Coronavirus – Entretien avec Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères – France Info (20 mars 2020)

Partager

Q - Bonjour, Jean-Yves Le Drian.

R - Bonjour.

Q - Beaucoup de familles s’inquiètent parce qu’elles ont des proches encore bloqués à l’étranger. On va faire le point avec vous sur ces opérations de rapatriement dans quelques instants. D’abord, quelques mots sur le confinement, si vous voulez bien, est-ce que vous diriez, comme votre collègue Christophe Castaner, que ceux qui ne le respectent pas sont des imbéciles ?

R - Je pense que la prise de conscience se fait progressivement. C’est tellement exceptionnel, tellement fort comme mesure à prendre, c’est un tel changement de notre mode de vie, qu’il faut un peu de temps. Mais ce que je peux dire aujourd’hui aux Français, c’est qu’il faut faire bloc, il faut prendre vraiment au pied de la lettre les messages qui sont donnés, c’est-à-dire éviter au maximum les contacts, parce que le virus se propage par les contacts, et tout contact peut être une remise en cause de sa propre santé et de la santé des autres. Donc, faisons bloc, faisons confiance dans notre pays, faisons confiance à notre solidarité, et prenons les mesures nécessaires pour le mettre en oeuvre. Cela ne signifie pas que la vie économique doit s’arrêter, que la vie de la Nation doit s’arrêter, le principe c’est de réduire les contacts au maximum. Cela n’empêche pas de travailler, de faire du télétravail, de se déplacer même pour continuer la vie économique, mais en évitant au maximum le contact avec les autres. C’est difficile à faire, mais c’est une nécessité impérative pour tous.

Q - La vie économique ne doit pas s’arrêter, mais est-ce que la pratique du jogging, par exemple, pourrait être mise entre parenthèses ?

R - Si on est tout seul et si on est juste à côté de chez soi, pour se dégourdir les jambes, c’est possible. Si on le fait en groupe, non.

Q - Y aura-t-il un durcissement des règles annoncées ce matin, à l’issue d’un Conseil de défense autour d’Emmanuel Macron auquel vous allez participer ?

R - Il y aura un Conseil de défense où on fera le point sur la situation d’une manière générale, avec des chiffres nouveaux qui viennent d’être rendus publics hier par le directeur général de la santé et par le ministre Olivier Véran. 370 morts + 130 hier, donc la situation est grave, il faut que les Françaises et les Français s’en rendent compte. Nous n’en sommes qu’au début, on voit bien que l’Italie n’a pas encore atteint le sommet du pic de l’épidémie. Cette épidémie va continuer à se développer en France. Donc, il faut une très grande exigence et une très grande vigilance.

Q - Cela signifie que vous n’envisagez pas de prendre, soit des mesures plus drastiques pour faire respecter ce confinement, soit d’alourdir les sanctions ? On sait qu’aujourd’hui les amendes s’élèvent à 135 euros. Est-ce que, pour faire respecter ce confinement, il faudrait aller plus loin ?

R - Je n’anticipe pas sur les décisions qui seront prises par le Conseil de défense tout à l’heure, simplement ce que je dis aujourd’hui, c’est que la prise de conscience n’est pas suffisante, il faut donc être exigeant, faire bloc, et si c’est nécessaire on prendra des mesures supplémentaires.

Q - Jean-Yves Le Drian, de très nombreux Français, qu’ils soient touristes, expatriés ou binationaux cherchent aujourd’hui à rentrer au pays. D’abord, est-ce que vous en connaissez le nombre précis ?

R - Il faut être très précis sur tout cela, parce qu’il y a beaucoup de confusion. Je vais d’abord dire une première chose, c’est qu’aujourd’hui les frontières de l’espace Schengen et de l’Union européenne, sont fermées à la suite d’une décision du Conseil européen de mardi dernier. Donc, tout étranger à l’Union européenne ne peut plus rentrer dans l’espace européen, mais évidemment les Français ou les autres résidents européens, pour leur propre pays, peuvent y revenir. Deuxièmement, concernant les résidents français à l’étranger pour une longue durée…

Q - Les expatriés.

