Politique étrangère - Ukraine - Russie - Australie - Entretien d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 18 novembre 2022)

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Q - Bonjour Anne-Claire Legendre.

R - Bonjour.

Q - Porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Merci d’être en direct sur France Info. Ces frappes russes, elles constituent pour la France des crimes de guerre ?

R - Ces frappes, on les condamne fermement, parce qu’elles visent de façon extrêmement délibérée des infrastructures civiles, des infrastructures civiles critiques, ce qui, comme vous l’avez dit, provoque aujourd’hui des coupures d’électricité massives en Ukraine, mais aussi en Moldavie, dans un pays frontalier.

Ce sont, comme vous le disiez, des actes constitutifs de crimes de guerre.

Q - Quelle est la nuance ? Ce sont des crimes de guerre en soi ? Vous dites « constitutifs de crimes de guerre ». Cela veut dire que ça reste à prouver ?

R - Ce n’est pas à nous de déterminer, en tant qu’État, ce qui est un crime de guerre. C’est évidemment à la justice de le faire. Quand on dit que c’est constitutif de crimes de guerre, ce qu’on veut dire, c’est que ces actes sont des violations graves du droit international humanitaire. On parle là des conventions de Genève et de La Haye qui prévoient que toutes les attaques délibérées contre des civils et des infrastructures civiles sont des violations du droit international humanitaire, et constitutives à cet égard de crimes de guerre. Mais aussi, par exemple, les actes de tortures, ou les mauvais traitements contre les prisonniers ou encore le ciblage de journalistes. Tous ces actes, malheureusement, il y a de fortes probabilités que les forces armées russes les aient commis sur le territoire ukrainien. Et donc aujourd’hui notre priorité, c’est qu’il n’y ait pas d’impunité sur ces crimes, et que ces crimes soient poursuivis par la justice internationale ou par les autres instruments qui sont à notre disposition pour ce faire.

Q - Est-ce que la France réclame la création d’un tribunal international, sur le même modèle que l’ex-Yougoslavie ?

R - Comme je l’indiquais, c’est la lutte contre l’impunité qui nous importe et il faut que ces crimes ne restent pas impunis. On a déjà des instruments à notre disposition. Vous savez que la justice ukrainienne fait son travail, aujourd’hui, sur le terrain. Et d’ailleurs nous lui apportons notre soutien. Vous savez que la France a dépêché en Ukraine, à la fois des experts de la gendarmerie nationale pour pouvoir apporter une expertise dans l’identification des victimes et le relevé des preuves de ces crimes. Nous avons aussi envoyé des laboratoires ADN pour recueillir, là aussi, les traces ADN et pouvoir identifier les victimes. Il y a tout d’abord cette justice ukrainienne. Le second aspect, c’est la justice nationale. Et vous savez que la justice française, elle-même, est saisie d’un nombre de cas.

Q - Oui, puisqu’elle est compétente sur les éventuels crimes de guerre qui sont commis en Ukraine ?

R - Exactement, contre des ressortissants français.

Q - Bien sûr.

R -
Enfin, il y a la Cour pénale internationale, qui est saisie du dossier ukrainien, et qui travaille sur le terrain, et à laquelle nous apportons, là aussi, notre soutien, en matière d’expertise, mais aussi en matière de financements. La question se pose et elle est posée par un certain nombre d’interlocuteurs, de la constitution d’un tribunal spécial. Mais, comme la ministre l’a dit, nous sommes évidemment prêts à l’envisager, si cela s’avérait une valeur ajoutée par rapport à tous ces instruments.

Q - Anne-Claire Legendre, est-ce que les enquêteurs français qui avaient été dépêchés au moment de la découverte des crimes de guerre à Boutcha sont aussi sur place maintenant pour éventuellement découvrir les crimes de guerre, les preuves de crimes de guerre à Kherson ?

R - Ils ne sont pas encore à Kherson, mais vous avez entendu les déclarations des autorités ukrainiennes, ces dernières heures, qui font état de la découverte de chambres de tortures de façon massive à Kherson. Donc évidemment, cela suscite une préoccupation toute particulière de notre part. Et en tout état de cause, nous apportons notre soutien à la procurature générale ukrainienne. Nous avons des équipes qui sont à ce stade, sur place, en Ukraine, aujourd’hui, pour aider les enquêteurs.

Q - Et qui vont faire route potentiellement vers Kherson ?

R - Si les autorités ukrainiennes nous en font la demande.

Q - Est-ce que la France va aussi envoyer des transformateurs électriques pour soutenir la population civile ?

