs îles qu’il faut rapatrier sur une île centrale, par bateau, pour ensuite les ramener par vols spéciaux en France. Tout cela demande du temps, de la patience, mais chacun doit savoir que nous regardons tous les cas et je fais tous les soirs une revue des différents pays pour prendre des initiatives complémentaires, si nécessaire. Je dois dire que la coopération avec Air France est tout à fait exemplaire, mais ce qui est arrivé n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’aviation dans le monde. Tous les vols s’arrêtent, les pays ferment leurs frontières, et il faut, à chaque fois, obtenir les autorisations, ce qui est parfois très exigeant.

Q - Jean-Yves Le Drian, vous citez Air France. Parmi ces Français certains n’ont pas les moyens de racheter un autre billet sur ces rares vols commerciaux. Il y a eu des dérives, il y a eu de la spéculation de la part de certaines compagnies, vous le savez.

R - Il y a eu des dérives. Nous faisons en sorte que les tarifs soient bloqués et dans certains cas particuliers nous affrétons nous-mêmes les vols avec des tarifs qui sont, je pense, tout à fait acceptables. Nous faisons en sorte que les tarifs soient régulés. Mais je sais, comme vous, qu’il y a eu des compagnies qui n’ont pas joué le jeu. On les connaît, on ne les oubliera pas dans l’après-crise, pour leur conduite dans cette période et leur volonté de spéculer sur le malheur des uns et des autres. Mais surtout, Sonia Mabrouk, je voudrais que les parents, les familles, qui attendent le retour de leurs proches, sachent que tous les cas sont examinés, où qu’ils soient. Et je pense que nous aboutirons à ce que l’ensemble de nos ressortissants puisse revenir en France pour vivre, avec nous tous, cette période difficile, mais la vivre en famille le mieux possible.

Q - Bien sûr. Monsieur le Ministre des affaires étrangères, vous parlez de tous les cas. Il y a la situation des Français résidant à l’étranger. Là, je parle des étudiants, de ceux qui travaillent, de ceux qui sont installés depuis longtemps. C’est une grande communauté et certains vont devoir quitter les pays dans lesquels ils résident. Que peut faire la France ? Là, nous parlons d’une très grande communauté, peut-être un million, deux millions de Français.

R - Beaucoup plus que ça, aujourd’hui, on peut considérer que la communauté française à l’étranger tourne autour de trois millions, trois millions et demi, à la fois les résidents, les expatriés, les binationaux. A ceux-là, je dis très clairement les choses : il faut qu’ils suivent les mêmes logiques, les mêmes mesures, les mêmes préconisations que ce que l’on fait ici, en France ou en Europe, c’est-à-dire se confiner, éviter les contacts, éviter de voyager, se replier sur soi-même, suivre les mêmes normes pour passer ce moment difficile. On sait que selon les pays, l’épidémie, la pandémie, est plus ou moins avancée. Mais la logique vaut pour tout le monde : il faut rester chez soi, puisque ces résidents ont leur « chez eux », et faire en sorte qu’on puisse éviter tous les contacts et prendre en considération les mesures de distanciation sociale.

Q - Monsieur le Ministre, pardonnez-moi. Pas tous n’ont un « chez eux ». On a entendu des témoignages venus d’Australie, où certains Français n’ont plus d’autre choix que de rentrer

R - Je vais revenir sur l’Australie, mais je dis que l’orientation générale est celle-là. Évidemment, cela signifie aussi que ceux qui sont sujets à une vulnérabilité particulière au regard de leurs conditions sanitaires, ceux-là doivent faire part de leur situation, soit au consulat, soit à l’ambassade la plus proche de l’endroit où ils résident. Mais la logique est celle-là.

Alors, concernant l’Australie, c’est un cas particulier que vous faites bien de souligner. Il s’agit surtout de jeunes étudiants qui faisaient partie d’une opération qu’on appelle PVT, c’est-à-dire « Progamme vacances-travail », pour des jeunes qui allaient passer, en Australie en particulier, parce que c’est surtout dans ce pays que cela se pose, quelques temps pour travailler, en en même temps pour suivre leurs études et avoir une expérience internationale. Ceux-là sont confrontés à la difficulté du confinement en Australie, puisqu’ils travaillaient généralement dans des bars, dans des restaurants, dans d’autres activités, et ils se trouvent désormais sans activité, mais aussi sans ressources.

