Ukraine - Entretien de Pascal Confavreux, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « Polskie Radio » (Paris, 18 novembre 2025)

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Q - Bien évidemment, on va commencer avec cet accord qui a été signé hier à Paris. On sait que la France a déjà livré quelques chasseurs Mirage 2000 à Kiev, a déclaré vouloir délivrer plus. Mais il n’avait, je crois jusqu’à hier, pas été question de voir l’Ukraine se doter du Rafale. Donc je voudrais tout d’abord vous demander pourquoi est-ce que la France a décidé de renforcer de cette manière la coopération avec l’Ukraine dans ce domaine ?

R - Pour une raison très simple, c’est qu’il faut compter sur le soutien de la France et plus largement de l’Europe à l’Ukraine, et dans la durée, et de manière très unique. Vous l’avez dit, l’Ukraine tient, rien ne justifiait cette guerre par le passé, et c’est pourquoi notre soutien, d’ailleurs le soutien de la population française, est très fort à l’Ukraine. Et effectivement, il n’y avait pas eu d’accord sur les Rafale. Là, c’est un accord qui est assez historique. Il y a un accord qui va jusqu’à une centaine de Rafale. Le Rafale, c’est ce qu’on fait de mieux en termes d’aviation de chasse en France. C’est celui qui équipe l’armée française. Et cette centaine de Rafale, c’est sur le temps long, c’est sur une dizaine d’années. C’est un accord qui est absolument massif pour nous et qui va venir participer à la dissuasion future par l’armée ukrainienne vis-à-vis de la Russie, pour les empêcher de toute future incursion à l’avenir.

Q - Quand vous avez dit « c’est un accord pour des dizaines d’années », donc pour l’instant, on a juste une lettre d’intention, ce n’est même pas le contrat concret, pendant que les besoins de l’Ukraine, bien évidemment, notamment maintenant, avant l’hiver prochain, sont énormes. Donc pourquoi ne pas livrer des Rafale immédiatement ? Et comment est-ce que la France veut, justement, aider l’Ukraine militairement, à court terme ?Retour ligne automatique

R - Il y a deux choses. Déjà, dans les contrats d’armement, vous avez plusieurs étapes à respecter. Donc là, effectivement, on est dans la lettre d’intention, qui est donc la première étape. C’est déjà une vraie étape, c’est un vrai accord. Et par ailleurs, il y aura ensuite, dans les semaines ou mois à venir, le contrat d’armement proprement dit, avec le prix, les détails des livraisons, etc. Et donc, il ne faut pas minimiser la chose, au contraire, c’est très, très réel. Le deuxième élément, c’est que dans cette visite du président Zelensky hier à Paris, il y avait aussi d’autres annonces de soutien en armement qui étaient à court terme, notamment des capacités de drones, mais aussi d’intercepteurs de drones, de bombes guidées, des acquisitions de matériel extrêmement efficace qu’on appelle les SAMP/T, qui sont en fait des systèmes antiaériens dont l’Ukraine a besoin, et qui là sont pour du très court terme et qui sont très efficaces. Vous savez par ailleurs que la France avait livré depuis le début des canons Caesar, en termes d’infanterie, qui également étaient très appréciés de l’armée ukrainienne.

Donc voilà, il y a ces deux éléments en particulier. Il y a ce qu’on fait de mieux en termes d’aviation avec le Rafale, qui va maintenant suivre son chemin. Et deuxièmement, des choses à très court terme sur des capacités défensives. Et puis il y a peut-être, si vous m’autorisez, un troisième élément qui était là une réunion entre écosystèmes français et ukrainiens des drones, pour favoriser les synergies opérationnelles, industrielles et financières des deux côtés. Les Ukrainiens ont acquis évidemment beaucoup d’expérience en la matière, dans l’usage, dans la pratique et dans l’évolution de ces drones. Nous avons aussi des capacités en termes d’industrialisation auxquelles nous pouvons contribuer. Donc il y avait également à l’Élysée, dans l’après-midi hier, une réunion, notamment organisée par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avec bien sûr ses homologues du gouvernement et accueillie à l’Élysée par le Président de la République, ce moment sur les drones franco-ukrainiens qui était très important.

