Ukraine - Burkina Faso - Sahel - Entretien d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 30 janvier 2023)

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Q - Bonjour Anne-Claire Legendre.

R - Bonjour Marc Fauvelle.

Q - Porte-parole du ministère des affaires étrangères. Depuis la semaine dernière, une dizaine de pays ont annoncé la livraison de chars de combat à l’Ukraine. Cela va des États-Unis à l’Allemagne, en passant par le Royaume-Uni, la Pologne, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas…, mais pas la France. Est-ce que c’est parce que l’armée française n’a pas assez de chars Leclerc pour en offrir ?

R - La France n’est pas en retrait sur cette question. Elle est au contraire en avance de phase, puisque vous savez que le Président de la République, le 4 janvier, a annoncé la livraison par la France de chars légers AMX-10. Nous étions, à cet égard, les premiers à le faire, et c’est ce qui a déclenché cette dynamique qui est venue amplifier cette annonce. C’est d’ailleurs l’objet de la concertation que nous avons pu avoir avec nos partenaires européens et américains, très récemment.

Q - Y aura-t-il, dans les mois qui viennent, des chars Leclerc en Ukraine ?

R - Le Président de la République a dit que rien n’était exclu. Vous savez qu’il a confié cette discussion au ministre des armées, Sébastien Lecornu. Il a aussi fixé un certain nombre de conditions à ce type de livraison, comme toutes les livraisons que nous faisons à l’Ukraine. Trois conditions : la première étant que ce ne soit pas escalatoire, et c’est notre appréciation que cela ne l’est pas. La deuxième, c’est que ce soit utile sur le terrain, aux forces armées ukrainiennes, et vous savez que cela pose toute une série de questions en matière de logistique, de maintenance, de formation des forces armées ukrainiennes à tous ces équipements différents. Et enfin, que cela ne prive pas la nation française de ses capacités de défense.

Q - Sur ce terme utilisé par Emmanuel Macron, il ne faut pas que cela soit « escalatoire »… À partir du moment où les autres le font, est-ce que cet argument tient toujours ?

R - Cet argument, c’est celui que nous évaluons dans toutes les livraisons que nous faisons à l’Ukraine. Mais je voudrais à cet égard rappeler quelque chose de très clair : pour nous l’escalade aujourd’hui elle est du côté de la Russie. C’est la Russie qui agresse un pays qui est agressé, en violation totale du droit international. Et je rappellerais à nos auditeurs que nous ne sommes pas en guerre, nos partenaires ne sont pas en guerre, nous sommes juste en train d’aider l’Ukraine, qui est en légitime défense, conformément au droit international, sur son propre territoire.

Q - Cette position, finalement sur un fil, de la France, est-ce que c’est une façon aussi de ne pas trop fâcher Vladimir Poutine, de maintenir un lien avec lui ?

R - Absolument pas. Aujourd’hui, nous répondons au besoin exprimé par les Ukrainiens. Et les besoins qui s’expriment aujourd’hui vis-à-vis de la France de façon prioritaire, c’est un besoin en matière d’artillerie - vous savez que les canons Caesar ont été livrés à l’Ukraine et répondent de façon très satisfaisante à leurs besoins -, mais aussi en matière de défense antiaérienne. Vous avez vu, encore cette nuit, des frappes contre des infrastructures civiles, contre même des résidences d’Ukrainiens, en violation du droit international humanitaire.

Q - Si je vous pose cette question, Anne-Claire Legendre, c’est que pendant des mois, l’Élysée a régulièrement communiqué sur des coups de fil entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Depuis plusieurs mois, on n’a plus d’information là-dessus. Est-ce à dire qu’il n’y a plus de coup de fil entre les deux hommes ?

R - Il n’y a pas eu d’appel depuis en effet quelques semaines…

Q - Quelques semaines ?

R - … Quelques mois… Je n’ai pas la date exacte en tête, mais la volonté qui est celle du Président de la République, ça a été de ne jamais fermer ce canal de dialogue, dont nous estimons qu’il pourrait être utile au moment où les Ukrainiens pourraient décider d’entrer en négociations. Ce moment, aujourd’hui, il n’est pas venu. Nous avions aussi utilisé ce canal de discussion, et c’était la volonté du Président de la République et de la ministre que d’utiliser ce canal de discussion pour pouvoir arriver à des choses utiles sur le terrain ; notamment, vous vous souvenez, la centrale nucléaire de Zaporijjia, sur laquelle l’intervention de la France avait permis le déploiement de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Q - Mais le dialogue direct entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine n’est pas rompu ? S’il le faut, Emmanuel Macron peut, demain matin, décrocher son téléphone ?

R - Le Président de la République ne l’a pas exclu.

Q - Vladimir Poutine estime que la livraison des chars par d’autres pays constitue un engagement direct de l’OTAN en Russie. C’est aussi ce qu’a dit la ministre allemande des affaires étrangères, qui affirme que l’Allemagne est en guerre, aujourd’hui, contre la Russie. Vous ne dites pas la même chose, vous ?