R - Vous avez mentionné en effet ce besoin extrêmement crucial aujourd’hui, pour les Ukrainiens, de se fournir en électricité et de restaurer leurs infrastructures critiques. A cet égard, nous avons annoncé que nous tiendrons une conférence internationale, le 13 décembre, à Paris. C’est cette priorité-là qui sera à l’agenda, ce sera d’aider les Ukrainiens à passer l’hiver et notamment sur le plan énergétique. Nous fournissons déjà des générateurs. Des générateurs étaient présents dans le Bateau pour l’Ukraine, vous savez, cette opération humanitaire exceptionnelle que nous avons faite, fin septembre, et nous sommes en voie d’acheminer d’autres générateurs, près d’une centaine, pour l’Ukraine, pour pouvoir les assister sur ce plan-là.

Q - Dans les jours qui viennent, ou dans le cadre de cette conférence, le mois prochain ?

R - C’est un effort qui est déjà en cours.

Q - D’accord. Est-ce que le missile qui a tué deux personnes en Pologne est un missile ukrainien ? Est-ce que la France est en mesure de le dire ?

R - Ce n’est pas à nous de le dire. Il y a aujourd’hui une enquête en cours, sur le terrain, qui est menée par les autorités polonaises. Nous coopérons tous, comme tous les Alliés, avec les autorités polonaises, et vous savez qu’hier soir, des experts ukrainiens ont également rejoint la Pologne à cet effet. Il faut faire toute la clarté sur cette affaire, mais nous attendons les résultats de cette enquête.

Q - Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a donc parlé un peu trop vite, lui qui a d’abord évoqué un missile russe, avant finalement de rétropédaler, hier ?

R - Comme les autorités polonaises l’ont déclaré, ce sont de fait des équipements de nature russe.

Q - Ce n’est pas ce que voulait dire Volodymyr Zelensky. Il voulait dire : les Russes ont tiré un missile qui est tombé en Pologne.

R - Aujourd’hui, comme je l’indiquais, l’enquête se poursuit, et comme je l’indiquais également, les Ukrainiens participent à cette enquête. Donc, on voit bien que tout le monde, aujourd’hui, attend les résultats de l’investigation qui est en cours. Et en tout état de cause, je tiens à rappeler que notre solidarité va aujourd’hui aux Ukrainiens qui font face à des tirs, comme vous l’indiquiez, massifs, contre des villes, contre la totalité des villes ukrainiennes, et contre des infrastructures civiles, ce qui est une violation absolument indubitable du droit humanitaire international.

Q -
Vous évoquez, depuis tout à l’heure, tous ces soupçons, ils sont très nombreux, de crimes de guerre imputés à la Russie. Vous dites qu’il faut que les responsables soient conduits devant les tribunaux. Est-ce que ça veut dire que la Russie n’est pas un interlocuteur fiable, à l’heure où la communauté internationale presse justement Russie et Ukraine de se mettre autour de la table pour négocier la paix ?

R - Je crois que vous évoquez deux sujets distincts. IL y a tout d’abord la lutte contre l’impunité et la nécessité que la justice se fasse. Ça, c’est une priorité, comme je le rappelais, avec tous les instruments que nous avons mis en place avec nos partenaires internationaux pour ce faire. Et il faut que ce travail se fasse.

Q - Est-ce qu’on peut discuter avec un État qui est coupable de crimes de guerre ?

R - Il faudra arriver à une négociation, à un moment, au moment où les Ukrainiens le décideront. Vous avez entendu le président Zelensky faire des propositions pour la paix. Il les a faites devant les dirigeants du G20, il y a quelques jours. Il a défini le cadre dans lequel pourraient se tenir des négociations de paix. Dans une négociation, il faut deux parties. Donc il faudra, à un moment, que cette négociation se tienne avec la Russie.

Q - Une dernière chose, Anne-Claire Legendre, porte-parole du Quai d’Orsay : Emmanuel Macron, qui est en Asie du Sud-Est, a tenu à rappeler à l’Australie que le contrat sur les sous-marins était toujours sur la table. Pourquoi ? Est-ce que cela veut dire qu’il pense que l’Australie peut changer d’avis ?

R - Vous savez que nous avons renoué des relations avec l’Australie, après l’élection d’un nouveau Premier ministre qui a marqué sa volonté de relancer sa coopération avec la France, et de le faire sur des bases de confiance. C’était la demande que nous faisions à nos partenaires australiens que de rétablir cette confiance. Cela implique de pouvoir rouvrir la discussion sur tous les sujets d’intérêt stratégique pour nos pays, y compris celui-là.

Q - La France est donc confiante qu’on puisse parler à nouveau de ce contrat des sous-marins ? Il n’est pas du tout enterré ?

R - Je vous renvoie aux propos du Président de la République. Il ne l’a pas exclu.