Q - Tous ces types d’armement que vous venez de mentionner coûtent beaucoup d’argent. Il y a des estimations qui disent que l’achat de 100 Rafale serait de l’ordre de 10 milliards d’euros. Comment est-ce que cet achat va-t-il être financé ? Parce que vu la situation compliquée de l’Ukraine, on peut supposer que Kiev n’a tout simplement pas cet argent.

R - Il y a différents éléments qui sont discutés au niveau européen. Vous avez déjà des fonds comme le projet SAFE, comme la facilité européenne pour la paix. Et puis, vous avez un projet qui est en discussion avec nos partenaires États membres, avec la Commission, en vue du prochain Conseil européen, sur le projet de prêt de réparation, le Reparation Loan, qui s’élèverait à environ 140 milliards d’euros, qui serait assis sur les avoirs gelés russes. L’accord n’est pas encore complètement trouvé. Dans nos discussions avec la Commission, nous pensons qu’il y a un chemin qui peut être possible. Nous, nos deux éléments qui sont, en termes d’attention, très importants, c’est à la fois qu’il n’y ait pas de saisie illégale de ces avoirs gelés - cela poserait un problème juridique. Et puis, par ailleurs, un nécessaire partage du fardeau que cela nécessiterait. Et puis enfin, évidemment, un fléchage clair de ces dépenses militaires vers les bases industrielles et de défense européennes, qu’elles soient polonaises, françaises, etc. Donc ce sont ces éléments que nous discutons. Ces 140 milliards, ça correspond à peu près à deux ans, voire trois ans de besoins financiers ukrainiens. Donc c’est aussi un signal très fort de l’engagement de l’Europe, et bien sûr de la France, pour l’Ukraine, dans la durée.

Q - Monsieur Confavreux, juste une toute dernière question. À quel point est-ce que ce dernier grand scandale de corruption dans le domaine énergétique et aussi militaire en Ukraine qu’on a observé ces derniers jours inquiète-t-il la France, qui s’engage à faire plus dans l’aide à ce pays ?

R - C’est un sujet que nous prenons très au sérieux et que nous abordons tout à fait avec les autorités ukrainiennes. Nous l’abordons en privé, nous l’abordons également en public. Le Président de la République l’a dit hier dans la conférence de presse, le ministre de l’Europe des affaires étrangères Jean-Noël Barrot également. Donc nous avons un dialogue très franc et exigeant avec les autorités ukrainiennes. Nous avons pris note de la démission des ministres en charge de l’énergie et de la justice ukrainiens. La France ne se prononce pas sur l’enquête en cours, qui relève des autorités judiciaires ukrainiennes, mais l’émergence de cette enquête montre qu’il y a une capacité des institutions anti-corruption en Ukraine à mener leur travail. Par ailleurs, c’est un travail qui est extrêmement important sur le fond, dans la quête d’accession de l’Ukraine à l’Union européenne. Ce sont des chemins qui sont cruciaux. Donc voilà, nous sommes en plein soutien du président Zelensky sur ces sujets, avec un message qui est très franc et exigeant pour que les mesures en question soient bien appliquées et efficaces.

Q - Donc vous dites que la France soutient le président Zelensky. Cela veut dire que ce scandale ne fragilise pas de manière générale le président Zelensky, aux yeux des autorités françaises ?

R - Nous n’allons pas sur la précision de l’enquête. Nous voyons que, pour l’instant, une enquête est menée et nous suivrons évidemment les conclusions. Ce que nous voyons, c’est que le système des institutions pour traquer et ensuite mener l’enquête est activé. Et ça, c’est une bonne chose.

Q - Monsieur Confavreux, merci beaucoup pour ces informations, pour ces détails. Merci beaucoup.

R - Merci beaucoup.

(Source : Polskie Radio)