R - Nous disons ce que disent tous nos partenaires : nous ne sommes pas en guerre avec la Russie. C’est une position…

Q - C’est exactement l’inverse de ce qu’a dit la ministre allemande.

R - C’est une position de la totalité de nos partenaires, là-dessus il y a une pleine convergence. Je vous rappelle que le Chancelier Scholz était encore à Paris pour les 60 ans du Traité de l’Élysée, il y a une semaine, et là-dessus il y a une parfaite convergence avec nos partenaires. Il y a eu aussi un « Quint » au niveau des chefs d’État…

Q - Un quoi, pardon ?

R - Un « Quint », donc c’est un appel entre le Président de la République et ses homologues - excusez-moi - ses homologues d’Italie, de Grande-Bretagne, des États-Unis et d’Allemagne, qui a marqué notre parfaite convergence sur ce point, avec tous nos partenaires.

Q - La France pourrait-elle livrer des avions de chasse, comme le demande désormais Volodymyr Zelensky ?

R - Toutes ces questions, elles sont étudiées. Vous avez entendu, en effet, les demandes qui sont faites par les autorités ukrainiennes. Mais comme je l’indiquais, les besoins qui nous sont aujourd’hui prioritairement exprimés par les autorités ukrainiennes, c’est de l’artillerie, des systèmes anti-aériens, et c’est aussi des munitions et des véhicules de l’avant blindé. Ces discussions…

Q - C’est le président Zelensky qui a réclamé les avions de chasse à ses partenaires aujourd’hui. Vous considérez…

R - Il l’a exprimé mais nous, nous agissons en complémentarité avec tous les partenaires. Et la ministre des affaires étrangères, Mme Colonna, comme vous le savez, était sur le terrain, il y a tout juste quelques jours, elle était à Odessa. Elle était à Odessa qui a été, le jour même, frappée par des frappes russes, pour s’entretenir avec Dmytro Kuleba, son homologue. Et elle a pu discuter de la totalité des aspects de l’aide française à l’Ukraine.

Q - Les avions de chasse, ce serait escalatoire ?

R - Je n’ai pas d’appréciation à porter, ce matin, en la matière. Je dis juste que ce n’est pas la demande qui est portée aux autorités françaises aujourd’hui.

Q - Anne-Claire Legendre, au Burkina, la junte militaire qui est au pouvoir a donné un mois à la France pour qu’elle rapatrie les 400 militaires présents sur son sol. La France va-t-elle s’exécuter ?

R - Comme nous l’avons déclaré, il y a une semaine, nous avons reçu en effet une dénonciation de l’accord de 2018, qui prévoyait la présence sur le territoire du Burkina Faso d’un détachement français de lutte contre le terrorisme. Et nous avons donc accusé réception de cette décision. Nous agissons toujours dans le respect des souverainetés des États. Nous agissons à leur demande…

Q - Donc les militaires français vont faire leurs valises ?

R - … et donc, cette décision, elle sera évidemment suivie. C’est au Président de la République, comme l’a indiqué le ministre des armées, de décider du calendrier. Mais en tout état de cause, cette décision sera mise en oeuvre, en bon ordre, en transparence et en coordination avec les autorités burkinabè, comme nous l’avons fait partout au Sahel.

Q - Mais pas forcément dans le délai fixé par le Burkina Faso ?

R - Je n’ai pas de détails sur la partie opérationnelle ; cela relève du ministère des armées. Mais nous avons évidemment pour intention de respecter nos accords et de nous en tenir au respect de la souveraineté des États.

Q - Ce scénario, il s’est déjà produit dans d’autres pays d’Afrique, Centrafrique et Mali notamment. À chaque fois que la France s’en va, une montée en puissance du rôle de la Russie et de la milice Wagner. À votre connaissance, ces mercenaires russes sont-ils déjà présents aujourd’hui au Burkina ?

R - Je n’ai pas d’information à cet égard.

Q - Aucune information ?

R - Je n’ai pas d’information à vous communiquer à cet égard.

Q - Ça changerait quelque chose à la situation ou pas ?

R - Ce que nous voyons, aujourd’hui, du déploiement de cette milice en Afrique, c’est une politique systématique de spoliation, d’exactions vis-à-vis des populations locales, et surtout de perte de souveraineté des États. Nous le voyons au Mali, où la situation sécuritaire s’est très gravement dégradée depuis l’arrivée de Wagner sur le territoire. Nous avons pu voir la même chose en République centrafricaine et au Mozambique, où cette milice s’est livrée à des exactions et des pillages des ressources. Cette situation est bien connue de tous les dirigeants africains aujourd’hui.

Q - Merci à vous, Anne-Claire Legendre, porte-parole du Quai d’Orsay, « grand témoin » de France Info.