R - ceux qui d’une certaine manière y habitent depuis longtemps, ils ont un chez eux, et à ceux-là nous disons qu’il faut, dans la mesure du possible, rester chez soi. Ils sont deux millions d’inscrits, mais en réalité, certains ne s’inscrivent pas, cela fait un peu plus de trois millions dans le monde, nous leur conseillons de rester chez eux, dans l’état actuel des choses, sauf des urgences sanitaires qu’ils pourraient répertorier auprès des consulats ou des ambassades. Ça, c’est le principe de base pour les résidents à l’étranger. Alors, la question la plus difficile, ce sont ceux qui sont de passage à l’étranger, ceux qui sont en voyage, généralement pour des vacances, et qui sont aujourd’hui comptabilisés, de l’ordre de 130 000 sur l’ensemble de la planète.

Q - 130 000 encore en ce moment ?

R - 130 000 encore en ce moment, et il faut que nos compatriotes qui sont dans cette situation, qui veulent rentrer, et je les comprends, fassent preuve de sang-froid, de patience, ils sont 130 000. Le cas le plus exceptionnel a été récemment le cas du Maroc où vendredi dernier, donc il y a une semaine, les autorités marocaines ont décidé de fermer les frontières et les vols. Et donc, il a fallu, à l’égard de ces 20 000 compatriotes qui sont au Maroc, beaucoup d’actions de deux types, à la fois auprès des autorités marocaines pour leur dire : faites preuve de souplesse, laissez-nous mettre en oeuvre des vols, et cela a été fait grâce à leur coopération, mais c’est une coopération qui n’est pas simple, on peut l’imaginer, parce qu’ils ont eux-mêmes leurs propres préoccupations. Et puis d’autre part il fallait faire en sorte qu’il y ait des vols nécessaires. Mais à cet égard pour le Maroc, il y avait 20 000 Français, nous en avons rapatriés, depuis vendredi soir, 17 000.

Q - Ces 130 000, Jean-Yves Le Drian, l’objectif est bien de les faire tous rentrer au pays. Il est hors de question de les laisser sur place ?

R - Le principe de base c’est que les 130 000, nous voulons les faire rentrer sur le territoire national, ils le souhaitent et ils ont raison de le souhaiter. Nous leur demandons simplement du sang-froid, de la patience, mais chaque citoyen français en déplacement à l’étranger doit pouvoir revenir. Nous allons mettre en place…

Q - Jean-Yves Le Drian, excusez-moi, vous leurs demandez de la patience, du sang-froid. Cela veut dire que, à quelle échéance vous pensez que vous aurez réussi à faire rentrer la totalité de ces Français ?

R - Le plus vite possible. C’est la seule réponse que je peux vous faire à cet instant. Nous avons mis en place une cartographie, aéroport par aéroport, pays par pays, consulat par consulat, pour identifier le nombre de Français demandant à rentrer, à la fois par territoire, par consulat et par pays. Si les Français voulaient nous aider, ils pourraient s’inscrire sur un dispositif qui s’appelle Ariane, qui est un dispositif sur www.diplomatie.gouv.fr, où on répertorie les Français qui sont en déplacement à l’étranger, et avec ce dispositif-là on peut les joindre. Mais nous avons mis en place un dispositif avec AIR FRANCE, avec le ministère des transports, pour faire en sorte que chacun puisse revenir chez soi, et ils peuvent se renseigner directement auprès de l’agence AIR FRANCE la plus proche, pour savoir comment prendre son billet, avec une vigilance particulière pour que les prix des billets soient régulés, soient bloqués, pour il n’y ait pas de spéculation sur le sujet. Donc, notre volonté est d’aboutir à ce que, par ces vols commerciaux, spéciaux, nous puissions rapatrier dans les jours qui viennent l’ensemble de nos concitoyens présents un peu partout dans le monde. Alors, il y a des cas plus particuliers, plus difficiles, mais que nos compatriotes sachent que nous sommes bien informés de leur situation. Je pense en particulier aux Philippines, je pense aussi aux Canaries, je pense à Madère, je pense à la République dominicaine où nous faisons des efforts particuliers, et où il faudra sans doute des dispositions spécifiques, que nous prendrons, et ils seront informés des dispositifs que nous allons prendre, soit par le biais de l’ambassade, soit directement par le biais des compagnies aériennes concernées.

Q - On va revenir, Jean-Yves Le Drian, avec vous sur les conditions précises de cet immense rapatriement, pour ces 130 000 Français, en ce moment à l’étranger. Donc vous nous dites d’abord de la patience, ensuite contactez les consulats et les ambassades, est-ce qu’elles sont toutes ouvertes aujourd’hui nos représentations françaises à l’étranger ?