Nous allons mettre en place un dispositif de retour de ces jeunes à partir de l’Australie, avec des vols d’Air France et de Qatar Airways qui vont être initiés très rapidement. Mais ceux qui ont un emploi sur la longue durée, je leur conseille aussi de rester, s’ils le peuvent, pour continuer ensuite leur programme parce qu’il y aura une fin à la pandémie. Mais ceux qui sont aujourd’hui dans la nécessité de rentrer, nous allons mettre en place des dispositifs qui leur permettront, sans que ce soit trop cher, de revenir en France.

Q – Voilà, c’est important, il y en a beaucoup qui vous écoutent ce matin d’Australie et d’ailleurs.

R - C’est surtout le cas en Australie ; pour les étudiants ailleurs, nous leur avons dit et nous leur disons par ma voix : si vous avez encore un train d’études à poursuivre, peut-être vaut-il mieux rester sur place. Par contre si vos études se terminent, prenez les dispositions nécessaires pour aller dans les vols que nous mettons à disposition des Français à l’étranger dans des conditions très différentes selon les pays évidemment.

Q - Jean-Yves Le Drian, dans ce flot de difficultés et de problèmes, il y a aussi quelques très rares bonnes nouvelles, c’est aussi évidemment important de le souligner ce matin comme la libération de nos trois ressortissants français et un Irakien de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient. Ils avaient été enlevés à Bagdad le 20 janvier 2020. D’abord, comment vont-ils et quand vont-ils arriver sur le sol français ?

R - Dans cette période dramatique, il y a parfois de bonnes nouvelles. Réjouissons-nous de cette libération des trois otages et de leur accompagnateur irakien en Irak. Ils sont aujourd’hui à l’ambassade de France à Bagdad, je pense qu’à cette heure-ci ils doivent toujours y être. Ils vont rentrer en France et je me réjouis de cette nouvelle. Mais je voudrais aussi en profiter pour remercier tous ceux qui ont contribué à ce que ces militants de SOS Chrétiens d’Orients puissent être libérés. Ils savent, les uns et les autres, ce qu’on leur doit. Et puis, dire aussi que, la semaine dernière, Roland Marchal a été libéré d’Iran en pleine crise de Coronavirus. Il est revenu en France, j’ai plaisir à le saluer et à saluer son courage, tout en rappelant par cette émission aux autorités iraniennes qu’il reste toujours une prisonnière, Fariba Adelkhah, et je souhaite vraiment que les autorités iraniennes entendent le message qu’on leur a porté à plusieurs reprises, et le président de la République et moi-même, pour la libérer.

Q - Sur le front du coronavirus, Jean-Yves Le Drian, le monde entier évidemment fait face à cette épidémie, à cette pandémie, et il y a un continent qui inquiète particulièrement : l’Afrique. Des premiers cas. Est-ce qu’il faut rappeler que l’Afrique, c’est la frontière sud de l’Europe, que si l’Afrique est contaminée fortement, on ne peut pas, nous, en sortir, sortir de cette crise ?

R - Il faut être très vigilant sur la situation en Afrique. J’observe d’ailleurs que, et l’Union européenne - le Conseil européen, vous le savez, s’est réuni hier par visioconférence -, et les acteurs du G7 et du G20 qui se sont aussi réunis par visioconférence les heures dernières, ont porté l’attention sur les territoires vulnérables du futur.

Aujourd’hui, en Afrique, il y a déjà 45 pays sur 54 qui sont touchés par la pandémie. Il y a encore relativement peu de cas, 3 000 cas, mais on voit bien qu’il y a un risque majeur pour la suite. Parce que d’abord le système de santé africain est très fragile, parce qu’il y a beaucoup de réfugiés, beaucoup de personnes déplacées. Il y a des risques pour la sécurité, parce que les terroristes ne sont pas, eux, confinés. Il y a encore eu des actes graves au Nigéria et au Mali, il y a quelques heures. Et donc, ce que nous souhaitons, c’est que des initiatives fortes soient prises pour ces territoires vulnérables, et en particulier pour l’Afrique. Je sais que le président de la République s’est entretenu de ce sujet en particulier avec le président …

Q - …Nous verrons ces initiatives, il a parlé d’une initiative forte à venir. Jean-Yves Le Drian, merci à vous. Les lignes ne sont pas toujours bonnes, mais en tous les cas, ce matin, c’était important évidemment de penser, d’évoquer ces Français bloqués à l’étranger. Beaucoup nous écoutent de ces différents pays, donc votre message a été entendu. Merci Monsieur le Ministre.

R - Merci. Je leur dis : courage, nous serons au rendez-vous./.