R - Les représentations françaises sont ouvertes, mais le plus simple pour joindre les ambassades c’est par Internet ou par téléphone pour éviter des pressions physiques trop fortes et c’est ce que nous conseillons à nos compatriotes.

Q - Jean-Yves Le Drian, pour prendre un exemple très concret, très précis. Certains pays ont fermé leurs frontières, les Etats-Unis par exemple ont interrompu leurs liaisons aériennes entre les Etats-Unis et l’Europe. Si un jeune Français, un jeune étudiant par exemple, qui est actuellement en stage, ou qui fait une partie de ses études aux Etats-Unis, veut rentrer en France, veut rentrer dans sa famille, comment fait-il très concrètement, où doit-il aller frapper, est-ce qu’il faut qu’il se rende à l’ambassade et est-ce que son rapatriement est assuré ?

R - En ce qui concerne les étudiants, je dois dire que le message que nous leur délivrons est le même que celui que j’ai délivré tout à l’heure pour l’ensemble de nos compatriotes. si ils sont dans tel ou tel pays, par exemple au Canada, puisque vous en parlez, pour une durée de deux ans, qu’ils ont un chez eux au Canada, nous leur conseillons de rester. Mais si d’aventure, ils sont en en fin de parcours, je conçois très bien qu’ils veuillent rentrer. A ce moment-là, s’ils sont inscrits sur Ariane, on peut les répertorier à partir de là, et le dispositif que nous allons mettre en place, qui sera un dispositif global, permettra à cet étudiant, à partir du Canada, d’avoir, à un moment donné, une information par AIR FRANCE qu’il peut contacter, pour lui dire "vous allez pouvoir rentrer par le vol de tel jour, à telle heure, est-ce que vous voulez bien prendre votre billet ou pas ?" Voilà comment ça peut se passer pour un étudiant, parce que c’est des cas qui peuvent être aujourd’hui très fréquents en raison de la situation générale et on comprend que certains veulent rentrer dans leur famille.

Q - Ils rentreront donc à bord d’avions commerciaux, qui va payer le billet ?

R - Le billet sera payé par l’intéressé pour rentrer.

Q - On n’est pas dans une opération de rapatriement aux frais de la République ?

R - Ecoutez, à ce moment-là c’est 3,5 millions de personnes, plus 130 000. Je pense que ceux qui sont partis avaient envisagé de revenir, et donc avaient pensé à payer un billet pour le retour. Le point majeur que nous avons devant nous c’est d’éviter qu’il y ait de la spéculation sur les billets et nous avons fait en sorte, avec AIR FRANCE, que les billets soient bloqués, que les prix soient des prix coûtants.

Q - Il en va de même pour les frais qui ont été engagés sur place depuis des jours et parfois des semaines, ce n’est pas l’Etat qui les prendra en charge ?

R - Il y a des assurances, cela existe, mobilisées par les agences de voyages, il y a des assurances mobilisées par les vacanciers eux-mêmes, et donc il faudra qu’ils fassent jouer leurs assurances pour assurer le remboursement des frais, s’ils payent deux fois le déplacement.

Q - Pour ce qui est des touristes, des vacances que vous évoquiez à l’instant, si l’Etat ne prend pas en charge ces frais, est-ce que c’est aussi parce que vous diriez que ceux qui sont partis, juste avant la décision du confinement, ont peut-être été imprudents ou un petit peu légers ?

R - Je crois qu’ils ont été imprudents parce que "les conseils aux voyageurs", que nous publions tous les jours sur le site du ministère des affaires étrangères, indiquaient depuis déjà plus de trois semaines qu’il était déconseillé de se déplacer à l’étranger. Mais ce n’’est pas une punition, nos concitoyens qui ont pris des vacances dans tel ou tel endroit, je pense en particulier au Maroc, ils ont payé le billet aller, ils ont payé le billet retour. Et donc, si le retour s’effectue par une autre compagnie, grâce au dispositif que nous avons mis en place, je vous rappelle que 17 000 de nos compatriotes sont revenus depuis vendredi grâce à l’espèce de pont aérien que nous avons mis en place. Je sais qu’ils ont râlé parce que c’était long, mais ils peuvent revenir, nous avons mis en place un dispositif nécessaire et ils étaient 20 000, quand même. Et donc, à partir de ce moment-là, on paye son billet, mais on sera ensuite en situation de pouvoir recourir aux assurances si la compagnie qui ramène nos ressortissants n’est pas la même.

Q - Y a-t-il un risque, Jean-Yves Le Drian, qu’à terme, d’ici quelques jours ou quelques semaines, l’espace aérien soit totalement fermé et donc que plus aucun atterrissage, par exemple, ne puisse se faire sur le sol français ?

R - Il y a des pays qui ont pris des mesures restrictives à l’encontre de la France, mais mon travail comme ministre des affaires étrangères, c’est de discuter en permanence avec mes collègues pour avoir des autorisations de vol pour tous nos ressortissants, pour qu’ils puissent revenir. C’est une discussion, au cas par cas, vol par vol, que je mène depuis déjà maintenant cinq jours.

Q - Tous ces Français ils seront testés à leur retour sur le territoire national ?

R - Ils seront conseillés de prendre les mesures nécessaires pour éviter la contamination, évidemment.

Q - Avec d’éventuelles mises en quarantaine ?

R - Si c’est nécessaire.

Q - Vous savez où vous les mettrez, 130 000 personnes, c’est une opération de quarantaine comme on n’en a pas eue depuis le début de cette épidémie ?
R - Ce sera vérifié au cas par cas parce que certains de nos concitoyens reviennent de pays où il n’y a pas de contamination encore. Et donc là, le problème se règle tout seul.

Q - On le voit, on le sait, enfin depuis hier l’Italie est le pays au monde le plus frappé, le plus endeuillé par cette crise, et on voit en Europe des réponses extrêmement diverses selon les pays, des réponses nationales, des pays comme par exemple les Pays-Bas ou la Suède qui ont choisi de laisser circuler le virus, d’autres qui ont fermé leurs frontières ou qui ont instauré le confinement comme en France ou en Italie. L’Allemagne en revanche n’a, à l’heure qu’il est, décidé aucune mesure de confinement. Où est la solidarité européenne face à cette crise, Jean-Yves Le Drian, une fois de plus elle paraît totalement absente ?

R - La France a toujours été, sur ce sujet, à l’avant-garde pour dire qu’il fallait sur cette crise une solution européenne, nous l’avons dit dès l’affaire de Wuhan, parce qu’à ce moment-là nous avons pris une initiative, que vous évoquiez d’ailleurs tout à l’heure, de faire en sorte de rapatrier nos compatriotes de Wuhan, mais nous avons été solidaires des Européens et nous avons rapatrié des Européens à partir de cette région, et à partir de ce moment-là nous avons souhaité qu’il y ait une coordination entre les ministres de la santé, même si la santé, vous l’avez dit, n’est pas une compétence de l’Union européenne, et même s’il y a eu, assez rapidement, des tentations des uns et des autres de jouer tout seul.

Q - Aujourd’hui il n’y a pas de solidarité, il y a une concurrence entre les différents pays européens, aujourd’hui Jean-Yves Le Drian, dans leurs réponses contradictoires.

R - Je ne dirais pas cela. Je constate que depuis le Conseil européen qui a été initié par le président Macron mardi dernier, il y a trois ensembles d’actions qui ont été menées, qui sont menées ensemble par les Européens.

D’abord la question des frontières, non seulement les frontières extérieures, puisque cela a été décidé et cela s’est mis en oeuvre, mais aussi la gestion des frontières intérieures, puisque avec plusieurs pays européens, voisins, nous faisons des contrôles sanitaires pour permettre d’éviter la propagation du virus. C’est ce que faisons avec l’Allemagne, nous faisons des contrôles conjoints, c’est ce que nous faisons avec l’Espagne, la Suisse, l’Italie. D’autres pays européens ont pris des mesures plus drastiques, mais il n’empêche que cette orientation de la gestion des frontières se fait aujourd’hui dans un espace européen global et c’est une bonne chose, même s’il faut progressivement harmoniser les méthodes, je pense en particulier à ce que vous dites sur les Pays-Bas.

Et puis, la deuxième initiative qui a été prise c’est une initiative d’accompagnement très fort au niveau économique puisque la Banque centrale européenne, comme vous le savez, a décidé de mobiliser 750 milliards d’euros pour racheter de la dette publique et pour permettre la stabilisation, au mieux, de la situation économique européenne, que la Banque européenne d’investissement a décidé des financements significatifs en faveur des PME, qu’on a assoupli les règles des aides d’Etat, qu’on a mis des dispositifs en place pour mieux se protéger, en particulier développer la recherche de vaccin contre le COVID-19, que par ailleurs l’Union européenne a mis en place des dispositifs d’achat de matériels de protection, bref, il y a une prise de conscience européenne.

Q - Jean-Yves Le Drian, l’Espagne est confinée, l’Italie est confinée, la Belgique est confinée, est-ce que vous trouvez…

R - La France est confinée.

Q - La France est confinée, je crois que ça n’a pas échappé à grand monde en ce moment. Est-ce que vous trouvez normal que notre principal partenaire et voisin, l’Allemagne, n’ait pris aucune mesure ?

R - Mais l’Allemagne a pris des mesures assez rigoureuses néanmoins. J’ai eu des entretiens hier avec mon collègue allemand sur ce sujet-là, il n’est pas exclu qu’ils prolongent leur dispositif dans les heures et dans les jours qui viennent.

Q - Il n’y a pas de confinement en Allemagne.

R - Je pense qu’il faut faire de l’harmonisation progressive, mais sur la même orientation, ce qui est en train de se passer.

Q - Les uns après les autres, pas tous ensemble ?

R - C’est de la responsabilité des Etats, il faut que chaque Etat prenne ses responsabilités, mais il faut aussi que, dans cette situation, l’Europe se rende compte qu’elle doit relever ensemble ce défi, parce qu’elle est face à son destin et si elle n’agit pas collectivement, alors elle laissera passer le sens de l’Histoire.

Q - Jean-Yves Le Drian, la France et les personnels soignants en particulier se heurtent à une pénurie de masques, on l’entend jour après jour, on entend ces demandes et hier la Chine a livré à la France un million de masques chirurgicaux ; vous vous êtes félicité de l’arrivée en France des envois de matériels sanitaires chinois. Comment expliquer qu’aujourd’hui encore la France soit à ce point dépendante de la Chine sur un sujet aussi crucial que la livraison de ces masques ?

R - Concernant la Chine, j’ai entendu ce que vous disiez tout à l’heure en réalité, c’est un rendu pour un prêté.

Q - C’est-à-dire ?

R - C’est-à-dire que lorsqu’il y a eu la crise de Wuhan, nous avons nous-mêmes adressé à la Chine des équipements et ils nous rendent, de manière plus renforcée, les équipements que nous leur avons prêtés.

Q - Parmi ces équipements, il y avait des masques ?

R - Il y avait des masques mais ils nous renvoient beaucoup plus de masques que ce que nous leur avions prêté. Donc, c’est une bonne chose. Mais pour le reste, la bataille des masques, elle est commencée. Olivier Véran, le ministre de la santé, s’en est expliqué à plusieurs reprises ,c’est vrai que la France n’avait pas fait l’effort nécessaire pour avoir des stocks stratégiques et qu’aujourd’hui, nous sommes dans la bataille d’acquisition des masques même si, si j’entends bien le directeur général de la Santé, le masque n’est pas l’outil prioritaire sauf pour les soignants et pour les personnes en contact avec des malades pour se protéger de ce virus. L’objectif prioritaire, c’est évidemment de ne pas avoir de contact et de se laver les mains. Mais la bataille des masques est en cours avec de la production en France et aussi avec des achats à l’étranger, y compris des achats globaux qui sont effectués par l’Union européenne.

Q - Des pays sont prêts à nous en vendre aujourd’hui, des masques ?

R - Oui, il y a plusieurs pays qui sont disponibles pour le faire et nous sommes en discussions avec eux.

Q - Lesquels ?

R - Je ne vous le dirai pas vraiment. En dehors de la Chine, il y en a d’autres.

Q - Il y en a d’autres. Bon on n’en saura pas plus. Mais on attend d’autres envois de la Chine ? La Chine va continuer de nous secourir.

R - Il faut les acheter, tout simplement. Mais on peut en trouver d’autres ailleurs dans d’autres pays avec lesquels le ministère de la santé est en discussion.

Q - C’est la France qui va les acheter ou c’est l’Europe pour ensuite les distribuer là où c’est le plus important ?

R - Les deux. L’Union européenne a pris des dispositions aussi, c’est ce que je vous disais tout à l’heure, pour acquérir des équipements de protection de manière très globale.

Q - Vous évoquiez tout à l’heure, Jean-Yves Le Drian, la fermeture des frontières de l’espace Schengen, la fermeture des frontières extérieures de l’espace Schengen. On a du mal à comprendre pourquoi est-ce qu’après avoir répété pendant des semaines que les frontières n’arrêtaient pas le virus, il a fallu prendre cette décision de fermer, donc, l’espace Schengen ?

R - Parce que cet espace Schengen, les différents Etats, en fonction de l’état d’avancement de la pandémie ont pris des dispositions internes pour se protéger et éviter qu’il y ait un maximum de contacts. Le principe de base, c’est d’éviter le maximum de contacts des personnes qui sont elles-mêmes porteuses du virus parce que c’est le contact entre des personnes qui développe la pandémie et pas autre chose.

Q - Est-ce que cette décision n’a pas été trop tardive ? Est-ce qu’elle n’est pas arrivée trop tard, dès lors que le virus circule d’ores et déjà de façon extrêmement abondante à l’intérieur de l’espace Schengen ?

R - Elle a été prise mardi dernier, c’est une décision qui n’a jamais eu lieu jusqu’à présent. Je pense que le moment était opportun, à la condition, pour revenir à ce que nous avons dit il y a un instant, que même si les Etats prennent des mesures différenciées, en fonction de l’avancée de l’épidémie, concernant le confinement, à condition que la logique du non contact, du non déplacement soit partagée par tous.

Q - On voit bien que cette crise sanitaire est en train de tourner aussi au bras de fer entre Pékin et Washington. Donald Trump met de plus en plus fortement en cause le régime chinois, il l’accuse même d’avoir trop tardé à donner des nouvelles de cette épidémie. Le monde paye le prix fort, dit aujourd’hui le président américain, est-ce qu’effectivement les Chinois ont trop tardé à réagir ?

R - Il est un peu trop tôt pour faire le point sur la manière dont l’épidémie s’est développée dans la région de Wuhan. Des points de vue différents s’affrontent sur le sujet ; ce qui est certain, c’est qu’au moment où l’épidémie est devenue constatée et constatable par les autorités chinoises, elles ont pris les grands moyens pour l’enrayer. Après l’histoire permettra de vérifier si c’était opportun, si c’était le bon moment ou si cela a été fait un peu trop tard. En tout cas, les mesures prises à l’époque, qui étaient stupéfiantes de notre côté, car on n’imaginait pas que nous-mêmes nous allions être à un moment donné confrontés à cette nécessité, ont été prises et ont été prises de manière utile.

Q - Et est-ce qu’aujourd’hui la Chine coopère et nous apprend des choses que nous ne savons pas sur ce virus ?

R - La Chine coopère, et est disposée à échanger avec les pays concernés. Techniquement et scientifiquement, je sais que des relations ont lieu et c’est le sens d’un bon multilatéralisme : faire en sorte que sur les questions de santé et sur des enjeux aussi importants que cette pandémie, les échanges scientifiques puissent se développer dans la plus grande transparence.

Q - Et est-ce que le paradoxe, Jean-Yves Le Drian, c’est qu’au moment où l’économie européenne s’arrête, l’économie chinoise est en train de repartir, est-ce que la Chine ne risque pas de sortir renforcée du point de vue de son influence notamment économique dans le monde ? Et est-ce que ça doit nous amener justement, vous évoquiez le multilatéralisme à réfléchir demain à notre dépendance à l’endroit de la Chine ?

R - Le monde de demain ne sera plus le même que celui qu’on a connu parce que nous étions dans une forme de mondialisation des opportunités, de certaines formes de mondialisation heureuse. Et là, nous sommes dans la mondialisation des risques et des menaces. Donc, il est clair pour moi que demain, on ne pourra plus déléguer à d’autres et notre sécurité, et notre santé, et notre alimentation et notre autonomie sur des biens essentiels. Donc, il faudra tirer les leçons de tout cela, bien sûr.

Q - Reconquérir une forme de souveraineté, de souveraineté sanitaire, de souveraineté économique ?

R - Souveraineté sanitaire, souveraineté nationale dans une souveraineté européenne bien comprise parce que l’enjeu vaut aussi pour l’Union européenne. Elle doit avoir le sursaut nécessaire, sinon elle passera à côté de l’Histoire.

Q - Merci à vous, Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères, invité ce matin de France Info par téléphone évidemment, comme tous les invités ces derniers jours./.